A trois mois des élections, la situation politique reste plus que jamais floue et tendue. La décision conjointe de Michel Sleiman et Najib Mikati de convoquer le collège électoral a été très mal perçue par le 8 mars. Les deux camps s’affrontent sur la polémique provoquée par le ministre des Affaires étrangères, Adnan Mansour, à la Ligue arabe.
Une arlésienne. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier, pour l’heure, la perspective d’élections législatives initialement prévues en juin prochain. Des élections dont tout le monde parle mais qui pourraient ne pas avoir lieu dans les délais fixés.
Cela, malgré la convocation du collège électoral, signée conjointement par le Premier ministre Najib Mikati, puis par le président de la République, Michel Sleiman. Une convocation qui fait elle-même des vagues, de par son contexte. Dans la ligne de mire, l’ambassadeur des Etats-Unis Maura Connelly, qui y est allée de son grain de sel dans une machine électorale très rouillée, avec des déclarations polémiques, qui n’ont pas eu l’heur de plaire à tout le monde. La représentante de Washington a ainsi précisé qu’il «fallait tenir les législatives à la date prévue, quelle que soit la loi électorale adoptée». Une déclaration qui a suscité l’ire de plusieurs parties, dont Michel Aoun et le camp du 8 mars, qui ont protesté contre l’ingérence étrangère dans la politique interne.
Michel Sleiman, accusé par ses détracteurs d’avoir signé le décret de convocation à la suite de la demande pressante des Américains, a maintenu sa position, estimant qu’il faut respecter les échéances électorales.
Toutefois, si élections il devait y avoir aux échéances prévues, c’est-à-dire au mois de juin, reste à savoir sous quelle forme. A ce jour, malgré la convocation du collège électoral et l’ouverture des dépôts de candidature à la députation, personne, dans le camp du 8 mars comme du 14 mars, ne s’est encore inscrit sur les listes.
Echanges d’accusations
Si tout le monde, président de la République inclus, semble avoir définitivement enterré la loi électorale de 1960, son certificat de décès n’est pas encore acté. Du moins du point de vue juridique. Malgré cela, Michel Sleiman avait déclaré que les élections de juin avaient 95% de chances de se tenir, sur la base d’une autre loi. Mais laquelle?
Le projet de la Rencontre orthodoxe, qui suscite toujours les critiques au sein du 14 mars, comme au plus haut niveau de l’Etat, pourrait bien se retrouver soumis au vote des parlementaires en séance plénière. C’est en substance ce qu’a sous-entendu le président du Parlement, Nabih Berry, qui met en garde les parties en présence contre toute tentative d’imposer la loi de 1960, coûte que coûte. Une perspective écartée par Fouad Siniora, chef du Bloc parlementaire du Futur, dans une interview accordée à la chaîne qatarie al-Jazeera, au motif que la proposition du Rassemblement orthodoxe «enfreint de nombreuses normes constitutionnelles» et s’avère «rétrograde». Selon lui, ce projet de loi «viole la Constitution, la coexistence et l’esprit du Pacte national» et n’est soutenu par le Courant patriotique libre (CPL) que pour «attiser les tensions au sein de la société et marquer des points au niveau de l’électorat chrétien».
Quant à Michel Aoun, toujours partisan de l’adoption du projet de loi de la Rencontre orthodoxe, il a souligné, dans son point de presse hebdomadaire, mardi, que «la non-adoption du projet de loi de la Rencontre orthodoxe plongera le pays dans le vide, puisque la loi de 1960 est déchue et qu’il est impossible d’adopter un autre texte». «Nous devons rapidement statuer sur la loi électorale, en vue d’éviter le vide», a-t-il insisté.
Le graal de la loi mixte
Pendant ce temps, le leader d’Amal, Nabih Berry, tout comme son alter ego du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, s’activent en coulisse pour tenter d’aboutir à une loi électorale consensuelle, qui satisfasse toutes les parties et toutes les confessions.
Des pourparlers sont toujours en cours, entre les composantes du 14 mars et le parti de Walid Joumblatt, autour d’une formule électorale qui mixerait ensemble scrutin majoritaire et proportionnel. Le Courant du futur aurait donc fait un petit pas en avant en acceptant l’introduction d’un soupçon de proportionnelle, mais rien n’est encore fait. Du côté de Moukhtara, Walid Joumblatt fait preuve d’un optimisme à toute épreuve et ne désespère pas d’aboutir à une loi consensuelle, d’ici avril prochain. Selon ses propos, parus dans son éditorial hebdomadaire du journal al-Anba’, un tel consensus «permettrait d’éviter un ajournement des élections qui équivaudrait à un saut dans l’inconnu».
