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Nº 2883 du vendredi 8 février 2013

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L’Armée en première ligne. Ersal, carrefour de l’islamisme

Khaled Hmayed, cible de l’opération militaire qui a coûté la vie au commandant Pierre Bechaalany et au sergent Ibrahim Zahraman, était un agent de liaison qui travaillait avec des organisations islamistes armées en action en Syrie, implantées depuis plusieurs semaines au Liban, dans la ville frontalière de Ersal.

Une semaine après les incidents de Ersal, le pays est encore sous le choc. On a tué et lynché un officier et un soldat de l’Armée libanaise, coupables d’avoir intercepté un homme d’une quarantaine d’années convaincu d’activités terroristes. Après trois jours de surenchères politiques et communautaires, d’informations et de témoignages discordants, le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, a calmé le jeu et réaffirmé la primauté de l’institution. Lundi, fait extrêmement rare, le chef des services de renseignements de l’armée, le général Edmond Fadel, met les choses au clair. L’opération de vendredi dernier était destinée à mettre Khaled Hmayed, recherché depuis plusieurs mois, hors d’état de nuire. Les agents de l’armée ont réussi à le localiser au sud de sa ville natale de Ersal. Il est aux alentours de midi, ce vendredi 1er février. L’unité qui l’a situé est composée de dix militaires, dont deux en civil, répartis sur deux Humvee. L’opération commence. Quelques mètres plus tard, les deux véhicules foncent sur Hmayed qui quitte son domicile à bord d’un pick-up Nissan foncé. Mais le suspect est armé. Il tire quatre balles en direction des soldats qui ripostent.

L’armée, une cible privilégiée
Ils mettent la main sur Hmayed blessé dans l’échange de tirs. Les soldats doivent quitter la zone au plus vite mais les routes boueuses et enneigées rendent difficile leur progression à travers les collines. Une heure pour parcourir un peu plus d’une quinzaine de kilomètres. Sur leur chemin, les deux véhicules sont encerclés par plusieurs dizaines de partisans de Hmayed, venus en mobylette. C’est une embuscade. Les dix soldats tentent de se défendre mais la loi du nombre est implacable. Le capitaine Pierre Bechaalany mourra au cours de ces affrontements. Le sergent Ibrahim Zahraman succombera à ses blessures faites au couteau. Ses compagnons sont désarmés et piégés. Certains à Ersal prétendront que les assaillants ne savaient pas qu’il s’agissait de soldats, les véhicules ne portant pas de plaques de l’armée. Mensonge, dit Fadel, huit d’entre eux étaient en treillis militaires. Les dix victimes sont transportées jusqu’à la place de la municipalité où elles sont exhibées comme des trophées. Il est 14 heures. Des vidéos de ces scènes sont postées sur la Toile. L’imam de l’une des mosquées de la ville, le cheikh Moustafa Hujeiri, alias Abou Taqyieh, aurait encouragé ses fidèles à commettre l’irréparable.
En plus des deux soldats tués, plusieurs assaillants ont perdu la vie vendredi dernier. Les responsables politiques salueront l’action de l’armée qui s’est fortement déployée dans et autour de la ville pour sécuriser la zone et mettre la main sur les dizaines d’agresseurs qui ont participé à l’embuscade. L’ensemble du monde politique, dont le Courant du futur qui demande des éclaircissements, affiche son soutien à l’armée. Plusieurs manifestations spontanées ont eu lieu cette semaine pour saluer la troupe. Mais du côté de Ersal, c’est la colère qui prédomine. Le maire de la ville, Ali Hujeiri, dénoncera le fait de ne pas avoir été prévenu de l’opération, ajoutant que Hmayed, qui a perdu la vie ce jour-là, n’était pas un terroriste. Malgré les appels rassurants des ulémas de la ville, les habitants, interrogés après l’épisode funeste, expliquent à demi-mot qu’il s’agit d’un piège fomenté par le Hezbollah, destiné à porter l’opprobre sur les sympathisants libanais des insurgés contre le régime syrien et la communauté sunnite dans son ensemble.  

