Magazine Le Mensuel

Nº 2885 du vendredi 22 février 2013

general

Dans le bassin de l’Oronte L’autre guerre de Syrie

Sur le territoire syrien, entre le Hermel libanais et Homs, une enclave libanaise de 30000 habitants, installée sur les rives du fleuve de l’Oronte et majoritairement composée de chiites, est protégée par une milice locale formée par le Hezbollah qui combat les assauts de la rébellion dans cette zone. Eclairage.

Voici ce que disait le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en octobre dernier. «Il y a un fait que beaucoup occultent. Il s’agit du cas des villages syriens, limitrophes de la Békaa et habités en grande partie par des Libanais, toutes confessions confondues: chiites, sunnites, chrétiens, alaouites. Ces vingt-trois villages et douze fermes abritent 30 000 Libanais. Certains de ces habitants sont proches du Hezbollah, qui leur a laissé libre choix en ce qui concerne leur dissociation ou pas des événements en Syrie au début de la crise. C’est seulement lorsque les groupes armés ont attaqué leurs maisons, agressé, kidnappé et déshonoré leurs habitants que certains ont décidé de mener la bataille contre les agresseurs. Ces villages restent les cibles d’attaques quotidiennes». Quatre mois plus tard, la situation sur le terrain a changé. Dans ce secteur, délimité par Qaa dans le nord de la Békaa, Chouaghir dans le Hermel côté libanais, à dix kilomètres de la frontière à l’intérieur des terres et l’agglomération de Homs, situé à trente kilomètres de cette même frontière, plusieurs milliers d’habitants ont fui vers le Liban. Les maisons et les villages sont abandonnés. Ne restent aujourd’hui que quelque 5 000 hommes entraînés par le Hezbollah qui ont pour tâche de défendre cette zone contre l’insurrection armée.

Qusair, au cœur du combat
Autre fait marquant de ces dernières semaines, la communication du Hezbollah autour de ces événements. Depuis le discours de Nasrallah, le parti médiatise les funérailles des «martyrs du parti tombés dans l’exercice de leur devoir jihadiste». Au cours de ce week-end, un responsable du Hezbollah a affirmé à l’AFP que trois Libanais chiites avaient péri et 14 autres au moins ont été blessés dans des affrontements avec les rebelles, précisant qu’il s’agissait d’un acte d’«autodéfense». De son côté, pour l’agence Reuters, qui cite des habitants de la région et des opposants, au moins deux membres du Hezbollah et cinq insurgés syriens ont été tués dans des combats du côté syrien de la frontière syro-libanaise. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) avance un bilan de 3 chiites tués et de 21 blessés samedi dernier, ainsi que 10 morts du côté rebelle.
Les versions de l’opposition armée et du Hezbollah divergent. Selon Hadi el-Abdallah, membre de la Commission générale de la révolution syrienne, mouvance d’opposition en territoire syrien, les affrontements ont éclaté samedi 12 février lorsque le Hezbollah a cherché à s’emparer de trois villages à majorité sunnite contrôlés par l’Armée syrienne libre (ASL) au sud-ouest de la ville de Homs-Bourhanieh, Abou Houri et Safardja. «Les combattants du Hezbollah se sont déplacés à pied avec des lance-roquettes. L’ASL a dû appeler en renfort deux chars pris à l’armée d’Assad pour repousser l’attaque». Des vidéos mises en ligne par l’insurrection montrent, selon les dires des combattants qui apparaissent dans ces petits films, des combattants du Hezbollah en action.
Un scénario, relayé par Louay Moqdad, porte-parole de l’ASL, indique que quarante combattants du Hezbollah ont été tués. Mohieddine Zein, responsable de l’insurrection à Qusair, précise lui qu’ils étaient quarante-trois, parmi eux Ali Medlej, Abbas Haq, Hussein Kheireddine, Fadi Taha et Oussama Messara.

