A la lecture des articles de la presse étrangère écrite et électronique traitant cette semaine de l’actualité libanaise, la multitude des champs d’actions possibles est colossale.
Jeune Afrique
Jeune Afrique est formel: «Au Liban, les préjugés ont la peau dure».
Eddy Abbas a prévu de boire quelques bières. Ce rappeur de trente ans, membre du groupe Fareeq el Atrash, a les yeux en amande de son père libanais et la peau mate de sa mère ivoirienne. Première interpellation policière à l’heure de l’apéritif. Fouille et contrôle des papiers. «Quand ils ont vu ma carte d’identité libanaise, ils m’ont dit ‘On pensait que vous aviez besoin d’aide’. Ils auraient pu trouver une meilleure excuse», plaisante Eddy, amer, en dégageant les dreads qui tombent sur son front.
Eddy, dont le père dirige une scierie en Côte d’Ivoire, a été envoyé très jeune dans sa famille paternelle au Liban. A l’école, on lui sert du «Yo rastaman!». En ville, il découvre les arrestations arbitraires. Un soir à Dora, quartier pauvre de la banlieue beyrouthine, le trentenaire natif d’Abidjan passe une heure à l’arrière d’une jeep de police, le temps que son frère lui apporte ses papiers.
Entre religion, origine géographique et position socioéconomique, les gens cherchent à se distinguer en permanence. A cela s’ajoute l’idée que les Libanais ont une certaine tête. Les métis sont donc pris pour des migrants pauvres et illégaux.
Hassan Merheb n’a pas ce problème. «Grâce à ma grande taille, on voit que je suis basketteur. Les gens pensent que je suis Américain et je peux rentrer à la piscine, en club». Né en Sierra Leone, où son père libanais a émigré au début des années 70, le jeune métis n’échappe pas aux remarques dégradantes. Dans les embouteillages monstres de la capitale, au volant de sa jolie Citroën neuve, il s’amuse des regards interloqués. «C’est la pire chose pour les racistes de voir un Noir dans une meilleure position sociale que la leur».
Al-Monitor
Le site d’informations al-Monitor identifie les trois plus grandes menaces sécuritaires qui pèsent sur le Liban: le kidnapping, la drogue et le Front al-Nosra.
Il est difficile de suivre l’ensemble des crises qui frappent le Liban en ce moment. Il y a d’abord une crise politique qui fragilise les élections parlementaires, une crise gouvernementale dans la gestion du conflit en Syrie et une crise économique au vu des revendications des travailleurs et des grèves qu’ils organisent. Au-dessus de tout cela, subsiste une profonde crise sécuritaire.
Il suffit de lire un rapport diffusé en février par le ministre de l’Intérieur qui révèle que les forces de sécurité ont arrêté 47 personnes impliquées dans des affaires d’enlèvements. Mais selon des sources sécuritaires, certaines affaires se règlent sans que les autorités soient au courant. En effet, plusieurs victimes préfèrent conduire les négociations secrètes directement avec les kidnappeurs, sans en informer les services de sécurité de l’Etat.
Il y a ensuite la lutte contre le trafic de drogue. Tous les ans, des campagnes d’éradication des champs de pavot et de cannabis sont lancées. L’année dernière, en deux semaines, les tracteurs ont détruit cinquante hectares par jour. Mais le processus ne se déroule pas de manière aussi tranquille. Les «agriculteurs» accueillent souvent les services de sécurité les armes à la main. Et puis ces dernières semaines, plusieurs affaires de corruption impliquant certains membres de services de sécurité chargés de ces affaires ont été découvertes. Des policiers et des juges ont discrètement démissionné. Certains pensent même que la drogue interceptée n’est jamais détruite…
Et il y a le bâtiment B de la prison de Roumié, que de nombreux suiveurs considèrent comme le quartier général du Front al-Nosra au Liban.
The New York Times
The New York Times revient sur le procès à Chypre de Hossam Taleb Yaacoub, soupçonné de liens avec le Hezbollah.