Quoi qu’il en soit, si l’on n’en connaît pas encore la teneur exacte, la perspective d’une loi consensuelle associant proportionnelle et scrutin majoritaire semble faire son chemin, puisqu’aux dires de certains, des points de détail, concernant le découpage électoral, sont abordés. Farid Makari a ainsi indiqué à l’agence al-Markazia que deux propositions sont en lice pour le découpage du Mont-Liban. «La première prévoit un découpage sur base de trois circonscriptions, tandis que la seconde suggère deux circonscriptions: Baabda, le Chouf et Aley, d’une part, et le Metn, le Kesrouan et Jbeil, d’autre part.
La nouvelle loi pourrait parier, au niveau du territoire, sur un découpage de vingt-six circonscriptions où le vote se ferait selon le mode majoritaire, tandis que neuf autres voteraient à la proportionnelle.
Malgré les tractations en cours, la proposition de loi élaborée par le 14 mars et le PSP n’est pas encore finalisée, et encore moins votée et adoptée. Ce qui laisse soupçonner, de toute façon, un report, ne serait-ce que technique des élections prévues pour le 9 juin. Mardi soir, des sources proches du 8 mars faisaient savoir sur la chaîne OTV que la tentative de former une Commission de supervision électorale ne passerait pas, si elle devait être soumise au vote du Conseil des ministres.
Tensions exacerbées
Cette «tambouille» électorale se poursuit dans un contexte très tendu sur le plan politique. Une tension exacerbée depuis la prise de position polémique du ministre des Affaires étrangères, Adnan Mansour, à la réunion de la Ligue arabe au Caire, la semaine dernière. Il avait en effet proposé de rendre son siège au régime de Bachar-el-Assad à la Ligue arabe, dans l’optique de le faire participer à une solution politique dans le conflit syrien.
Tancé et même désavoué par Michel Sleiman et Najib Mikati, le chef de la diplomatie libanaise a vu s’abattre sur lui une pluie de critiques. Le président de la République, qui a reçu Mansour à Baabda samedi, lui a ainsi rappelé la politique de distanciation adoptée par le Liban, soulignant que «toute position ou proposition exprimée par des responsables et des ministres, surtout le ministre des Affaires étrangères, devant des instances internationales, doit refléter cette politique sans ambiguïté. Cela doit nécessairement faire l’objet d’une consultation préalable du président de la République, lequel doit discuter de cela à son tour avec le Premier ministre». Les critiques sont venues également du sein même du gouvernement auquel il appartient. Le ministre des Travaux publics, Ghazi Aridi, a ainsi estimé que la position de Mansour à la Ligue arabe était dangereuse et «expos(ait) le Liban et ses intérêts à de graves dangers».
Le 14 mars ne l’a pas non plus épargné. Marwan Hamadé, entre autres, a ainsi considéré que Mansour «tente de transformer son ministère en bureau iranien».
En revanche, Adnan Mansour s’est vu soutenu par le 8 mars. Le n°2 du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, a ainsi estimé que le ministre «œuvr(ait) réellement selon le principe de la distanciation. Ils sont en train d’importer le conflit au Liban, et leur pari selon lequel la Syrie va chuter est perdant». Même son de cloche du côté d’Amal, qui est allé jusqu’à proposer, par la voie du député Hani Kobeissi, qu’on lui «remette une médaille honorifique en tant qu’homme de bien et de dialogue s’agissant des causes arabes».
Jenny Saleh
Rififi des partisans d’Assir
Mardi soir, des partisans du cheikh salafiste Ahmad el-Assir ont créé l’agitation dans le quartier de Kaskas, notamment, à Beyrouth, ainsi qu’à proximité de la place al-Nour à Tripoli. Ils répondaient à l’appel du prédicateur, qui, via les réseaux sociaux, soupçonnait l’armée de vouloir entreprendre une action sécuritaire contre lui et d’avoir encerclé sa mosquée du quartier d’al-Abra, à Saïda. Une accusation démentie par l’armée qui a affirmé dans un communiqué avoir simplement voulu interpeler le conducteur d’une voiture portant une fausse immatriculation. Ledit conducteur était le cheikh Assem el-Arifi, un religieux rattaché à la mosquée Bilal Ben Rabah, où prêche Assir. Les accès bloqués à Beyrouth et Tripoli ont par la suite été rouverts.