 

Homs-Damas, route stratégique
Les belligérants s’affrontent pour le contrôle stratégique de la région de Qusair. L’opposition syrienne armée veut sécuriser un couloir de ravitaillement pour ses opérations dans la région de Homs. Elle explique que le Hezbollah veut défendre les terres de chiites, assurer la continuité territoriale de sa zone de contrôle qui part du Hermel et de la Békaa-Nord et sécuriser la route Homs-Damas par laquelle transite son approvisionnement militaire.
Un argument balayé d’un revers de main par Hassan Nasrallah en personne. «Ceux qui pensent que la Syrie est devenue hors jeu et ne peut aider la Résistance et ceux qui pensent que la Résistance traverse une période de faiblesse et de confusion se trompent. Nous avons tout ce qu’il faut au Liban, nous n’avons pas besoin de transporter les armes de Syrie ou d’Iran».
Le Hezbollah maintient que les combats du week-end dernier sont intervenus après la chute, samedi, de deux roquettes dans les contrées du Hermel libanais, près de la ville de Qasr, lancées depuis la Syrie et une vaste attaque menée par la rébellion dans la zone du bassin de l’Oronte (voir encadré). Les combattants syriens ont incendié des maisons et des fermes. Ils ont utilisé des mitrailleuses pour mettre au pas les comités locaux de défense.
Les chiites tués sont-ils membres du Hezbollah? Non, répond Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH, interrogé par l’hebdomadaire français Le Point. «De tels combats ont déjà eu lieu par le passé, dit-il. Ils opposent des rebelles syriens à des citoyens libanais vivant en Syrie depuis des années, qui se battent pour protéger les villages à majorité chiite situés près de la frontière libanaise». «En dépit de nombreuses rumeurs autour de la présence en Syrie de combattants du Hezbollah, nous n’avons recueilli pour l’heure aucune preuve tangible en deux ans de conflit», assure Rami Abdel Rahmane.
Même son de cloche du côté du spécialiste du Liban Daniel Meier. «Si la possible chute de Bachar el-Assad constituerait sans doute un coup dur pour le Hezbollah, indique le chercheur associé au Center for Middle East Studies à Oxford, son autonomie lui permettrait de survivre, même en cas de renversement du régime syrien». C’est donc bien un agenda local qui semble avoir motivé les combattants libanais décédés samedi. «La frontière entre la Syrie et le Liban a été tracée arbitrairement, il y a 90 ans, sans que les populations locales aient été consultées, rappelle-t-il. Ainsi, des deux côtés, les habitants ont continué à cultiver de nombreux échanges, et certains au Liban-Nord, se considèrent aujourd’hui plus syriens que libanais».
Il s’est donc installé depuis plusieurs mois le pendant chiite de Ersal. Le Hezbollah admet désormais sa participation, même indirecte, au conflit qui secoue la Syrie. Les réactions politiques au Liban, toujours promptes à se positionner sur le sujet, n’occultent pas une évolution véritablement inquiétante. Apparaissent des imbrications communautaires, familiales et humaines qui sont bien plus profondes que la récupération politique du conflit en Syrie. Si désormais sont mis en jeu des liens humains de cette importance, une contamination à plus grande échelle de la guerre syrienne, qui emporterait le nord et l’est du pays, deviendrait inévitable.

Julien Abi Ramia

Des agriculteurs sans terre
C’est autour du lit du fleuve el-Assi (Oronte) et du lac Qattinah que se sont concentrés la plupart des Libanais chassés de leurs villages en Syrie. L’intercommunalité du bassin de l’Oronte est un ensemble de quinze petits villages délimités à l’est par la localité de Joussiyeh, située sur la route de Qusair qui borne la partie nord, et par le barrage de Qusair situé, lui, à une dizaine de kilomètres à l’ouest des deux villes précitées. Ces villages s’appellent Kawkaran, Diabiyeh, Blawzeh, Safsafeh, Jountaliyeh, Qarnieh, Wadi Hanna ou Howayek. Mais les deux plus grands regroupements de fermiers sont Zéta à l’ouest en contrebas du barrage, et Rablé, la grande localité grecque-catholique à l’est.  

Les druzes en question
Alors que Walid Joumblatt a, d’Arabie saoudite où il a rencontré le prince Bandar et Saoud el-Fayçal, réitéré son appui au changement en Syrie et à la déclaration de Baabda qui «rectifie le tir en matière d’armes, afin d’éviter qu’elles se fourvoient et se discréditent à Qusair ou ailleurs», l’émir Talal Arslane s’est rendu à Damas pour y rencontrer le président syrien Bachar el-Assad. «Il m’a expliqué qu’il avait fait des progrès sur le plan politique et qu’il était optimiste», explique l’émir druze.
De son côté, l’ancien ministre Wi’am Wahhab tenait une conférence de presse pour exprimer son «plein appui à la Syrie et à son président». Il a aussi promis de «combattre aux côtés des druzes de Syrie si jamais les habitants de Soueyda avaient besoin de son aide».

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