Magazine Le Mensuel

Nº 2886 du vendredi 1er mars 2013

ACTUALITIÉS

Ballet diplomatique. La bougeotte pour rien

A quelques jours du deuxième anniversaire du début de la crise, aucune issue ne semble se profiler en Syrie. Sur le terrain, les morts s’accumulent, tandis que sur le plan diplomatique, rien n’avance vraiment. Le conflit syrien n’est pas près de s’éteindre.
 

Ces derniers jours, la Syrie se trouve plus que jamais au cœur d’un intense ballet diplomatique. Avec, notamment, l’entrée en scène du nouveau secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Préféré à l’interventionniste Susan Rice, Kerry est aussi réputé pour sa connaissance de la Syrie et du président Assad, ainsi que pour son approche non partisane. Premier résultat de cette nouvelle ère, un sensible réchauffement des relations entre les Etats-Unis et la Russie, qui demeuraient très tendues ces derniers mois. Mardi, Kerry a finalement rencontré son homologue russe, Sergueï Lavrov, lors d’une escale à Berlin. «Nous comptons sur l’opposition, qui rencontrera à Rome des représentants de pays occidentaux et d’un certain nombre de pays de la région, pour aussi se déclarer en faveur du dialogue parce qu’elle a fait des déclarations contradictoires à ce sujet et également pour donner les noms de ses négociateurs», a déclaré le chef de la diplomatie russe.
Washington comme Moscou font donc, pour l’heure, front commun, pour convaincre une opposition syrienne toujours divisée sur l’éventualité d’un dialogue avec le régime de Bachar el-Assad. Le chef de la Coalition nationale syrienne, Moaz el-Khatib, avait pris de court ses compagnons en se déclarant prêt, le 30 janvier, à négocier sous certaines conditions. Il faut dire que l’opposition syrienne n’a plus vraiment le choix. Bachar el-Assad avait lui-même ouvert la porte à «un dialogue national» dans son discours du 7 janvier. Une initiative reprise ce lundi par Walid Moallem, à l’occasion de son passage à Moscou. Après son entrevue avec le chef de la diplomatie syrienne, Sergueï Lavrov a révélé que «Damas assure avoir une équipe de négociateurs et être prêt à entamer un dialogue au plus vite». «Un dialogue avec quiconque le veut, y compris ceux qui portent les armes», selon Moallem.
Autrement dit, la Coalition de l’opposition a tout intérêt à ne pas se défausser, afin de ne pas apparaître comme celle qui freine une solution politique. Moaz el-Khatib est attendu dans les prochains jours à Moscou, sans qu’aucune date n’ait encore été fixée. Entre-temps, et après maintes tergiversations, l’opposition syrienne rassemblée a finalement accepté de se rendre à la réunion des Amis du peuple syrien organisée à Rome ce 28 février. Fin janvier, la CNS avait décidé de boycotter toute réunion internationale, prétextant le manque de soutien d’une communauté internationale, Etats-Unis et Europe figurant au premier rang, qui refuse toujours de lui livrer des armes. Car, après les grands espoirs et la dynamique qui ont suivi la constitution de cette nouvelle coalition syrienne, et sa reconnaissance par une centaine de pays à Marrakech, l’opposition en est toujours au point mort. Tant et si bien que les dirigeants du CNS nouvelle version ne sont pas reconnus au plus haut niveau des institutions internationales, comme l’Onu, en tant qu’unique représentant de la Syrie. C’est bel et bien le régime de Bachar el-Assad qui occupe toujours le siège.
Avec l’arrivée de John Kerry à la diplomatie américaine, les contacts avec Moscou sont redevenus permanents, ce qui n’était plus le cas du temps d’Hillary Clinton. Selon des sources russes, Sergueï Lavrov aurait même réussi à convaincre les Américains du danger que représente l’organisation al-Nosra.
