Pétillante de vie, simple et spontanée. Telle est l’impression que vous donne l’ambassadeur d’Espagne au bout de quelques minutes passées en sa compagnie. En poste au Liban depuis juillet 2012, elle se sent parfaitement adaptée, d’autant plus que la chaleur des Libanais n’est pas sans lui rappeler celle des Espagnols. Portrait de Milagros Hernando.
C’est dans son bureau déjà marqué de son empreinte qu’elle nous reçoit. Elle y a affiché sur les murs et les portes des photos avec sa famille et ses amies, venues la saluer à Madrid avant son départ pour le Liban. Quand on s’adresse à elle par «Excellence», elle répond très vite d’un sourire bienveillant «Mon nom est Mila, appelez-moi Mila».
C’est à Bilbao, dans le nord de l’Espagne, où sa famille vit toujours, que Milagros Hernando est née. Elle se rend à Madrid pour étudier les sciences politiques et la sociologie. Elle collabore au département d’histoire des mouvements politiques et obtient une bourse pour un master à l’Institut d’études européennes de Strasbourg, où elle passe un an et demi. Elle étudie également le français.
Femme et diplomate
«J’étais la première étudiante espagnole à l’institut et j’étais invitée à toutes les réceptions. A Strasbourg, j’ai connu l’ambassadeur d’Espagne auprès du Conseil de l’Europe. C’est lui qui m’a encouragée à entamer une carrière diplomatique car dans mon pays la diplomatie appartient à des familles traditionnelles. Ce n’était pas une décision a priori mais plutôt la continuité ou l’aboutissement logique de mon parcours», se souvient l’ambassadeur d’Espagne.
Dès le départ, la décision de Milagros Hernando est claire. «J’ai fait le choix d’une carrière diplomatique avec toutes les conséquences que cela comporte. Tant pour les hommes que pour les femmes, cette situation est compliquée. On pensait d’abord que ça l’était uniquement pour les femmes car on attendait d’elles un rôle bien déterminé, mais ce n’est pas vrai. Mes problèmes sont les mêmes que ceux de mes collègues masculins», assure Hernando. Elle considère qu’il ne revient pas à la seule femme d’assurer la stabilité de la famille. «Ce n’est pas le cas des diplomates uniquement. Beaucoup de professionnels ont ce problème. On ne peut pas imaginer aujourd’hui que la stabilité de la famille relève uniquement de la femme. L’évolution de notre société fait que les hommes et les femmes partagent le même type de problèmes quand on fait le choix d’une carrière. Mais vu que je n’ai pas d’enfants cela, il faut le dire, des plus», confie-t-elle. De toute façon, selon la diplomate, même si la situation est compliquée pour les enfants, c’est une expérience intéressante pour eux et cela leur donne la chance de côtoyer des gens différents et d’apprendre plusieurs langues. «Je trouve magnifique que des adolescents de treize ou quatorze ans puissent parler couramment plusieurs langues, alors que nous avons dû faire des efforts énormes pour y arriver», dit-elle en souriant. Quant aux adultes, c’est pour eux l’opportunité de connaître les réalités sociales de chaque pays. «Les personnes qui bougent beaucoup doivent travailler sur leur stabilité intérieure. Elles emportent, en général, avec elles les objets auxquels elles tiennent. Il faut être préparé à ce genre de situation et connaître ses propres limites», estime-t-elle.
Presque tous les continents
Amusée, elle raconte comment à Bilbao les gens se demandaient à quoi servait de dépenser de l’argent sur des études universitaires puisque de toute façon une fille finirait toujours par se marier. «Ma mère leur répondait immanquablement que si j’ai un diplôme, je pourrai faire autre chose et ne pas rester ici contre ma volonté. J’aurai le choix. Elle tenait absolument à ce que je fasse des études. C’est pour cela qu’il faut être à la hauteur du sacrifice que ma mère a fait», reconnaît l’ambassadeur.
Milagros Hernando a effectué de courtes missions en Afrique subsaharienne, avant d’être nommée au Pérou et en République tchèque. Elle rentre ensuite quelques années en Espagne avant d’être nommée ambassadeur au Liban. «J’avais déjà visité Beyrouth mais je ne savais rien du Liban. Beyrouth est une ville tellement vivante. On dit que Madrid ne dort pas mais je pense qu’en réalité c’est Beyrouth qui ne dort jamais», dit en souriant la diplomate. Elle met à profit l’été pour visiter le pays d’un bout à l’autre. «J’ai été à Tripoli, aux Cèdres, à Deir el-Qamar, Beiteddine, Byblos, Saïda, Tyr, Maghdouché, Cana, Nabatié», énumère Milagros Hernando. Avec les Libanais, le courant passe très vite. «Même si on ne parle pas la même langue, on se comprend avec les yeux et les gestes. Peut-être que l’influence arabe est plus importante qu’on ne le pense», dit l’ambassadeur. D’ailleurs, selon elle, lorsqu’on évoque la chaleur et l’hospitalité des Espagnols, ceux-ci n’hésitent pas à vous dire que c’est certainement l’influence arabe. «Durant huit siècles, nous étions en contact avec la société arabe. C’est un mélange de cultures. Beaucoup de mots espagnols sont d’origine arabe. La musique, l’architecture et la cuisine arabes sont également très présentes. Aucun Espagnol ne peut se sentir mal au Liban, on y est très à l’aise». Dès son arrivée, l’ambassadeur a commencé à prendre des cours d’arabe.
