L’adoption, par les alliés du CPL et les partis chrétiens de l’opposition, de l’article 2 de la proposition de la Rencontre orthodoxe, a enterré la loi de 1960 et entériné la proportionnelle. Elle oblige surtout le Courant du futur, le PSP et les chrétiens indépendants du 14 mars à de véritables concessions. Quitte à ce que l’impératif d’un consensus conduise au report du scrutin.
La messe n’est pas dite mais les opposants au projet Ferzli sont désormais au pied du mur. Jusqu’à la dernière minute, ils ont tenté de convaincre Nabih Berry de reporter le vote des Commissions conjointes. Mais le président du Parlement, contraint par le calendrier institutionnel imposé par la majorité, ne pouvait pas prendre cette décision. Depuis mardi matin, tout a changé mais rien n’a changé. Liés par les accords de Bkerké, les Forces libanaises et les Kataëb ont donc voté contre le Courant du futur. Même si le vice-président des FL, Georges Adwan, et le député Sami Gemayel ont essayé jusqu’au bout d’éviter cette situation, ce fait marquant pose plus que jamais la question de la pérennité de la coalition du 14 mars. Autre conséquence de ce vote, l’enterrement de première classe de la loi de 1960 qui disparaît des écrans radar, remplacée par un scrutin à la proportionnelle qui émancipe la voix chrétienne. Mais paradoxalement, ces changements, qui devenaient prévisibles au fur et à mesure des discussions, ne modifient pas fondamentalement la donne.
La colère du Futur et du PSP
Sur son compte Twitter, l’ancien Premier ministre Saad Hariri estime qu’il s’agit d’un «jour noir dans l’histoire de l’action législative libanaise». Et pour cause, ce vote constitue un véritable camouflet pour le leader naturel du 14 mars. Non seulement le projet de la Rencontre orthodoxe auquel il s’est clairement opposé a été adopté, mais les Forces libanaises et les Kataëb ont voté contre lui.
Ces derniers jours, les députés du Courant du futur, conscients de ce qui allait arriver, ont tout fait pour enrayer le processus qui s’est achevé mardi.
En sous-Commission, Ahmad Fatfat a tenté de ramener Georges Adwan et Sami Gemayel à sa cause. Les uns et les autres se sont échangé les propositions et les amendements, sans succès. Lundi, le président du Bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, a expliqué à Nabih Berry qu’une «loi électorale doit être soutenue par toutes les composantes de la société libanaise et non seulement par la majorité». Au début de la séance de mardi, le député Ammar Houri propose que le débat soit ajourné de 48 heures en vue d’ouvrir la voie à davantage de tractations sur ce plan. Berry soumet la suggestion de Houri au vote. Résultat, 24 pour, 31 contre. Mardi soir, le Bloc du Futur déclarait: «Cette loi est un cadeau idéal à l’ennemi israélien».
Les députés druzes ont exprimé cette même colère. Marwan Hamadé a affirmé que le projet ne passerait pas en séance plénière à l’Assemblée, allant jusqu’à déclarer que, dans le contexte actuel, les élections «n’auront pas lieu». Faisant écho aux propos de Saad Hariri, le leader du PSP Walid Joumblatt parle de «triste jour». Comme leurs collègues du Futur, les élus du PSP ont tenté, en sous-Commission et au cours d’entretiens avec Nabih Berry d’éviter le vote de mardi. Les deux partis ont perdu leur avantage dans le bras de fer sur la question.
Le jour d’après
Les promoteurs du projet orthodoxe ont poussé leur avantage au maximum. En résumé, ils ont réussi à poser leur proposition en alternative crédible et indépassable, obligeant leurs opposants à bouger. Michel Aoun, qui a sabré le champagne pour fêter «le jour le plus lumineux de l’Histoire du Liban», avant de remercier par téléphone le patriarche Béchara Raï, le leader des FL Samir Geagea, le président des Kataëb Amine Gemayel, le chef des Marada Sleiman Frangié et le secrétaire général du Tachnag Hovig Mekhitarian, n’ignore pas que vont se dresser face à lui plusieurs obstacles majeurs. D’abord, la volonté affichée par le chef de l’Etat Michel Sleiman de déposer un recours d’invalidation devant le Conseil constitutionnel. A l’heure où ces lignes sont écrites, le président de la République n’a pas réagi au vote de mardi matin mais il avait clairement fait part de ses intentions par le passé. Du côté de ses alliés, le général devra rester attentif aux initiatives de Nabih Berry.