Un homme en jugement a admis être un membre de la milice Hezbollah, agissant en tant que messager pour le groupe à l’intérieur de l’Union européenne et repérant les endroits que les Israéliens fréquentent. L’accusé Hossam Taleb Yaacoub, 24 ans, décrit comment il serait monté dans une camionnette pour rencontrer son chef qu’il ne connaissait que sous le nom d’Ayman, et les mots de code utilisés pour confirmer son identité. «Je n’ai jamais vu le visage d’Ayman parce qu’il portait toujours un masque».
Il a été arrêté en juillet dernier (deux semaines avant l’attentat de Bourgas, en Bulgarie) avec les plaques d’immatriculation des autobus transportant des Israéliens écrites dans un petit cahier rouge.
Yaacoub, qui a un passeport suédois et un autre libanais, a dit qu’il était membre du Hezbollah depuis 2007, et a travaillé pour le groupe pendant quatre ans. Il possédait également une société commerciale au Liban. Il avait visité Chypre en 2008, mais est d’abord venu en visite d’affaires en décembre 2011. Bien qu’il commercialise des chaussures, des vêtements et des biens de mariage, il s’est intéressé à étendre ses activités à l’importation de jus.
Son témoignage n’est pas clair sur comment exactement il est impliqué avec l’homme qu’il appelle Ayman. Il a dit qu’il avait fait des «missions précédentes pour le Hezbollah» à Antalya, sur la côte sud-ouest de la Turquie, à Lyon en France et à Amsterdam.
En France, il a dit qu’il «ramassait des sacs», tandis qu’à Amsterdam, il «ramassait un téléphone portable, deux cartes SIM et quelque chose qui était enroulé dans un journal, mais je ne sais pas ce que c’était», a dit Yaacoub. Il dit qu’il a livré les articles au Liban.
Les Echos
Le journal économique français Les Echos s’intéresse aux «missions tout-terrain d’ERDF (Electricité réseau distribution de France) au Liban». Instructif.
Dans un pays qui ne dispose parfois que de quelques heures d’électricité par jour, la filiale internationale d’ERDF tente d’imposer son savoir-faire.
L’Etat libanais, par exemple, ne dispose d’aucun relevé indiquant où se trouvent transfos, disjoncteurs, poteaux ou lignes électriques! Les équipes d’ERDF-i sillonnent donc la campagne pour repérer et évaluer les équipements, les clients, jauger les voltages, les câblages, recenser les poteaux, évaluer les pics de consommation. Il importe de s’adapter à des contextes locaux délicats, jusqu’à en être surréalistes. Impensable d’envoyer un chrétien maronite relever les compteurs d’abonnés dans un quartier sunnite.
En matière de sécurité, lors des interventions sur des lignes électriques, ERDF-i doit aussi former des centaines de techniciens locaux, pas toujours enclins à respecter les procédures. L’entreprise est par ailleurs en train de diagnostiquer l’état des réseaux, avec son partenaire libanais, Butec utility services. C’est lui qui a remporté il y a un an l’appel d’offres d’une valeur de 260 millions de dollars lancé par l’opérateur public EDL (Electricité du Liban) pour rénover le réseau de Beyrouth- Nord, via un contrat de gestion déléguée. Il s’agit de repérer les goulets d’étranglement à résorber en priorité, pour élaborer le plan d’investissement. Ziad Younes, le patron de Butec, estime que «15% de l’électricité produite au Liban est gaspillée pour des raisons techniques». Au total, compte tenu des mauvais payeurs et des branchements pirates grâce aux fameuses «pinces à linge», l’EDL perd 44 centimes pour chaque euro d’électricité produite. Ce qui représente 1,5 milliard d’euros par an, une somme équivalente à rien de moins que 2,7% du PIB. Pour cela, elle compte sur l’installation, au sein de réseaux électriques intelligents, de compteurs «communicants» qui permettent notamment de couper à distance ou de réduire l’alimentation de clients mauvais payeurs.
Le Point
L’hebdomadaire français Le Point s’intéresse au rap libanais, porteur d’une «révolution alternative».