Milagros Hernando est passionnée de musique. Elle possède une collection d’œuvres de tout genre: classique, jazz, populaire, moderne. Elle aime également la lecture. «J’apprécie le calme et la tranquillité. J’adore me retrouver seule, réfléchir longuement sur ce que je voudrai faire, établir des plans», confie-t-elle. Sans être une grande sportive, elle peut marcher pendant de longues heures en ville, flâner dans les rues de Hamra, sur la corniche, dans les Souks. «Une fois, nous avons suivi ce circuit en marchant huit heures dans Beyrouth, en s’arrêtant de temps en temps pour prendre un café ou regarder les vitrines. J’aime les promenades dans les villes mais à condition d’être accompagnée de quelqu’un», raconte Hernando. Elle n’est pas une adepte des réseaux sociaux (Twitter, Facebook…) surtout que le ministère des Affaires étrangères espagnol n’y a pas encore donné son feu vert. Sans avoir de devise particulière, Milagros Hernando apprécie l’époque du baroque espagnol, une période riche en création littéraire dont elle retient cette phrase: «Au portier comme au roi, au roi comme au portier». Une devise qui reflète la personnalité si attachante de l’ambassadeur d’Espagne…
Joëlle Seif
Tom Fletcher, un grand ami
Une solide amitié lie Milagros Hernando à l’ambassadeur de Grande-Bretagne Tom Fletcher. «Nous avions tous deux travaillé aux cabinets de nos Premiers ministres respectifs et nous avons des rapports extraordinaires Fletcher et moi», confie la diplomate. D’ailleurs, ils se sont retrouvés avec tout un groupe de diplomates à
Bruxelles pour dire au revoir à Tom Fletcher avant son départ pour le Liban. «Quand j’ai été nommée à Beyrouth, je me suis dit que j’y aurai au moins un visage familier»,
dit-elle en souriant.
Ce qu’elle en pense
Le Printemps arabe: «Ce sont les sociétés qui réclament leurs droits et leurs libertés.
C’est un espoir pour l’avenir. Beaucoup
considèrent que la dynamique est lancée mais je pense qu’il reste encore beaucoup à faire. Je suis optimiste mais il faut donner du temps à ce processus. Après un éclatement,
on ne peut pas trouver tout de suite le
chemin vers la démocratie. J’estime qu’il faut accompagner ces transformations. Il y aura peut-être des moments qu’on n’aimera pas, il faudra alors le reconnaître sans pratiquer la politique de l’autruche. Quand les choses vont mal, il faut le dire et ne pas se laisser entraîner par des intérêts politiques et
économiques. On ne peut pas imposer aux autres le modèle que nous aimons».
Crainte de guerre régionale: «Je ne crains pas une guerre dans la région aussi
compliquée que soit la situation. Dans cette partie du monde, on utilise le parapluie
religieux pour des luttes de pouvoir. Quand on parle de pouvoir religieux, on parle de foi et de Dieu. Les croyances sont plus
compliquées quand il s’agit de politique. La lutte entre la Palestine et Israël sert d’excuse
à toutes sortes de mouvements
fondamentalistes dans la région. Si l’on arrive à régler cette situation, on aura une excuse en moins pour tous ces mouvements».
Crainte pour les chrétiens: «Les chrétiens du Liban sont bien établis et ce sont eux qui donnent une stabilité au pays. Il ne faut pas qu’ils se cachent derrière leurs peurs. Ils doivent, au contraire, s’affirmer et montrer qu’ils ont un projet pour le pays. J’estime
que les chrétiens doivent avoir une
attitude positive et exprimer leur volonté de construire l’avenir avec les autres. Il faut lire et comprendre l’Histoire. Il y a toujours eu des extrémistes. Je n’ai pas de crainte au cas où les chrétiens manifestent une ouverture envers les autres. Mais personne ne peut prévoir l’avenir au cas où ils adoptent une attitude protectrice et renfermée».