Magazine Le Mensuel

Nº 2887 du vendredi 8 mars 2013

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Joe Kodeih. Talents multiples

Acteur, auteur et metteur en scène, il a plus d’une corde à son arc. Depuis quelques années, il présente avec grand succès des «One man show» et remplit à lui seul la scène. Il fut le premier Libanais à mettre en scène en 2003 sur les planches du off-Broadway, au théâtre Lamama ETC, une pièce intitulée The Middle Beast. Portrait de Joe Kodeih.

Il est originaire de Kobeyate, un village du Akkar. Comme la plupart des habitants de la région, son père était officier dans l’armée. Aujourd’hui à la retraite. Sa mère est originaire de Tyr et lui est né à Achrafié, dans une famille de trois garçons: Marc, Patrice et lui. «Je ne descends pas du péché originel. Je suis né par césarienne. C’est la raison pour laquelle ce thème revient souvent dans mes pièces» confie Joe Kodeih avec amusement. Pour lui, la femme est quelque chose de sacré surtout qu’elle porte la vie dans son sein. «L’origine du monde de Gustave Courbet est pour moi l’un des plus beaux tableaux». Pourtant, reconnaît-il, cela ne l’empêche pas de commettre beaucoup de gaffes avec les femmes. «Tous les hommes restent de grands mômes qui n’ont pas mûri».

Une enfance marquée par la guerre
L’enfance est une époque chère au cœur de Joe Kodeih. Celle-ci revêt une grande importance pour lui. «Tout se joue durant cette période: la formation de l’être humain, ses peurs, ses angoisses, ses repères d’identification…». Il garde encore les images d’une belle enfance passée à jouer dans les rues d’Achrafié. «Il y avait encore des jardins où on pouvait jouer et grimper sur les arbres. Rien de tout cela n’existe plus et les enfants de nos jours jouent avec leurs iPad et leurs ordinateurs».
Il fait ses études scolaires principalement à Notre-Dame de Jamhour. «J’ai changé 18 écoles durant ma scolarité, d’une part à cause de mes notes et, d’autre part, du fait de la guerre». Quand la guerre éclate, Joe Kodeih est âgé de sept ans. Il se souvient encore de ce jour où il n’avait pas compris que la guerre avait commencé mais avait bien senti que quelque chose d’absurde se produisait. «Ce jour-là, le ciel était gris. J’étais dans la chambre de mon frère, je jouais avec un pistolet en plastique. Je me souviens encore de la couleur bordeaux des draps». Marqué par la guerre, certaines images sont gravées dans sa mémoire, comme celle des meutes de chiens, attirés par l’odeur du sang et qui envahissaient les rues. «J’ai eu une peur bleue le jour où j’ai croisé deux chiens énormes devant la maison». Mais, il avait aussi des souvenirs heureux comme les soirées où les voisins se réunissaient pour des représentations théâtrales où chacun devait raconter une anecdote ou une histoire. «La plupart des scènes que j’ai écrites sont tirées des événements que j’ai vécus jeune. Je me rappelle du jour où ma mère avait débarqué avec une casserole sur la tête pour se protéger d’un franc-tireur installé en face de notre immeuble. Nous vivions comme des nomades dans notre propre pays. Entre la montagne, la côte et Beyrouth. Je suis imprégné par tous ces changements qui ont quelque peu façonné mon goût pour la mise en scène. Cette manière de changer de lieux c’est comme si l’on changeait de décor et de scène». Il ne quitte jamais le Liban pendant la guerre. «Beaucoup parlent de la guerre sans l’avoir vraiment vécue. Moi je l’ai vécue mais j’en parle rarement. Pourtant, elle est toujours présente dans mon comportement».
Pour cet artiste de talent, le choix de la mise en scène ne s’est pas tout de suite imposé et il connaît quelques hésitations avant de choisir sa voie. «J’étais attiré au départ par la peinture et le dessin. J’ai essayé de faire du stylisme mais j’ai senti que ce n’était pas moi. J’ai tenté aussi d’étudier à la BUC (actuellement LAU) l’interior design». Mais un tournant décisif a lieu dans sa vie le jour où il reçoit une balle dans le pied. «J’ai arrêté mes études et, pendant deux ans, je n’ai rien fait. J’étais à la recherche de quelque chose sans savoir tout à fait ce que c’était. Mon frère faisait du théâtre mais ça ne m’a jamais attiré». Derrière son apparence décontractée et un solide sens de l’humour, Joe Kodeih est un grand timide. «Je suis réservé de nature. Je me cache dans mon cocon, à la limite je fuis les gens». Un jour par hasard, alors qu’il accompagnait une amie qui présentait l’examen d’entrée à l’Iesav, il décide de présenter le concours lui aussi et il est admis. «Je me souviens du jour où je fus admis à l’Iesav. Je campais à Laqlouk et l’épicier chez qui nous nous fournissions, qui se trouvait à 6 kms, était venu à pied pour m’annoncer que mon père avait téléphoné pour dire que j’avais été accepté».

