Magazine Le Mensuel

Nº 3046 du vendredi 25 mars 2016

ACTUALITIÉS

Visite historique d’Obama à Cuba. Le long chemin de la normalisation

C’est une visite historique que le président américain Barack Obama a entamée dimanche, en se rendant à Cuba, après cinq décennies de rupture des relations diplomatiques. Si le rapprochement paraît irréversible, de nombreux points de désaccord subsistent entre les deux pays.

«Que bola Cuba?» (Comment ça va Cuba?). C’est par ces quelques mots tweetés à son arrivée à l’aéroport José Marti, sur l’île de Cuba, que Barack Obama a entamé une visite historique. Cela faisait 88 ans qu’un président américain en exercice n’avait pas foulé le sol cubain. Depuis la visite de Calvin Coolidge, 34 ans avant la mise en place de l’embargo contre Cuba, en 1962. Si cette visite reste historique, Barack Obama n’a en revanche pas été accueilli à la sortie de son avion Air Force One par le président cubain, Raul Castro. Ce qui a d’ailleurs provoqué les foudres du candidat républicain à la présidentielle américaine, Donald Trump: «Il a accueilli des papes et d’autres dignitaires, mais pas Obama». Soutenu par le Vatican, le rapprochement entre Washington et La Havane était aussi devenu une pierre d’achoppement entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique latine qui faisaient pression, depuis des années, pour que Cuba ne soit plus mis au ban de la communauté internationale.
Accompagné de son épouse Michelle et de ses deux filles Sasha et Malia, le président américain s’est rendu, sous une pluie battante, dimanche soir, à la cathédrale de La Havane pour y rencontrer le cardinal Jaime Ortega. Cet homme d’Eglise a joué un rôle majeur dans la percée diplomatique de décembre 2014 entre Washington et La Havane. Ce rapprochement inattendu avait conduit au rétablissement des relations diplomatiques en juillet 2015.
Dans les rues de La Havane, on pouvait voir la famille Obama très encadrée par les services de sécurité, déambuler et saluer les Cubains et touristes amassés sur le parcours. Dans le même temps, plusieurs dizaines de militants du mouvement dissident des «dames en blanc» ont été arrêtés à l’issue de leur procession dominicale, alors qu’ils manifestaient pour exiger davantage de respect des droits de l’homme sur l’île.
Après cet intermède touristique, c’est lundi que les choses sérieuses ont réellement commencé. Barack Obama et Raul Castro se sont retrouvés à 10 heures du matin heure locale, pour se rendre ensemble au mémorial José Marti, considéré comme le père de la révolution cubaine. Les deux dirigeants se sont ensuite entretenus durant deux heures, loin des caméras, au palais de la révolution. Dans la conférence de presse qui a suivi, Barack Obama a fait savoir qu’il avait eu avec son homologue un échange «franc et honnête» et a appelé Cuba à améliorer son bilan en matière de droits de l’homme.
Si la rencontre devant la presse réunie là – une première pour Raul Castro – a débuté par des plaisanteries, elle a tout de même été agrémentée par des moments de tension ou de gêne. «Nous continuons d’avoir de sérieuses divergences, notamment sur la démocratie et les droits de l’homme. En l’absence de [progrès sur cette question], je pense que cela continuera à être un facteur très puissant d’irritation. L’Amérique croit en la démocratie. Nous croyons que la liberté de parole, la liberté d’assemblée et la liberté religieuse ne sont pas seulement des valeurs américaines, mais des valeurs universelles», a déclaré Barack Obama.
Agacé par une question portant sur les prisonniers politiques, le président cubain a rétorqué: «Quels prisonniers politiques? Donnez-moi un nom ou les noms. Et si ces prisonniers politiques existent, ils seront libérés avant la tombée de la nuit».
Le président cubain a, ensuite, défendu le bilan de son pays en matière de droits tels que l’accès aux soins, l’accès à l’éducation et l’égalité entre les hommes et les femmes.
Si Raul Castro a paru plutôt gêné sur la question des droits de l’homme, Barack Obama n’a, lui, pas réagi à la demande du président cubain de restituer à Cuba la base de Guantanamo.
L’économie était bien évidemment au cœur de cette visite historique. Rappelons que Cuba fait l’objet d’un embargo commercial strict de la part des Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle. Raul Castro a d’ailleurs réclamé à son homologue la levée de cet embargo qui a maintenu l’île cubaine dans un état de pauvreté extrême. Barack Obama s’est dit optimiste sur l’élimination des sanctions économiques qui reste pour l’instant bloquée au Congrès américain par l’opposition républicaine. La levée de l’embargo, si elle intervient, se fera, sans aucun doute, sous le mandat de son successeur à la Maison-Blanche.
Si la visite reste historique, ce n’est que le début du rapprochement américano-cubain. Depuis plusieurs mois, quelques mesures ont été menées en ce sens, comme le rétablissement des services postaux.
Mais la normalisation entre les deux pays longtemps ennemis reste pavée d’embûches. Et il n’est pas sûr qu’Américains et Cubains aient la même vision des choses.
Pour le régime cubain, la levée de l’embargo constituerait surtout un nouveau souffle pour l’économie en berne. Le gouvernement espère recevoir des investissements américains et de très nombreux touristes, mais aussi en profiter pour moderniser son industrie. Depuis quelques années, le gouvernement cubain imite plusieurs réformes économiques mises en place par la Chine il y a 35 ans. Par exemple, les agriculteurs peuvent vendre leurs produits sur le marché libre. Toutefois, le régime castriste a clairement affirmé qu’il n’était pas à vendre ni prêt à se laisser aller aux sirènes capitalistes. Pour l’heure, il instaure un modèle sur le type chinois, avec un maintien du parti communiste au pouvoir, tout en ouvrant de manière contrôlée l’économie. Le pays a déjà procédé à une série d’ouvertures vers des pays d’Amérique latine, le Canada ou l’Europe. C’est maintenant au tour des Etats-Unis.
De nombreuses voix se sont élevées craignant que l’île cubaine, au charme désuet, ne soit transformée en usine à touristes.
La réconciliation américano-cubaine devrait bien sûr accroître l’essor du tourisme américain qui est, jusqu’à aujourd’hui, réglementé. Premier signe, le feu vert accordé par le département du Trésor américain à la chaîne hôtelière Starwood pour ouvrir deux hôtels à La Havane. Il s’agira de la première multinationale américaine à s’installer à Cuba depuis 1959.

Jenny Saleh

Retour sur l’histoire
C’est en 1959 que Fidel Castro prend le pouvoir, après plusieurs mois de guérilla contre le dictateur Batista, soutenu par les Etats-Unis. Très vite, Castro choisit le camp communiste, au grand dam des Américains, inquiets d’un régime pro-URSS à seulement 100 km de la Floride. En 1960, les compagnies américaines à Cuba sont toutes nationalisées sans compensation.
Un an plus tard, Washington rompt ses relations diplomatiques avec Cuba. La même année, les Américains arment des exilés cubains anticastristes qui débarquent dans la fameuse Baie des cochons pour tenter de renverser le régime. L’opération sera un fiasco total, accélérant le rapprochement de Cuba avec Moscou. En 1962 est décrété l’embargo américain sur Cuba pour étouffer l’île. Castro, qui craint une nouvelle invasion américaine, donne son autorisation pour l’installation de missiles nucléaires soviétiques à Cuba. Les principales villes de la côte est américaine sont désormais à portée de tir. S’ensuivra la fameuse crise des missiles qui aurait pu provoquer un affrontement nucléaire majeur entre les Etats-Unis et l’URSS.

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