Benoît XVI a décidé, à la surprise générale, de quitter ses fonctions le 28 février prochain. Une décision courageuse parce qu’historique -une première depuis six siècles– qui oblige le conclave à désigner un successeur au plus vite car les dossiers à traiter sont nombreux.
Le 4 février dernier, lorsqu’il fixe pour la semaine suivante un consistoire ordinaire pour la canonisation de trois bienheureux, Benoît XVI a déjà pris sa décision. Ce lundi 11 février, avec l’artisan italien Antonio Primaldo, la religieuse colombienne Laura de sainte Catherine de Sienne et la sœur mexicaine Maria Guadalupe, le pape entre dans l’Histoire.
«Frères très chers, je vous ai convoqués à ce Consistoire non seulement pour les trois canonisations, mais également pour vous communiquer une décision de grande importance pour la vie de l’Eglise. Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien».
Mis dans la confidence, le doyen du Collège des cardinaux, Angelo Sodano, improvise une allocution courte, simple et sobre qu’il prononcera avec émotion. Les cardinaux présents, eux aussi, semblent impassibles mais, en leur for intérieur, ils sont abasourdis.
Jean-Paul II, le référent
Benoît XVI aura cultivé le paradoxe jusqu’au dernier acte de son pontificat. Lui, le théologien, si habité par le temps long du divin, prendre une décision aussi politique, aussi révolutionnaire. Lorsqu’il n’était encore que le cardinal Ratzinger, il a vu son compagnon, son ami Karol Wojtyła déchoir, porter sur ses épaules les espérances d’un milliard de fidèles en souffrant le martyre. Il se souvient du traumatisme et du vide que Jean Paul II a laissés derrière lui. Pour une Eglise confrontée aux défis du monde moderne et multipolaire lui, qui côtoie les arcanes du Saint-Siège depuis plusieurs décennies, sait que la vacance du pouvoir serait tellement périlleuse. Bien sûr, les fidèles de la planète, eux aussi encore marqués par le règne de Jean Paul II, ont d’abord été surpris. Spontanément, ils estiment qu’un pape, ça ne démissionne pas. Effectivement, le terme exact, en l’occurrence, serait «renoncer».
Le Code du droit canonique prévoit cette éventualité. Canon 332, paragraphe 2: «S’il arrive que le pontife romain renonce à sa charge, il est requis pour la validité que la renonciation soit faite librement et qu’elle soit dûment manifestée, mais non qu’elle soit acceptée par qui que ce soit». Canon 44 paragraphe 2 du Code des canons des Eglises orientales. La seule condition pour que la renonciation soit valide est qu’elle soit faite «librement et se manifeste correctement». Le dernier chef de l’Eglise à avoir renoncé à ses fonctions est Grégoire XII qui, le 4 juillet 1415, décidera de renoncer à la tiare pontificale pour mettre un terme au Grand Schisme de l’Eglise, divisée alors entre Rome et Avignon.
Six siècles plus tard, Benoît XVI invoque des raisons de santé. Entre son apparition triomphale sur le balcon à Saint-Pierre juste après son élection, le 19 avril 2005, et les dernières images de lui, moins de huit ans plus tard, les différences physiques sont frappantes. Cet homme au visage clair, au regard rond et au sourire éclatant est devenu un vieux monsieur cambré et ridé qui se déplace sur des plates-formes roulantes. La bascule s’est opérée au moment de ses voyages au Mexique et au Liban, l’année dernière. On en sait aujourd’hui un peu plus sur son bulletin de santé.
S’il était d’autorité publique que Joseph Ratzinger s’était fait poser un pacemaker avant son élection au trône de l’Eglise, le Vatican a réussi à dissimuler le fait qu’il se soit fait opérer du cœur «il y a quelques mois dans un hôpital de Rome». Une information révélée, mardi par le quotidien italien Il Sole 24 Sole, et confirmée par le porte-parole du pape, Federico Lombardi, qui s’est empressé de dédramatiser le scoop. Il s’agit, selon lui, d’une «intervention qui n’a consisté qu’à changer les batteries, une opération de routine qui n’a rien à voir avec sa décision», ajoutant que «le Saint-Père n’a pas de maladie spécifique».
