Magazine Le Mensuel

Nº 2878 du vendredi 4 janvier 2013

Livre

Pure Nostalgia. Vivre le Beyrouth d’antan

Imad Kozem nous ramène à l’enfance, un monde de jouets, de bonbons et de nostalgie. A travers sa page Facebook Pure Nostalgia et, aujourd’hui, son livre qui porte le même titre, il offre au public un retour aux belles années beyrouthines.

Imad Kozem s’est forgé, il y a bientôt trois ans, peut-être malgré lui, un nom, dans la mémoire du Liban. Le 12 décembre dernier, il présente à la Librairie Antoine dans les souks de Beyrouth, son ambitieux ouvrage sur la mémoire de Beyrouth des années 70. Un livre encyclopédie sur les archives de cette période.

Mais Imad Kozem est, avant tout, un personnage à part. Un enfant dans l’âme qui dirige depuis 22 ans une entreprise d’IT. Dans les placards de son bureau, sur la corniche Mazraa, on retrouve des éléments d’un ancien aéroport miniature pour garçon ou encore, la voiture de James Bond, un modèle des années 60.

«Je suis un fou de James Bond, avoue-t-il. J’ai toute une collection d’objets liés au personnage». Une collection impressionnante à l’instar de toutes les autres. «J’ai gardé ma luge, mes patins, mes petites voitures, mes legos, tous mes jouets d’enfant», dit-il.  Un butin, qu’il garde précieusement, depuis dix ans, dans un hangar de 500m² où sont entreposées des dizaines de cartons. 75% de sa collection est composée de ses propres jouets. Il a déniché le reste dans des brocantes ou sur le site Internet d’achat ebay. A les observer de plus près, tous ces trésors semblent pratiquement neufs. «Je jouais et je rangeais, avec l’aide consciencieuse de ma mère, cela m’a permis de les préserver dans un bon état».

Après quelques instants de réflexion, il déclare: «Je ne sais pas d’où m’est venue cette envie de collectionner. Je suis fils unique, cela doit venir de là», songe-t-il. Et on ne peut que le croire. Le collectionneur ne s’est pas contenté de mettre en avant des jeux d’enfants. Il a pris à bras le corps la mémoire des lieux qu’il a connus à Beyrouth. «J’ai voulu préserver mon histoire, celle que j’ai vécue. Les endroits où m’ont pris mes parents, finalement c’est l’histoire également de toute une génération», explique-t-il. Et comme il le dit lui-même, ce qu’il fait, il le fait à fond. Il commence alors à rassembler toutes sortes d’archives, d’anciennes publicités aux vieilles cartes postales, en passant par des objets à tout va, sans oublier ses quelques guitares «collector» ayant appartenu à des artistes tels que Kiss ou encore Eric Clapton.

«J’ai décidé, il y a trois ans, de partager ma collection. J’en ai parlé sur ma page Facebook puis, comme les gens étaient intéressés, j’ai créé une page spéciale, Pure Nostalgia. C’est un lieu où on échappe à la vie quotidienne. Les gens qui la visitent sont attachés au passé, qu’ils considèrent plus simple, plus beau, plus authentique que la vie actuelle. C’est une page pour vivre le passé. Beyrouth a cette particularité d’avoir changé énormément. Beaucoup de curieux veulent savoir ce que la capitale était autrefois».

Flânant dans les librairies libanaises, il constate qu’aucun livre ne traite spécifiquement des années 70 de Beyrouth. Qu’à cela ne tienne, le sien sera le premier. «Je devais faire quelque chose pour montrer au public ce qu’était Beyrouth. Comme peu de gens s’intéressent aux jouets, j’ai préféré aborder la vie beyrouthine d’autrefois en dénichant les archives de la presse locale, des collectionneurs privés ou du ministère du Tourisme». Il passe alors trois ans à rassembler des archives, jusqu’à glaner des tickets de cinéma libanais à New York. «Trois ans de passion, précise-t-il. Ce livre vous prend de l’aéroport et vous accompagne dans une promenade à travers le tout-Beyrouth. C’est une sorte d’encyclopédie. On y retrouve par exemple les traces de la vie mondaine». De ses trouvailles d’un caractère exceptionnel, il tient à préciser que, si on en a la volonté, on les trouve. «Le trésor est là, chez vous. Le temps nécessaire à cette découverte, c’est la passion qui vous la donne», assure-t-il.

