Magazine Le Mensuel

Nº 2883 du vendredi 8 février 2013

POLITIQUE

Boutros Harb vs Hatem Madi. Guerre ouverte

Au lendemain de la demande, formulée par le procureur général, de la levée de l’immunité du député de Batroun, Boutros Harb avait promis qu’il ne se tairait pas. Il a en effet parlé et n’a pas épargné le magistrat Hatem Madi, s’engageant contre lui dans une confrontation directe devant mener, selon les termes du député, jusqu’à un début de réforme de l’appareil judiciaire.

Il faut faire remonter l’affaire au jour de l’attentat manqué contre le député Boutros Harb, le 5 juillet 2012. Dès le lendemain, la tentative d’assassinat a été politisée; les pôles du 14 mars montrant du doigt l’insécurité ambiante, et ceux du 8 mars fustigeant un simulacre de victimisation de la part de Harb et affirmant qu’il n’est pas la seule cible potentielle.
Ce dernier n’a eu de cesse de réclamer, depuis ce jour, une activation de l’enquête et l’arrestation des suspects, facilement reconnaissables, qui ont disparu de la scène du crime.

Une justice divisée…
Après avoir fait grand bruit durant l’été, l’attentat manqué a semblé être relégué aux oubliettes de la Justice, sans que l’opinion publique s’en émeuve outre mesure. Mais Harb, lui, n’a jamais baissé les bras. Le député n’a eu de cesse de relancer les organes judiciaires responsables, y compris le procureur général, le juge Hatem Madi, qui s’est saisi du dossier après sa prise de fonctions, en octobre 2012. C’est précisément ici que les choses se corsent. Selon Harb, lorsqu’il s’enquérait des avancées de son dossier, le procureur général se montrait froid et évasif…
Ce n’est que le samedi 2 février dernier que le commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire, le magistrat Sakr Sakr, émet un mandat d’arrêt contre le principal suspect, Mahmoud el-Hayek, un membre du Hezbollah.
Ne se contentant pas de se féliciter d’un juste retour des choses et d’une amorce de mise en marche de la machine judiciaire, le député de Batroun a fustigé les manquements de certains magistrats, qui seraient de mèche avec le Parti de Dieu. Il a aussi pris soin de remercier le président de la République, dont l’«intervention» a permis d’accélérer l’affaire.
Il n’en fallait pas plus pour le procureur de la République qui a aussitôt entamé une procédure visant à la levée de l’immunité de Boutros Harb, afin qu’il puisse être poursuivi pour insulte grave à la justice et au chef de l’Etat. Madi a aussi fait part de son doute sur le fait que Harb ait été le seul visé lors de la tentative d’attentat du 5 juillet dernier. Le magistrat a en effet relevé que le bâtiment où les explosifs ont été plantés abritait aussi un appartement appartenant au ministre de la Défense, Fayez Ghosn, ainsi que plusieurs établissements commerciaux. Il y a là de quoi s’étonner, et de pointer du doigt une justice apparemment divisée, puisque le mandat d’arrêt émis par le juge Sakr Sakr l’a été spécifiquement dans le cadre de l’enquête sur la tentative d’assassinat de Boutros Harb…
En tout état de cause, l’affaire aujourd’hui semble loin de se résoudre à l’amiable, puisque le député Boutros Harb a été plus loin que le procureur général, réclamant à son tour la levée de sa propre immunité et promettant au magistrat Hatem Madi de le poursuivre en justice pour avoir passé un «deal», avorté, avec le Hezbollah. Si ce marché s’avère exact, le procureur général de la République aurait cherché à ménager la chèvre et le chou, tout en laissant l’affaire sans réponse: le deal aurait consisté en une interrogation de pure forme du suspect, avant sa relaxe sans poursuite…
Saurons-nous seulement un jour le fin mot de l’histoire? L’affaire est grosse et les antécédents pour ce genre de cas, au sein de la justice libanaise, sont tout simplement inexistants.

Joumana Nahas
 

Ce que dit la loi
L’article 39 de la Constitution dispose clairement qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi pénalement en raison des opinions et des idées qu’il émet durant son mandat.
Par ailleurs, dans le cas où un député se rend coupable d’un délit ou d’un crime quelconque, de droit commun, l’article 41 prévoit qu’il ne peut être appréhendé que suite à l’approbation de l’Assemblée, sauf le cas du flagrant délit.
La question juridique est donc de savoir si Boutros Harb a simplement exprimé une opinion libre, un droit que le Premier ministre Najib Mikati s’est engagé à protéger, ou s’il s’est rendu coupable de diffamation. Le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui, pris entre deux feux, a promis de s’atteler à la question à partir de ses seuls aspects juridiques.

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