Magazine Le Mensuel

Nº 3014 du vendredi 14 août 2015

Livre

En Californie. Le Book Award remporté par Rabih Alameddine

Rabih Alameddine est devenu, au fil des ans, une voix littéraire incontournable. Son dernier livre, An unnecessary woman, a démontré, une fois de plus, l’étendue de son talent. L’auteur libanais, qui partage son temps entre la Californie et le Liban, nous ramène cette fois dans sa capitale d’origine à la rencontre d’Aaliya Sobhi.
 

Elle se sent inutile. Mais elle est tellement le contraire. L’héroïne du dernier livre d’Alameddine, Aaliya Sobhi, nous apprend tant de choses sur la vie. Par son biais, on réfléchit plus sur les années qui passent, la politique, la littérature et aussi la solitude. Qui est cette dame de 72 ans qui mène une vie de solitaire?
 

Une bibliothèque nationale
C’est une Beyrouthine qui voue une adoration pour son père. Elle l’a perdu alors qu’il est tout jeune. Lorsque sa mère se remarie, elle la délaisse pour s’occuper plus de ses demi-frères. Sa jeunesse n’a donc pas été si rose, ni ses années d’adulte d’ailleurs, puisqu’elle a épousé un homme qu’elle qualifie d’«insecte» et dont elle divorce rapidement. Un mariage raté, une vie de famille absente, un manque cruel d’amour: Aaliya nous dresse le bilan de sa vie alors que le temps passe.
Heureusement qu’une chose semble la sauver. Sa passion pour la littérature. Très tôt en effet, elle commence un vrai travail de traduction qui durera des années. Dès qu’elle lit un roman étranger qui lui plaît, elle le traduit en arabe. De roman en roman, de traduction en traduction, beaucoup de chefs-d’œuvre passent. Il y a Léon Tolstoï, mais aussi Sebald à qui l’on doit Austerlitz. Au total, durant cinquante ans, elle a pu stocker plus de trente-sept livres. Ces derniers sont d’ailleurs partout dans son appartement. Pareil à une bibliothèque, ils habitent l’endroit. Dans sa chambre… et même dans sa salle de bains. Mais le plus curieux, c’est qu’ils sont tous demeurés non lus. Ils sont sans vie, sans aucun contact avec le monde extérieur. Mais pourquoi donc cet isolement? Tout simplement, parce que, comme le dit Aaliya clairement, «la littérature lui donne la vie. Mais le monde extérieur la tue». Elle explique aussi qu’«il y a longtemps qu’elle se livre aveuglément à la parole écrite. La littérature est son bac à sable. Et le monde réel est son sablier».
A travers son héroïne, l’auteur nous révèle ainsi sa vision du monde extérieur, donc de Beyrouth et ses multiples visages. Les atrocités de la guerre, mais il n’y a pas que ça. Il y a surtout les difficultés qui pèsent sur une ville qui affronte par moments des catastrophes comme celle qui s’abat justement sur cette dame voyant le temps défiler. Aaliya a peur du peu de la vie qui lui reste. Une peur qui nous plonge dans nos propres craintes.
Avec ce livre, Rabih Alameddine a pu et a surtout su parler pour son lecteur avec finesse et délicatesse. Un Book Award largement mérité.

Pauline Mouhanna (États-Unis)
 

Pour plus d’informations:
 http://rabihalameddine.com/

Bio en bref
Né à Amman de parents libanais, Rabih Alemeddine a grandi au Koweït et au Liban. Il a poursuivi ses études en Angleterre et aux Etats-Unis. Il est journaliste, peintre et écrivain, auteur de nouvelles, ainsi que de romans dont le fameux Hakawati. En 2002, il a obtenu une bourse de la Fondation Guggenheim.

Related

Getting lost in Lebanon. Se perdre pour se retrouver

Liste Goncourt/Choix de l’Orient. Et le lauréat est Sorj Chalandon

A la rencontre des Eglises premières de Jacques Debs. Sur la trace des lieux de culte

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.