Un grand timide
Durant la première année d’études, il était hors de question pour lui de monter sur scène. «J’étais timide et je me sentais d’autant plus gêné que j’étais plus âgé que la plupart des étudiants». Jusqu’au jour où il était censé jouer sept secondes un passage de la pièce de Rabindranath Tagore Une corbeille de fruit. Mais trois jours avant la date prévue, il change tout et décide d’interpréter la chanson de Jacques Brel Ces gens- là en monologue. «J’ai été très longtemps bissé ce jour-là mais le trac que j’ai eu m’a donné envie de me cacher sous terre».
Ce mal qui frappe tous les artistes quel que soit leur âge ou leur expérience n’est pas du tout étranger à Joe Kodeih. «Avant chaque représentation, j’ai toujours la même sensation: une peur bleue, des mains froides, le sentiment d’avoir totalement oublié mon texte et je me demande ce que je fais là. Mais dès que je suis sur scène, tout change. Pourtant, il m’arrive aussi d’avoir des crises de panique sur scène, je continue quand même. En fait, c’est ce qui est beau et c’est ce qui rend chaque représentation unique». Pour monter sur scène, il a un rituel bien à lui. «J’arrive bien avant le temps. Je prends le pouls du lieu, je mets un peu d’ordre. Je fais ensuite quelques mouvements de respiration et de concentration. Je répète le texte, je fais des exercices de diction puis je repasse mes vêtements, je vérifie la scène, je prépare mes bouteilles d’eau…». Selon l’acteur, le trac est le passage entre deux mondes: de celui de la personne à celui du personnage. «Même si dans la vie je suis égal à moi-même dans la pièce j’incarne quelqu’un d’autre».
A l’actif de Joe Kodeih, plusieurs pièces qu’il a jouées, écrites ou mises en scène avant de se consacrer ces dernières années à des monologues. «Les monologues sont les plus difficiles car ils reposent sur une seule personne. Je suis alors narrateur et plusieurs personnages à la fois. Dans les pièces il y a plusieurs acteurs, les costumes, les décors, les dialogues…». Six monologues qu’il a écrits jusqu’à présent: Matar Charles de Gaulle en 1999 joué par Betty Taoutel, Ashrafié, Hayet el jagal so3be, Ana, Film cinama et Le JoCon qu’il présente actuellement au théâtre Beryte jusqu’au 23 mars. En 2003, il fut le premier Libanais à présenter un spectacle à l’Off-Broadway. «Cette pièce a été reprise en 2008 au Liban où, comme aux Etats-Unis, elle a connu un très grand succès malgré le fait qu’elle m’avait valu des menaces indirectes». Kodeih a joué et mis en scène des pièces de théâtre un peu partout en Europe, aux Etats-Unis et dans les pays arabes. «J’ai essayé de travailler sur un film cinématographique aux Etats-Unis mais le cinéma est un monde à part, complètement différent de ce que je fais. Là, c’est un théâtre pauvre où il y a un dépouillement total sur scène et dont le succès repose sur le texte et l’énergie de l’acteur». En novembre 2012, il présente un Best of à Paris. Malgré la profusion de pièces qui se jouent en ville, Joe Kodeih estime que depuis longtemps il n’a pas vu un spectacle qui lui a laissé une forte impression. «Il y a un peu de tout et il faut qu’il y ait un peu de tout». Très ouvert, il admet toutes les critiques et toutes les opinions. «Je ne néglige jamais un article de presse, qu’il soit positif ou négatif et je ne prends pas les choses personnellement. Je les néglige lorsque l’éloge est gratuit ou si la méchanceté est intentionnelle. Ce que j’aime le plus ce sont les articles bien ciblés et la critique constructive».

Joëlle Seif

Ce qu’il en pense
-La technologie: «Logiquement je dirai qu’on n’en a pas besoin. On devient quelque peu autiste à cause de toute cette technologie! A cause de Facebook, beaucoup de gens n’ont pas le courage d’affronter et pensent que tout leur est permis en se cachant derrière leur ordinateur. En contrepartie, mon travail en dépend pour la publicité, pour faire circuler l’information et pour rester en contact avec le public, les amis et la famille. Toutefois, ce n’est pas cela qui fait fonctionner un spectacle. Le bouche à oreille est la chose la plus essentielle».
-Ses loisirs: «L’Aïkido que je pratique avec mon sensei Amir Samaha au club du Sacré-Cœur. C’est un art martial, un sport de défense, basé sur le fait de ne pas affronter. C’est l’art de la paix et il est basé sur l’énergie».
-Sa devise: «Le chien aboie et la caravane passe».

«Son prénom malgré lui»
En l’an 2000, Joe Kodeih écrit une pièce intitulée Son prénom malgré lui publiée aux éditions Lansman en Belgique qui connaît un grand succès. Amusé, il raconte comment lors de son dernier passage à Paris, en novembre dernier, en flânant du côté de l’Odéon, il tombe sur une librairie, La Librairie du coupe-papier où il voit son livre exposé en vitrine. «J’y suis entré pour acheter le livre. En reconnaissant ma photo sur la couverture, le libraire s’est exclamé mais dites donc vous avez pris un coup de vieux!»

 
 

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