Base arrière de l’insurrection
Depuis le début de l’insurrection en Syrie, Ersal est un point focal. D’abord en raison de son emplacement géographique. A dix kilomètres à l’est, la frontière qui sépare le Liban de la Syrie; une barrière montagneuse qui donne, de l’autre côté, sur  la route principale reliant Damas à Homs. Les deux grandes villes syriennes sont équidistantes à Ersal de 70 kilomètres seulement. A 22 kilomètres au sud, Baalbeck et à 20 kilomètres au nord, le Hermel. La ville exclusivement sunnite est noyée dans une mer chiite. C’est, en tout cas, ainsi qu’elle se vit. Depuis le début du conflit en Syrie, Ersal s’est littéralement mise au service de l’insurrection syrienne. Aujourd’hui, outre les 40 000 habitants que compte la localité, s’ajoutent plus de 20 000 réfugiés syriens disséminés sur l’ensemble de la commune. La municipalité a été la première à recevoir l’aide d’ONG et d’organisations charitables religieuses pour leur accueil.

Mais cette situation provoque, depuis plusieurs mois, des tensions qui finissent souvent par franchir la ligne rouge. Le 1er novembre dernier, des affrontements entre des habitants de la ville et des policiers ont fait dix blessés du côté des forces de l’ordre. Motif, des habitants qui transportaient un rebelle syrien blessé ont été stoppés à un poste de police, tout près de la frontière. Mais le blessé a fini par succomber à ses blessures pendant le contrôle de police. Ersal et ses réfugiés face aux postes-frontières de l’Armée syrienne régulière. Les abords de la ville sont, depuis plus d’un an, la cible d’un pilonnage qui a fait jusqu’à présent cinq victimes. Avec le flux de déplacés, cette base avancée de l’accueil des réfugiés du gouvernorat de Homs est progressivement devenue une base arrière de la lutte armée. Le nombre des combattants qui œuvrent en Syrie s’est fortement accru dans la ville ces dernières semaines, au point que celle-ci est devenue un centre de coordination de l’insurrection armée, plus protéiforme que jamais.

Qui est Khaled Hmayed?
Aujourd’hui, les rapports des services de sécurité estiment que Ersal compte 1 500 combattants libanais et syriens qui agissent en ce moment sur le sol syrien. Et Khaled Hmayed est l’un d’eux. Mais qui est-il exactement? «Un criminel dangereux recherché par les autorités de plusieurs pays», résume Edmond Fadel. Son pedigree est effectivement impressionnant. Hmayed faisait partie des ravisseurs qui avaient enlevé sept touristes estoniens en mars 2011. Son nom est également apparu dans l’enquête sur Abdel Ghani Jawhar, en son temps le terroriste le plus recherché du pays, pour avoir attaqué à deux reprises, avec le Fateh el-islam, les bus et des casernes de l’armée en 2008 à Tripoli, qui avaient coûté la vie à près d’une quinzaine de soldats et une dizaine de civils. Khaled Hmayed était fortement soupçonné d’avoir accueilli ce triste personnage à Ersal pendant une quinzaine de jours avant d’assurer son transfert en Syrie. Dans sa liste de méfaits, s’ajoute l’attaque du poste de police en novembre dernier.
Il voyage très régulièrement entre le Liban et la Syrie et chaque fois qu’il revient dans son pays natal, il n’utilise pas de téléphone portable. Le CV de Hmayed ne s’arrête pas là. Il est accusé d’entretenir des relations avec les Brigades Ziad Jarrah, affiliées aux Brigades Abdallah Azzam (voir encadré) et les groupuscules islamistes dans le camp palestinien de Aïn el-Héloué au Liban, tous proches de la mouvance d’al-Qaïda et le Front al-Nosra en Syrie, récemment placé sur la liste américaine des organisations terroristes. Soit quatre organisations ou nouvelles places fortes de l’insurrection syrienne. Le réseau de Hmayed est une nébuleuse islamiste armée et hétéroclite qui prend de plus en plus de poids face à l’Armée syrienne libre qui a pris les armes de l’autre côté de la frontière (voir page 32).
Khaled Hmayed, lui-même, faisait partie du Front al-Nosra, avec lequel il a combattu ces dernières semaines, alors que son frère serait, lui, un responsable des Brigades Azzam. Tous ces groupuscules terroristes ont trouvé au Liban, principalement dans les camps palestiniens, mais également dans des régions sunnites périphériques situées aux frontières nord, un terrain de liberté pour coordonner et recruter. Les extrémistes qui pullulent à Aïn el-Héloué et les jeunes échevelés n’en peuvent plus du joug syro-hezbollahi, ils ont ainsi tout intérêt à faire du Liban leur base arrière. Le village de Ersal, par sa structure communautaire et sa situation géographique, en est aujourd’hui une preuve évidente.

