Sa quête d’absolu et son aspiration aux valeurs universelles l’ont poussé vers la magistrature, meilleur moyen, selon lui, de servir la justice et de dire le droit. Sa nomination à la tête du Conseil supérieur de la magistrature a fait souffler un vent d’optimisme sur une justice très souvent cible d’attaques. Portrait du magistrat Jean Fahed.
Il aurait pu être moine. Mais il a choisi une autre voie dans la fidélité aux principes qui lui ont été inculqués au foyer et au collège Notre-Dame de Louaizé où il a reçu son éducation scolaire. Il entreprend ensuite des études de droit à l’Université Saint-Joseph (USJ), puis à Paris, convaincu qu’être au service de la justice est une autre forme d’engagement. Un jour de l’été 1979, son père rentre à la maison, brandissant un journal qui comportait une annonce sur le concours d’entrée à l’Institut des études judiciaires. «J’ai tout de suite décidé de présenter ce concours car j’estimais que si l’avocat défend le droit, c’est le juge qui rend justice», confie le président Jean Fahed. Il est classé premier au concours d’entrée et quitte l’Institut des éudes judiciaires, major de promotion. Il commence alors un parcours impressionnant qui le mènera à la plus haute instance judiciaire du pays.
Un parcours exceptionnel
Sa carrière est riche et jalonnée de plusieurs étapes. Il est d’abord juge unique à Jdeidé, ensuite conseiller auprès de la Cour d’appel du Mont-Liban et à la Chambre d’accusation du Mont-Liban, puis président de tribunal à Jdeidé et ensuite président du Tribunal de grande instance de Beyrouth (Chambre commerciale). En 1999, il est le plus jeune magistrat, membre du Conseil supérieur de la magistrature. Procureur général du Mont-Liban (2000-2002), président de chambre à la Cour d’appel de Beyrouth (2002-2003), commissaire du gouvernement auprès du Tribunal militaire (2003-2009), membre du CSM et du Haut conseil disciplinaire (2009-2012), Premier président de la Cour d’appel de Beyrouth (2009), il est nommé en 2012 président du CSM, et de ce fait, devient à 58 ans à peine, le Premier président de la Cour de cassation du Liban, ainsi que président de la Cour de justice. «Dans toutes les fonctions que j’ai occupées, j’ai toujours donné le meilleur de moi-même. Mon approche variait selon ma fonction. Auprès des tribunaux civils, j’étais à la recherche de la vérité et de la science juridique. Je voulais approfondir mes connaissances juridiques. La période où je fus conseiller fut très riche et bénéfique sur le plan de l’expérience acquise auprès des présidents de chambre. J’ai appris comment traiter les dossiers et communiquer avec le justiciable». Auprès du parquet, c’est le bon sens et la justice qui prévalent. «Je ne perds jamais de vue que je traite avec des personnes. La recherche de la justice ne doit pas nous faire oublier que l’on a affaire à des êtres humains», dit-il. Partout où il va, son souci majeur est de concilier les gens et de faire régner la paix sociale à côté de la justice. Il est connu pour être toujours en quête d’une solution à l’amiable, qui servirait l’intérêt des deux parties.
Entre la foi et le droit
Le président Jean Fahed est un homme profondément croyant. «Il existe une complémentarité entre ma foi et ma mission. Le juge puise sa force dans sa foi. Dieu, notre Père céleste, nous aime d’un amour gratuit et infini et lorsque nous sommes comblés par cet amour, ceci se reflète sur notre comportement avec autrui. Cet amour crée en moi un respect pour tout le monde. Il faut préserver la dignité de l’autre et porter sur lui le même regard que Dieu porte sur nous». Pour lui, le juge est un être humain qui traite avec un autre être humain. Ceci s’étend à tous les actes du magistrat et s’applique aussi bien sur sa vie professionnelle que personnelle. «Mes décisions ne se font jamais aux dépens du droit. Et même lorsque je condamne quelqu’un à la prison, ce n’est pas dans un esprit de vengeance. Je le fais comme un père sanctionnerait son fils afin que celui-ci s’améliore et se réhabilite».
Porte ouverte
Cette vision des choses influe sur sa manière d’être et sur son comportement avec les autres. «J’ouvre mon cœur et ma porte à tout le monde». Jamais le président Fahed ne vous fait sentir que vous êtes en présence du plus haut magistrat de la République, un homme débordé par sa charge et ses dossiers. Il est d’une simplicité désarmante qui se reflète dans chacun de ses gestes et chacune de ses paroles. Il accueille tout le monde avec la même affabilité et la même gentillesse. Il propose un café à tous ses visiteurs quelles que soient leurs fonctions ou leurs hiérarchies. Il s’enquiert de chacun, demande de leurs nouvelles, de celles de leurs familles. Au cours de notre entretien, son bureau ne se désemplit pas. Avec un sourire, il s’excuse de les faire attendre et poursuit la conversation calmement. Tous les présents l’écoutent avec un grand intérêt. Sa sérénité se reflète sur son visage. «C’est de l’amour infini que Dieu nous porte que je tire ma force». Pour lui, le juge ne doit pas oublier que, lui aussi, a des comptes à rendre, devant sa propre conscience et devant Dieu. «Les droits des citoyens sont sacrés. Je suis intraitable à ce sujet et je ne fais aucun compromis».