Le président du Parlement est, sans doute, le moins enthousiaste parmi les victorieux de mardi. Adopté en Commission conjointe, le texte de la proposition orthodoxe doit maintenant être soumis au vote en séance plénière du Parlement. Il est le maître du calendrier législatif. C’est à lui qu’incombe le pouvoir de fixer la date de la séance fatidique. Et là, c’est une autre histoire. A ses yeux, l’opposition des sunnites et des druzes pose la question de la représentativité. Sans doute estime-il que le vote en Commission conjointe n’entérine pas la proposition orthodoxe. Sur le plan constitutionnel, sa position est imparable. Face à la menace brandie par le chef de l’Etat et son souci de l’accord, il pourrait laisser une dernière chance à des négociations sur un projet de loi électorale consensuel. Concrètement, en repoussant au maximum la date de la séance plénière. Aujourd’hui plus que jamais, parce que le temps presse, la question d’un report «technique», qui laisserait le temps à toutes les parties de se mettre d’accord, est posée.
Un report inévitable?
Les promoteurs de cette éventualité sont sans doute les partis chrétiens de l’opposition, qui doivent désormais donner des gages au 14 mars, donc au Courant du futur. Dès mardi, Sami Gemayel et Georges Adwan ont voulu rassurer leurs partenaires politiques. «Nous sommes toujours au début du processus, nous avons encore un long chemin avant l’étape du vote à l’Assemblée», affirme le député du Metn. «La porte d’une entente est toujours ouverte et ne sera jamais fermée jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi à l’Assemblée», renchérit l’élu du Chouf.
Une porte de sortie qu’emprunterait volontiers Ahmad Fatfat. «Nous avons présenté quatre initiatives […] Malgré notre retrait, nous continuons à tendre la main à toutes les parties pour aboutir à un accord». Tout en vantant le projet de la Rencontre orthodoxe, le député Alain Aoun a toutefois affirmé vouloir «donner une chance au consensus».
Dès lundi, Fouad Siniora expliquait que «le projet de loi électorale mixte proposé par le Courant du futur est, selon le président de la Chambre Nabih Berry, un premier pas vers un accord entre les partis politiques». Allégations qui n’ont pas été démenties par le leader du mouvement Amal. Ce qui a changé mardi, ce sont les modalités de la négociation. D’une certaine manière, pour le Hezbollah, le CPL et leurs alliés, le vote de mardi doit être perçu comme une initiative préventive. Sans doute estimaient-ils que l’enterrement de la loi de 1960 était une priorité, destinée à empêcher le Courant du futur et le PSP de se réfugier derrière elle. Désormais, les deux partis sont au minimum contraints de prendre acte de l’indépendance électorale des chrétiens et de l’importance de la proportionnelle, conditions sine qua non de leur juste représentativité. C’est donc au Futur et au PSP de rejoindre ceux qui ont voté en faveur du projet de la Rencontre orthodoxe. Les deux partis ont deux semaines pour orchestrer leurs contacts. Saad Hariri et Samir Geagea ont eu mardi un long entretien téléphonique. Et, de par leur proximité, les cadres du PSP vont très certainement intensifier leurs discussions avec Nabih Berry. Malgré le vote de mardi, les deux questions essentielles restent posées. Pour empêcher le report des élections, Nabih Berry fixera-t-il une séance plénière malgré l’absence de consensus? Pour éviter l’absence d’un consensus, retardera-t-il la tenue d’une séance plénière, quitte à reporter le scrutin?
Julien Abi-Ramia
Marwan Charbel prévient
Dans l’après-midi de mardi, le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, chargé d’organiser les élections, a expliqué que l’adoption en Commission conjointe de la proposition de la Rencontre orthodoxe ne suffit pas pour organiser des élections parlementaires à la date prévue. «Aucune élection n’aura lieu sans un consensus sur une nouvelle loi électorale. Ce qui s’est passé au Parlement avait pour but de donner à toutes les parties du temps supplémentaire pour la recherche d’une solution consensuelle. Sans consensus, pas d’élections».