Julien Abi-Ramia

Les soldats salués en martyrs
Dimanche, le cortège funèbre de Pierre Bechaalany s’est arrêté à Ballouné, sur les hauteurs du Kesrouan, où habitait le commandant, qui laisse derrière lui sa femme, avec laquelle il était marié
depuis deux ans, et un bébé de deux mois. C’est un village en colère et en larmes qui salue pour une dernière fois l’un des siens. «Nous l’avons accueilli jeune marié, nous le recevons aussi en martyr», déclare dignement le maire de la ville Pierre Mzawak.
Le cercueil, drapé du drapeau libanais, s’est arrêté à Mrayjet, dans son village natal, près de Zahlé, où Mgr Mansour Hobeika, évêque maronite de sa région, a célébré les obsèques en l’église Saint-Georges, en présence de l’ancien chef d’état-major de l’armée, le général Chawki Masri, représentant le président Michel Sleiman, du général Adnan Yassine, représentant le ministre Fayez Ghosn et le commandant en chef de l’armée Jean Kahwagi, ainsi qu’un grand nombre de responsables locaux.
Dans son oraison funèbre, Mgr Hobeika a demandé à l’Etat de sanctionner les coupables, un engagement que le général Yassine a pris dans l’allocution qu’il a prononcée au nom du ministre Ghosn et du général Kahwagi. Une requête que le père du commandant Bechaalany a aussi formulée.

Les Brigades Abdallah Azzam
En mai 2012, le département d’Etat américain a inscrit, sur sa liste des organisations terroristes, les Brigades Abdallah Azzam, du nom d’un dignitaire religieux jordanien originaire de Palestine qui faisait partie des premiers volontaires arabes à rejoindre le jihad en Afghanistan contre les forces soviétiques dans les années 80.
L’organisation, créée en 2009 par le Saoudien Saleh el-Qaraawi, qui a combattu pour Abou Mossab el-Zarqaoui, représente al-Qaïda en Irak. Mais son activité s’étend sur l’ensemble du Moyen-Orient grâce à la formation de réseaux à travers la région. Sa branche libanaise, les Brigades Ziad Jarrah, réserve aujourd’hui ses forces dans la bataille contre le régime syrien.

Des islamistes libanais à Homs
Les combattants du Front al-Nosra sont en grande difficulté sur certains axes de la ville de Homs, où plusieurs ont péri ou ont été blessés, suivant des rapports sécuritaires libanais. Deux d’entre eux, dans un état grave, ont été transportés via Wadi Khaled dans un hôpital de Tripoli pour recevoir les soins nécessaires. Des dizaines de partisans libanais du Front al-Nosra seraient, par ailleurs, partis de Tripoli pour rejoindre les quartiers chauds de Homs, début janvier. Leur mission? Prendre le contrôle sur le terrain dans certains quartiers, non seulement pour combattre les forces de l’armée régulière, mais aussi pour se confronter à l’ASL. Certaines informations affirment que le commandement du Front al-Nosra sera installé dans le camp de Aïn el-Heloué où quelques groupes islamistes ont unifié leurs forces sous le label du Front. Il s’agit des Phalanges de Abdallah Azzam, de Fateh el- islam, de Jund al-Cham, ainsi que de plusieurs dissidents de Osbat al-Ansar et du Mouvement islamique jihadiste. Al-Nosra, branche libanaise, a entamé ses activités locales en prenant le contrôle du camp de Aïn el-Heloué à 50%, et en formant un commandement composé de Palestiniens, de Syriens, de Saoudiens et de Libanais.

Ali Nassar

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