Le phénomène Ahmad el-Assir est révélateur du sentiment de gêne grandissant qui se manifeste dans la communauté sunnite. Un malaise qui, attisé par la guerre en Syrie, doit être rapidement traité, afin d’éviter au Liban l’abysse d’un conflit sectaire, de plus en plus proche.
«Le cheikh Assir est un provocateur, c’est une figure un peu caricaturale», tempère le journaliste Hazem el-Amine, spécialiste des mouvances salafistes.
Figure religieuse de Saïda, inconnue il y a un an, Ahmad el-Assir suscite de nombreux remous par ses discours virulents et ses actions souvent spectaculaires. Il a annoncé, cette semaine, son intention de lancer, à partir de vendredi prochain, «une série de mouvements de protestation» à travers tout le Liban. La semaine dernière, après avoir bloqué la route côtière de Saïda, le cheikh Assir et ses partisans ont procédé à un déploiement militaire autour de la mosquée Bilal Bin Rabah, dont il est l’imam. En un geste de défiance envers l’Etat, il s’est également montré avec un fusil-mitrailleur en bandoulière, portée au-dessus de sa abaya.
Une mobilisation militaire presque tragi-comique si on exclut les dangereuses répercussions que cet incident aurait pu entraîner dans la ville de Saïda, zone de mixité sunnite-chiite. L’action du cheikh aurait été en effet, selon ses dires, motivée par la présence de jeunes appartenant aux brigades de la Résistance, accompagnés de membres du Hezbollah patrouillant aux alentours de la mosquée.
«Nous appuyons le discours de cheikh Assir même si nous ne partageons pas tout à fait son approche sur le terrain», souligne le cheikh Bilal Dokmak, figure salafiste de Tripoli.
Le défi à la justice
Suite au déploiement armé autour de la mosquée Ben Rabah, le juge Sakr Sakr a lancé une investigation portant sur l’apparition des armes. Le cheikh a qualifié cette décision d’insultante. Il avait, au préalable, affirmé qu’il y répondrait lorsque le président de la Chambre Nabih Berry et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, seraient «jugés pour leurs crimes».
Ce discours, de plus en plus virulent visant principalement les factions chiites, s’inscrit dans la logique confessionnelle prévalant sur la scène libanaise depuis l’assassinat, en 2005, de Rafic Hariri, et pour lequel quatre membres du Hezbollah sont poursuivis par le TSL.
C’est donc dans ce contexte polarisé que tente de s’imposer le cheikh Assir sur la scène sunnite, de plus en plus déçue par la piètre performance de sa principale faction politique, le Courant du futur.
C’est également dans cette optique qu’Assir a réclamé la libération des détenus «islamistes» dans les prisons libanaises, dans le cadre d’une manifestation organisée, dimanche dernier, en plein centre de Beyrouth. L’islamiste avait alors appelé à une «intifada de la dignité» afin que les détenus soient immédiatement remis en liberté.
Peu de moyens
Hazem el-Amine estime, toutefois, que malgré ses déclarations et ses hauts faits d’armes, le cheikh Assir demeure un mouvement marginal incapable, pour le moment, de séduire l’audience sunnite libanaise. «Assir dispose au maximum d’une centaine de supporters, son financement est, contrairement aux rumeurs, peu important et provient en majorité des commerçants de la ville de Saïda», précise le journaliste.
Une opinion partagée par le cheikh Bilal Dokmak, qui considère que le discours du cheikh Assir est assez représentatif de la rue sunnite qui se sent marginalisée par les excès du Hezbollah mais trop faible pour rassembler les masses. «Il n’existe pas pour le moment de figure sunnite assez charismatique pour séduire la communauté dans son ensemble», commente le cheikh Dokmak.
Une faiblesse qui pourrait être temporairement un avantage pour le gouvernement dans le cas où il l’exploiterait rapidement, avant que la situation politique libanaise, de plus en plus calquée sur les événements en Syrie, n’atteigne un point de non-retour.
Le week-end passé, de violents combats entre l’armée syrienne et des groupes armés ont éclaté à Wadi Khaled au Akkar, à la frontière entre la Syrie et le Liban, faisant deux morts libanais et au moins quatre blessés. Ils ont fait suite à la mort d’un Libanais, Hussein Ismaïl, dit el-Azou, atteint par des tirs de sniper en provenance de Syrie. Cet incident avait provoqué la colère des habitants et mené à des accrochages impliquant l’utilisation de l’artillerie et d’armes automatiques. Jeffrey Feltman, secrétaire général adjoint pour les Affaires politiques de l’Onu, a d’ailleurs exprimé cette semaine, devant le Conseil de sécurité, l’inquiétude de la communauté internationale face à l’impact de la situation syrienne sur le Liban.
Selon el-Amine, ce qui retarde l’éclatement d’un conflit ouvert entre sunnites et chiites au Liban est sans doute la rareté des zones de mixité, à l’exception de la capitale Beyrouth et de la région de Tebbané à Tripoli. Le journaliste semble pessimiste. «L’implication grandissante du Hezbollah dans le conflit syrien et celle de sunnites extrémistes soutenant l’Armée syrienne libre et les jihadistes vont au final entraîner le Liban dans la guerre de Syrie. Cette possibilité me semble inéluctable à long terme».
Le cheikh Assir a d’ailleurs promis l’escalade et juré de se protéger «jusqu’à la dernière goutte de sang de ses veines», tout en soulignant que tant que la justice et les forces sécuritaires étaient sous «l’emprise des Iraniens, personne ne pourra briser le projet d’hégémonie de Téhéran sur le Liban».
Mouna Alami
L’affaire des détenus islamistes
La justice libanaise a entamé le 8 février les interrogatoires préliminaires de 21 détenus du groupuscule islamiste de Fateh el-islam, responsables de la mort de 170 officiers et soldats libanais dans la guerre de Nahr al-Bared, en 2007. Le procès des détenus commencera à l’issue de ces interrogatoires, devant la Cour de justice. Lors de son meeting dans le centre de Beyrouth dimanche dernier, Ahmad el-Assir a insisté qu’il n’accepterait pas qu’ils soient jugés après six ans de détention sans procès. «Qu’on les amnistie ou que l’on considère qu’ils ont purgé leur peine, faute de quoi le pays serait menacé de malheurs», a-t-il lancé.
La filière palestinienne
Certaines factions palestiniennes auraient accusé le cheikh Ahmad el-Assir de faciliter le passage de jihadistes appartenant à Fateh el-islam, Jound al-Cham et les brigades Abdallah Azzam en Syrie. Information qui doit être prise avec des pincettes, selon le journaliste Hazem el-Amine.