Nostalgique, certainement, mais pas à outrance. «Le passé c’est le passé, je suis guéri, lance-t-il. Je suis toujours aussi passionné, mais ce n’est plus une folie. J’ai fait ma part de travail, mon livre est disponible».

Quant au projet de faire de son impressionnante collection une exposition ou mieux encore, Imad Kozem, qui a déjà repoussé une offre de l’AUB, se dit prêt à «prêter ses jouets» si le projet lui tombe sous la main, finalisé. Avis aux amateurs… Delphine Darmency

 


 

Pandémonium de Hoda Adib
Le silence de l’écriture

Auteure et poète, Hoda Adib vient de publier aux Editions de la Revue phénicienne son dernier recueil de poésie, Pandémonium, illustré par des encres d’Alain Tasso. Quand le silence devient image…

«S’offre à nous tel un témoignage infléchi les premiers pas du temps se sont posés sur un espace prédictif l’abcès du silence s’accroche substantiel irréversible».

C’est sur ces vers que s’ouvre le recueil de poésie de Hoda Adib, récemment publié aux Editions de la Revue phénicienne. Pandémonium. Un bouquet de vers et d’images qui s’imbriquent, se croisent et se décroisent, à l’instar de ce Pandémonium, la capitale supposée de l’enfer, ou de ce lieu plein d’agitation et de bruit, ce lieu où règnent la corruption et le désordre. A l’instar ou inversement. Une image inversée qui se crée au fil de la lecture, au fil des images qui s’entrechoquent.

Une première lecture, puis une deuxième, une troisième, une autre encore et encore. Et les images se laissent progressivement effeuiller, couche après couche, pour éclore dans toute la complexité de l’imaginaire poétique de Hoda Adib. Lecture après lecture, l’imperméabilité des images, ou plus justement leur apparence d’imperméabilité se dilue, se perd, dans la fluidité d’une écriture, qui au moment où vous vous attendiez le moins, vous surprend, provoque une onde de choc, un sursaut. Et l’image vous emmène de rivage en rivage: «l’œil dessiné au ‘‘kohol’’ le contour du silence/aiguisé sur la pointe d’une épée» – «un silence diurne traverse l’ombre puis/l’Homme» – «ce n’est pas un silence à l’écoute d’une musique/c’est un silence qui vous prend/pour vous accompagner ailleurs/un silence increvable qui vous rassure/elle s’abandonne au destin de l’imaginaire» – «au seuil des étoiles apprivoisées/se trouve une légende sans citrouille» – «au périple de la chanson/ lire dans les ténèbres/ l’errance des ombres solitaires/et la conversation du poète».

Pandémonium. Hoda Adib ne cesse de s’interroger sur l’écriture, sur les mots, sur la musique des mots, sur le silence. Sous sa plume, «les mots sentent le fût», ils sont «électrons libres», «têtards», «empalés», «opiniâtres»… ils sont «pris par la taille», ils ont «les yeux embrouillés»… Le silence revient comme un leitmotiv tout au long du recueil. Le silence, ce mot qui compose tous les autres mots, ce mot qui obsède, qui hante le poète en premier, justement parce qu’il contient tous les autres, tous les autres possibles, toutes les autres notes, toutes les images. Ce mot de l’infini qui s’étale à l’infini. « Du silence au silence / silence après silence / jusqu’à l’usure du silence / un orang-outan médite sur ce monde / décante le silence au sommet d’un arbre…».

Pandémoniumsigne la rencontre entre deux auteurs, deux poètes: Hoda Adib et Alain Tasso. Ce dernier a, en effet, illustré le recueil par ses encres dont les contours constituent désormais sa marque particulière, son cachet reconnaissable entre tous. Et les images continuent de s’entrechoquer, de naître, entre une rencontre et une autre, entre le lecteur et le recueil.

Nayla Rached

Bios en bref

Hoda Adib: Musicienne de formation, professeure de piano, pionnière au Liban du spectacle poétique avec danse et dont la récitation lui est bien particulière, Hoda Adib a publié divers recueils de poésie au Liban et en France. Outre des conférences sur le lien entre la musique orientale et la poésie, elle a donné des émissions radiophoniques sur la poésie et la musique. Elle figure dans plusieurs anthologies poétiques, des recueils sur la poésie francophone, la poésie contemporaine, la poésie chronique du XXe siècle.

Alain Tasso: Poète, peintre, critique et enseignant d’esthétique et d’histoire de l’art à l’USJ et de diégèse à l’Alba, Alain Tasso est l’auteur de plus de vingt ouvrages dont plus de dix recueils de poésie dont certains illustrés par ses encres. Son œuvre, largement commentée par la critique, a reçu de nombreuses distinctions; une écriture d’un haut niveau littéraire qui a été au départ mystique puis expressionniste pour se densifier, faisant de lui un poète de la présence.


