Adapter et mettre en scène Jean-Paul Sartre au Liban, Alain Plisson le perçoit comme un défi, d’autant plus qu’il s’agit de Huis Clos, une pièce qui tombe à point dans le contexte actuel du pays. Rencontre.
Entre Alain Plisson et Huis Clos, c’est une vieille histoire. Jeune acteur, au moment où le Liban connaissait un brusque élan vers le théâtre, vaste champ d’expression des jeunes, on lui demande pourquoi il ne ferait pas lui-même de la mise en scène. Pourquoi pas? Et qu’est-ce qu’il monterait? Il décide que ce sera Huis Clos de Jean-Paul Sartre. «J’avais tout préparé, mais «je me suis vite rendu compte que j’allais me casser la tête avec des problèmes de mise en scène». Finalement, il ne monte pas la pièce. Et il oublie même son projet durant des années. Jusqu’au jour où, il y a quelques mois, Michel Moppert, un acteur avec qui il a eu la chance de travailler et qui passe sa dernière année au Liban, lui exprime son envie de jouer encore une fois avec lui. «Il est tombé sur le metteur en scène le plus meurtri», lance Plisson, le regard toujours empreint de sourires. «Mais certains enthousiasmes sont contagieux, j’ai été contaminé».
Pour pouvoir monter deux spectacles au cours de l’année, il faut que l’un d’eux n’exige qu’une petite distribution, donc moins de travail. En fouillant dans sa bibliothèque, sa décision est prise: ce sera Huis Clos. Mais il y a une deuxième raison derrière ce choix. «Monter Huis Clos est actuellement pour moi au Liban, dans l’état actuel des esprits, du théâtre, de la vie intellectuelle, un véritable défi. Je comprends parfaitement que les gens aient envie de s’amuser et je suis le premier à monter un spectacle léger quand l’occasion se présente. Mais il ne faut pas oublier que la pièce a été créée à Paris, pendant l’occupation allemande. Il n’y avait pas de climat plus lourd, plus pénible, plus angoissant pour les Français. Et Huis Clos se jouait à cette époque-là, quand les gens étaient démoralisés, sans espoir. Il y a toujours eu dans des situations tragiques un théâtre dramatique qui correspondait à l’esprit du moment. Je ne vais pas vers un théâtre politique et engagé, je fais quand même une réflexion philosophique et intellectuelle. Il ne suffit pas de rire. Il faut penser à des problèmes qui se sont toujours posés à l’humanité et pour lesquels, très souvent, on n’a pas trouvé de solution. Mais au moins on essaie. Toujours rire et amuser les gens, c’est les chloroformer, les anesthésier, leur faire croire que tout va très bien, alors que tout va mal. Non, tout va mal et nous vous posons un problème qui a toujours été grave pour l’humanité: est-ce que l’enfer existe? Sartre présente sa vision, un enfer qu’il imagine en philosophe et intellectuel. Et sa conclusion est terrible: l’enfer, c’est les autres, une phrase devenue un leitmotiv».
Et parce qu’Alain Plisson sait pertinemment bien que son spectacle est intellectuel, il a décidé de le présenter au théâtre Montaigne à l’Institut français, et non dans une salle commerciale, comme un «indice donné aux spectateurs. J’estime que je devais à un moment donné rappeler au public que le théâtre est une affaire d’intellectuels et non seulement d’amuseurs. Si je réussis autour de cette pièce à faire réfléchir vingt personnes, j’estimerai que j’ai réussi ce que je voulais faire. Ce n’est pas évident. Mais je me lance dans ce projet vraiment satisfait, car j’ai de très bons acteurs». Michel Moppert, Natacha Antonellou Achcar et Catherine Prost campent respectivement les personnages de Garcin, Estelle et Inès. Alain Plisson, lui, jouera le rôle du garçon d’étage qui introduit les trois personnages dans ce qui sera leur enfer, dans un décor très simple, dépouillé de tout artifice, rendant ainsi la direction d’acteurs encore plus difficile, puisque «l’œil du spectateur sera fixé sur eux tout le temps».
Nayla Rached
L’avant-première aura lieu le 11 janvier et la pièce sera présentée au public les 17, 18, 24 et 25 janvier, à 20h30, à la salle Montaigne.
Billets en vente à la Librairie Antoine, Achrafié.
«L’enfer c’est les autres»
Sur la brochure de la pièce mise en scène par Alain Plisson, se trouve un extrait d’un texte écrit par Jean-Paul Sartre, en préambule à l’enregistrement phonographique de la pièce en 1965: « […] l’enfer, c’est les autres. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’étaient toujours des rapports infernaux. Or, c’est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi? Parce que les autres sont au fond ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d’autrui. Et alors, en effet, je suis en enfer».