Alors, que restera-t-il de son pontificat? En écornant le dogme de l’infaillibilité papale, ce pape jugé, ici ou là, rétrograde et arcbouté sur une tradition désuète, n’a pas commis le seul acte de rupture de son magistère. Cet homme est avant tout hanté par le déclin du catholicisme. Le pontificat de l’intellectuel Benoît XVI a été marqué par le sceau de l’austérité. Et pas seulement dans la distance qu’il met dans toutes ses apparitions publiques. Benoît XVI aura publié trois encycliques -une quatrième sur la foi doit être révélée dans les prochains jours, notamment sur l’amour dont la finesse et la beauté lexicales resteront.
Il avait prévenu, dans son discours programme de décembre 2005, qu’il entendait réconcilier l’Eglise avec elle-même en mettant un terme à un passif qui la paralysait, depuis la fin des années 1970, donc depuis presque un demi-siècle. Alors que l’Eglise catholique avait cherché à se redéfinir lors du concile Vatican II, elle avait perdu une certaine substance, en se coupant de ses racines patrimoniales les plus anciennes. Conscient des conséquences de ce problème, Benoît XVI n’a eu de cesse de réconcilier l’Eglise actuelle, moderne, avec la tradition chrétienne de deux millénaires. Encore un paradoxe, cette quête d’identité et de paix intérieure l’a fait souvent passer pour un traditionaliste ne pensant qu’à une restauration, mais il a plutôt cherché la réconciliation.
Si cette dernière n’est pas totale, le chemin intellectuel que ce pape a fait accomplir à l’Eglise, en moins de huit ans, est considérable. L’Eglise catholique est sortie d’une certaine errance, elle sait mieux désormais qui elle est et où se trouve sa source.
Un nouveau pape sera élu avant Pâques. Peut-être dira-t-il un jour que l’affaire «VatiLeaks», la trahison de son majordome, les odeurs malsaines de corruption, de favoritisme et de guerres d’ego, l’auront profondément blessé. Sans doute l’écrira-t-il dans la résidence estivale des papes à Castel Gandolfo, dans les environs de Rome, où il séjournera dans un premier temps. Puis il se retirera dans le monastère «Mater Ecclesiae», situé dans les jardins du Vatican, jusqu’ici destiné à des religieuses et en cours de réfection. Le futur pape et son prédécesseur vivront alors à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. Une autre première historique.
Julien Abi-Ramia
Les successeurs potentiels
Se prêter au jeu des pronostics sur l’élection du nouveau pape, fondamentalement l’une des élections les plus ouvertes qui soient, peut s’avérer périlleux. Mais les observateurs au Vatican ont déjà mis en exergue trois personnalités aux profils prometteurs.
Par ordre alphabétique, se retrouvent parmi les favoris le cardinal canadien Marc Ouellet. Agé de 68 ans, un paramètre désormais essentiel, il a été nommé en juin 2010 à la tête de la Congrégation pour les Evêques, l’une des neuf «entités ministérielles» qui entourent le pape au Vatican, qui décide de l’ensemble des nominations des évêques dans le monde.
Vient ensuite le cardinal italien Angelo Scola. On dit de lui qu’il serait le candidat de Benoît XVI, dont il est très proche intellectuellement et sur un plan personnel. Et ce n’est que l’un de ses nombreux atouts. Agé de 71 ans, il vient d’Italie, plus gros contingent d’électeurs, il a dirigé le patriarcat de Venise et le diocèse de Milan, qui ont donné cinq papes au XXe siècle.
Ou alors est-il venu le tour des nouveaux territoires émergents comme l’Amérique du Sud ou l’Afrique? On aurait pu choisir le Nigérian Francis Arinze mais le profil plus jeune du cardinal ghanéen Peter Turkson, 64 ans et président du Conseil pontifical «Justice et Paix», l’équivalent d’un secrétariat d’Etat aux Affaires sociales dans le gouvernement du Vatican, est tout aussi prometteur.