La France au Liban et au Proche-Orient du XIe au XXIe siècle
Essai historique d’Ibrahim Tabet

Véritable ouvrage de référence, Ibrahim Tabet s’est attelé durant plus de trois ans à la rédaction de cet essai historique. La France au Liban et au Proche-Orient du XIe au XXIe siècle est récemment publié aux Editions de La Revue phénicienne.

«Je partis pour l’Orient compliqué avec des idées simples»: cette phrase de Charles de Gaulle est citée en exergue dans l’introduction de l’essai historique La France au Liban et au Proche-Orient du XIe au XXIe siècle. Une introduction dans laquelle Ibrahim Tabet explique que «ce livre a principalement pour objet de brosser un tableau de l’histoire des relations entre la France et le Liban des Croisades à nos jours. Malgré leur caractère privilégié, celles-ci ont toutefois dépendu pendant des siècles des rapports franco-ottomans et elles s’inscrivent aujourd’hui dans le cadre plus large de la ‘‘politique arabe’’ de la France». Aussi consacrera-t-il une part importante aux relations entre la France et le Proche-Orient en s’efforçant, au-delà d’une approche chronologique et événementielle, d’en expliquer les enjeux politiques économiques et culturels. Alors qu’aujourd’hui, même l’Union européenne ne fait pas le poids face à la superpuissance américaine et que les puissances régionales comme l’Iran et la Turquie jouent un rôle grandissant, il tentera enfin de répondre à la question de savoir quelle influence la France, devenue une puissance moyenne, conserve-t-elle dans la région et au Liban».

Fortement documenté, agrémenté d’une multitude de citations pointues, le livre est divisé en treize chapitres, chacun subdivisé en plusieurs sous-chapitres: Le temps des Croisades – Le royaume de France et le Proche-Orient – Les rivalités de puissances et la question d’Orient – La France et le Mont-Liban jusqu’en 1860 – La présence française au Levant sous la IIIe République – La Première Guerre mondiale en Orient – Le mandat français en Syrie et au Liban – La Deuxième Guerre mondiale et l’Indépendance du Liban – La politique française au Proche-Orient depuis 1945 – Le Liban et la Syrie de l’Indépendance jusqu’en 1975 – La guerre du Liban – La deuxième République libanaise – Economie, culture et société. Un retour complet sur l’histoire pour permettre de mieux comprendre l’actualité et situer les enjeux en cours.

Dans la préface, Philippe Valode, auteur et directeur de la revue Actualité de l’Histoire, affirme: «Etre libanais est sans doute un privilège, puisque ce pays tente, envers et contre tout, de maintenir une société multiculturelle et plurireligieuse. Un exemple unique dans ce choc des civilisations auquel nous assistons, une confrontation qui semble se transformer, hélas, en choc religieux». Avant de conclure sa préface par ces propos: Et Ibrahim Tabet «s’interroge, in fine, sur la réalité de l’engagement français aux côtés des chrétiens notant que la politique culturelle française semble aujourd’hui privilégier les musulmans. Miracle permanent, le Liban peut-il résister à toutes les secousses qui attendent le Proche-Orient, voire servir de modèle au Printemps arabe de l’hiver 2011? N’est-il pas, à ce jour, la seule démocratie du monde arabe?».

Reprenant les idées transmises devenues leitmotive, les faits historiques, les analyses proposées, La France au Liban procède d’une approche très simple, chronologique et analytique en même temps, le rendant accessible à tout lecteur, tout en étant extrêmement pointu et étoffé. Une véritable référence qui permet de jeter la lumière sur les bouleversements actuels dans la région, à la lumière de l’Histoire. Le meilleur moyen de ne pas répéter les erreurs du passé?

Nayla Rached

 

Biographie de l’auteur
Franco-Libanais, Ibrahim Tabet est diplômé d’HEC. Il est l’auteur de deux ouvrages: Histoire de la Turquie de l’Altaï à l’Europe, publié aux éditions de l’Archipel et Empires et empereurs européens, aux éditions de Vecchi. Il écrit régulièrement des articles politiques et historiques dans la presse libanaise dont certains ont été publiés dans la revue Actualité de l’Histoire. Il milite en faveur de la francophonie au sein du monde des affaires, de la communication et des médias.

 

 

 

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