Rétablir la justice
Sa nomination à la tête du CSM représente beaucoup d’espoir pour une justice souvent accusée de bien de maux et où les interférences sont nombreuses. «Nous avons une excellente justice et de très bons juges. Il y a sûrement des erreurs, mais il faut voir aussi l’aspect positif des choses. Je ne débarque pas dans une situation désespérée quoique certains ajustements soient nécessaires», confie le magistrat.
Il estime que si certains politiciens interfèrent dans le cours de la justice, ce n’est pas toujours leur faute mais parfois celle des juges qui permettent ce genre d’attitude. «C’est au juge de protéger son dossier et de rejeter toute forme d’interférence. Le jour où tout le monde sera traité de la même manière et toute forme d’ingérence refusée, plus personne ne pourra se mêler. Mais lorsque certaines requêtes sont acceptées, ceci encourage les autres à faire de même».
Selon Jean Fahed, il existe aussi un manque de culture judiciaire chez les citoyens, une ambiance générale dans le pays qui ne reflète pas la réalité. «Si le plaignant perd son procès, il attribue la faute au juge. Les plaignants ont toujours tendance à trouver un appui extérieur auprès du juge, alors qu’effectivement c’est le dossier qui détermine l’issue du procès. Ce mouvement prend de l’ampleur car nous vivons dans une société étroite où tout le monde se connaît. Pour le magistrat, malgré certains avantages du confessionnalisme, celui-ci reste un grand problème qui touche tout le pays et atteint toutes les institutions de l’Etat».
«Nous avons besoin de personnes qui rappellent qu’on peut réussir en ayant des valeurs et des principes», ajoute Jean Fahed. Quand on lui dit qu’il est parmi les rares à en avoir, avec une grande modestie, il affirme: «Je ne suis pas le seul. Il existe beaucoup de juges comme moi qui livrent des batailles au quotidien. Je suis peut-être plus connu que d’autres car j’ai été, de par mes fonctions, sous les projecteurs de l’actualité dans des instants cruciaux que le pays a traversés».
Marié à Maha Chartouni, Jean Fahed est père de quatre enfants: Jean-Pierre (23 ans), Nadira (21 ans), Marc (20 ans) et Najat (19 ans). Malgré ses multiples occupations, il leur consacre beaucoup de temps. «Mon plus grand appui, c’est ma famille. Chaque année, ma femme et moi nous nous livrons à une évaluation de l’année écoulée, nous parlons de nous-mêmes, de nos enfants, nous faisons des plans pour l’avenir et nous nous divertissons». Deux fois par an, ils passent des vacances, au Liban ou à l’étranger, en compagnie de toute la famille, à qui il consacre aussi la journée du dimanche.
Son village natal, Achkout, occupe une place particulière dans son cœur. «C’est le théâtre de mon enfance, de ma jeunesse, de toute ma vie. Jusqu’à mon départ en France, j’y vivais étés et hivers». Il connaît tout le monde, les jeunes et les vieux et s’intéresse à chacun. «Il existe à Achkout, quelques milliers d’habitants, et je les connais presque tous et chacun personnellement». Son père était président de la municipalité. Sa mère était très aimée au village. Ils lui ont appris l’amour du prochain et ont contribué à faire de lui un homme de paix. Durant son temps libre, il tente de régler les problèmes des uns et des autres. «Aimer c’est aider et servir. L’amour c’est le don de soi. C’est comme ça que j’ai grandi et c’est ainsi que je suis».
Joëlle Seif
Un miraculé
C’est miraculeusement que Jean Fahed et sa famille échappent, en 1994, à l’attentat de Notre-Dame de la Délivrance à Zouk, où ils ont l’habitude de participer à la messe, chaque dimanche. «Nous étions assis au quatrième rang de gauche, alors que
l’explosion s’est produite à côté du premier banc de droite. Par miracle, les explosifs installés à gauche n’ont pas explosé». Sa mère et son fils sont légèrement atteints par des éclats. Après avoir ramené sa femme et ses enfants à la maison, il retourne à l’église pour aider les blessés. «J’étais inquiet pour le prêtre et pour tous les présents que je connaissais pour la plupart. Ma femme était enceinte à ce moment-là, et c’est pourquoi nous avons appelé notre fille, Najat».
Ce qu’il en pense
Le mariage civil: «Je suis pour la liberté de chacun. Je ne suis pas contre le mariage civil, mais celui-ci a besoin d’une législation qui en règle les détails. Je respecte l’avis donné à ce sujet par le Haut comité
consultatif du ministère de la Justice».
Le projet de loi orthodoxe: «Le Liban est un pays de consensus et de pluralisme. Ces deux constantes doivent être respectées en plus du principe de la juste représentation».
Ses loisirs: «J’aime la natation et le
jardinage. J’aime travailler la terre. Ma maison de Achkout est entourée d’un bois de chênes. Je me passionne pour tous les projets de développement. Au village, j’ai contribué à la réalisation de plusieurs projets tels que les routes, la création d’un dispensaire, d’un
jardin public, d’une école officielle».
Sa devise: «Conviction et action. Une fois convaincu par quelque chose, il ne faut pas en rester là, mais passer rapidement
à l’action».