Dans la foulée du Printemps arabe, Beyrouth est devenue un laboratoire de musique engagée, propulsant des groupes de rappeurs à la prose percutante et au regard critique à l’égard des révoltes de la région. C’est surtout un rap fondamentalement engagé, sans complaisance envers les régimes dictatoriaux mais tout aussi vigilant à l’égard de leurs successeurs.
«Il faut deux révolutions, l’une contre le régime étranglant la liberté, l’autre contre ceux qui attendent la victoire pour la voler», chante le duo libanais «Touffar» (Sans le sou).
Dans une région où les langues se sont déliées après la chute du mur de la peur, ces jeunes artistes n’hésitent pas à partager leurs opinions divergentes dans une même chanson. Ainsi, dans la chanson Souret Souria (Verset de Syrie), deux Libanais sont, à l’image de leurs compatriotes, divisés sur le conflit syrien. «El-Rass (du nord du Liban) parle de la révolution et de la progression des rebelles, tandis que Hamourabi (résidant à Paris) les considère comme des terroristes faisant partie d’un complot».
The Independent
Dans les colonnes de The Independent britannique, Robert Fisk dit adieu au Liban, «tanière des fumeurs de narguilé».
Contre toute attente, la campagne libanaise antitabac est en train de porter ses fruits en mettant fin à l’une des habitudes les plus ancestrales du pays.
La consommation de tabac, écrit un expert historique du sujet, a d’abord été considérée comme un luxe réservé aux riches, mais à la fin du XIXe siècle, à peu près tout le monde fumait. Il cite un écrivain de l’époque appelé Jessup: «Tous les habitants de Syrie fument-ils? La quasi-totalité d’entre eux, en tout cas. Ils ne fument pas, ils boivent le narguilé, ils boivent le cigare comme s’ils considéraient que le tabac était aussi nécessaire pour eux que l’eau.
Le Liban, à cette époque, faisait partie de la Syrie et le tabac est l’une des principales denrées d’exportation de Tripoli, avec le savon, la soie, l’éponge et les agrumes. Le tabac, toujours selon l’expert, fait partie intégrante des hautes sphères et des rituels du mariage. Selon les traditions islamiques, un prétendant présentant de grandes quantités de sucre, de café et de tabac au père de la mariée était une marque de fertilité et de prospérité. «La qualité et le prix du tabac, ainsi que le narguilé, étaient un marqueur social».
Fumer, dit-on au Liban, apaise la faim, et les narguilés ont été beaucoup utilisés en Grande Syrie lors de la grande famine de la Première Guerre mondiale qui aurait tué jusqu’à 1,5 million de Libanais et de Syriens.
Julien Abi Ramia
The National
Ode à la Libanaise
Le quotidien anglophone de Dubaï, The National, titre: Alors que le monde célèbre la femme, le Liban rougit. Un article signé Michael Karam.
A 19 ans, je travaillais comme vendeur chez Harrods à la section des cartes de Noël. Mon patron était une femme d’une vingtaine d’années dont c’était le premier travail. Elle était vive, sympathique et travailleuse, mais ce n’est que lorsque j’ai commencé à la comparer à l’homme d’une trentaine d’années qui dirigeait la section adjacente des meubles en cuir qu’il m’est apparu que les femmes prenaient leur travail beaucoup plus au sérieux.
C’était il y a trente ans et je maintiens l’idée que les femmes sont de meilleurs administrateurs et savent prendre des décisions difficiles. En effet, elle n’a pas hésité à me virer pour m’être endormi au travail.
Et après 21 ans de vie au Liban, une période où, à quelques exceptions près, j’ai vu les hommes littéralement détruire le pays, je donnerais bien les clés de la nation à un cabinet de technocrates féminines. Soyons directs, les femmes libanaises feraient des gestionnaires fabuleuses. Extrêmement éduquées, elles ont eu l’immense chance d’avoir échappé à plusieurs générations de machisme et d’indulgence. Elles sont investies et efficaces, guidées par un objectif et elles savent faire preuve de compassion. Et pourtant, on leur donne tellement peu de chances de prouver leur valeur.