La Russie a donc repris la main, dans cette partie de poker qui ressemble, plus que jamais, à un jeu dramatiquement cynique. Les Etats-Unis semblent prêts à laisser la Russie mener les négociations, tout en achoppant sur un détail de taille, celui du sort de Bachar el-Assad. «Nous avons le sentiment que la Russie peut jouer un rôle-clé pour convaincre le régime syrien et tout le monde du besoin d’une transition politique», a ainsi plaidé John Kerry, sans toutefois tabler sur une grande percée diplomatique. Ce dernier reste sceptique quant à la volonté du régime de négocier. Une Russie qui aurait tout à gagner dans cette histoire, ne serait-ce que pour regagner sa place sur l’échiquier mondial.
Mais si Moscou ouvre la porte à l’opposition syrienne, elle n’en reste pas moins méfiante. Le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Alexandre Loukachevitch, a estimé mardi que «le rejet par certains leaders de l’opposition d’une possibilité d’en finir avec la violence et les souffrances du peuple syrien en établissant des contacts sans préalable avec le gouvernement est difficile à comprendre et suscite un profond regret». Un point de vue évidemment partagé par Sergueï Lavrov qui soulignait, avant sa rencontre avec Kerry, que des «extrémistes ont pris le dessus dans les rangs de l’opposition» syrienne, tout en les accusant de miser sur une solution militaire et d’empêcher toute tentative de dialogue politique.
Une perspective de dialogue, telle que proposée par la Russie, serait à même, selon Loukachevitch, de garantir «le maintien d’une Syrie souveraine et unie où tous les groupes de la population, indépendamment de leur appartenance ethnique et confessionnelle ou de leurs sympathies politiques, vivraient en liberté dans un contexte de paix, de stabilité et de démocratie». En somme, l’application des Accords de Genève.
Bref, malgré de timides avancées et le retour de relations russo-américaines à peu près cordiales, les Syriens ne sont pas près d’entr’apercevoir la lumière au bout du tunnel. Le conflit s’enlise, tandis que la solution politique est encore dans l’œuf.
Avec pour effet domino, la persistance de crises sporadiques à la frontière libano-syrienne, comme ces derniers temps à Ersal ou Wadi Khaled. Le nord-est du Liban va continuer à faire l’objet de bombardements, plus ou moins intenses, qu’ils proviennent du régime lui-même, ou de l’Armée syrienne libre. En Syrie, les combats se poursuivront donc, de plus en plus violents, avec leurs lots d’attentats de plus en plus meurtriers. L’opposition reste plus que jamais tiraillée par les extrêmes, tandis que Bachar el-Assad joue la montre, persuadé que le temps plaidera en sa faveur. Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, la Syrie d’hier semble bel et bien révolue. De l’avis de certains experts, comme Fabrice Balanche, si Assad venait à gagner la guerre, et encore pas sur l’intégralité du territoire, il «ne réussira pas à ressouder la majorité de la population autour de lui ou de son régime sur le long terme». 

Jenny Saleh

Yassino, le comique s’en est allé
A 75 ans, Yassine Bakouche a rejoint la triste liste des victimes civiles du conflit syrien. Comédien très populaire, il a incarné l’âge d’or des séries télévisées syriennes, notamment au sein de Sah el-nom, où il jouait avec talent Yassino, un employé d’hôtel à la fois naïf et généreux, toujours prêt à secourir son collègue Ghaouar, joué par une autre star du genre, Doreid Lahham.
Avec son sourire à toute épreuve, ses réparties et ses différents rôles, Yassine Bakouche a fait rire aux éclats des millions d’Arabes.
Le rire communicatif de Yassino aura finalement été réduit au silence, dimanche, lorsqu’une roquette s’abat sur sa voiture, dans le sud de Damas. Malgré les bombardements, le comédien avait continué à vivre dans sa maison, située dans le camp palestinien de Yarmouk. A l’annonce de sa mort, les 
hommages se sont multipliés, tant dans les médias que de la part d’anonymes. Qui, du régime ou des rebelles, est à l’origine du tir meurtrier? Chacun se renvoie la balle.

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