Victime d’un cancer qui alimentait toutes les spéculations depuis des mois, Hugo Chavez est décédé le mardi 5 mars. Trois jours plus tard, le peuple vénézuélien en larmes rendait un dernier hommage à son icône. Nicolas Maduro, vice-président et successeur désigné du «commandante», est devenu président par intérim de la République bolivarienne du Venezuela. Après 14 ans de domination chaviste, le pays tourne une page de son Histoire. Que retiendra-t-elle de l’action d’un homme incontestablement fantasque et controversé?
«Hasta la victoria siempre, Commandante! La lutte continue, vive Chavez, vive Chavez!». Vendredi 8 mars, sous les vivats de centaines de milliers de citoyens vêtus de rouge, Nicolas Maduro dirige des funérailles célébrées en grande pompe. Dans le salon d’honneur de l’académie militaire de Caracas, quelques dignités du pouvoir chaviste et les trente-deux chefs d’Etat étrangers qui ont fait le déplacement, entourent la dépouille du défunt. La plupart des Sud-Américains sont là, quelques alliés controversés aussi, l’Iranien Ahmadinejad (voir encadré) ou le Biélorusse Loukachenko. Les Etats-Unis et l’Europe, cibles favorites des acerbes diatribes du commandant Chavez, ont envoyé des délégations de second rang. Ainsi, la France a envoyé son ministre des Outre-mer, Victorin Lurel. Visiblement pas encore rompu aux exigences diplomatiques, ce dernier a déclaré: «Il était tout mignon, frais, on n’avait pas un Chavez joufflu comme on le voyait après sa maladie». Confondre Caracas et le zoo de Vincennes, c’est assez fort.
Dans un discours lyrique enflammé, le vice-président a promis à son modèle «la loyauté jusqu’à la mort» et juré de poursuivre «son combat pour les pauvres, l’éducation et pour un monde meilleur», avant de remettre une réplique de l’épée en or du libérateur sud-américain Simon Bolivar à la famille de l’ancien président. Une messe du Révérend noir américain Jesse Jackson a conclu un cérémonial parfaitement orchestré. Toutes les télévisions nationales étaient de service pour retransmettre l’événement. Ce jour avait été décrété férié, et la vente d’alcool interdite; une semaine de deuil national devait être observée. Le corps d’Hugo Chavez a été embaumé de manière à le conserver dans un cercueil de verre. A l’issue de la cérémonie, la foule se précipitait pour honorer la dépouille. Selon les autorités, en l’espace de deux jours, ce sont deux millions de Vénézuéliens qui ont salué à leur manière leur leader disparu. Le cercueil sera exposé au moins sept jours supplémentaires à Caracas avant de rejoindre «la caserne de la Montagne» où un musée de la Révolution bolivarienne est en construction. Il y sera exposé «pour l’éternité».
La bataille de succession
Le soir même de l’hommage officiel, Nicolas Maduro prêtait serment devant le président de l’Assemblée nationale et devenait ainsi président par intérim. L’opposition, qu’on avait presque oubliée, a boycotté l’investiture, contestant la constitutionnalité de cette manœuvre. Pourtant, les articles 233 et 234 de la Constitution prévoient bel et bien que le vice-président soit le premier sur la liste de succession. Il est tenu en revanche d’organiser des élections dans un délai de trente jours. L’autorité responsable en la matière a d’ores et déjà annoncé qu’elles auraient lieu le 14 avril. Elles devraient opposer Nicolas Maduro, que Chavez avait lui-même adoubé en décembre dernier, à Henrique Capriles, qui avait récolté 44% des suffrages en octobre face au président sortant. L’opposant fait figure de challenger, il a violemment accusé son rival d’«utiliser le corps de Chavez pour faire campagne et d’essayer de gagner quelque chose sur la douleur des Vénézuéliens». Il lui a aussi reproché d’avoir menti à son peuple au sujet de l’évolution de l’état de santé du commandante. Issu d’une des familles les plus riches du pays, formé dans un lycée privé et avocat de profession, Henrique Capriles est l’antithèse du nouvel homme fort du parti chaviste, issu de la classe populaire, enfant de l’école publique et ancien chauffeur de métro. Soutenu par une coalition de parti de droite comme de gauche, il réclame pour le Venezuela un développement économique similaire à celui du Brésil de Lula et Roussef. A l’exception d’une plus grande ouverture économique, de la cessation des partenariats avec des pays comme le Nicaragua et Cuba et d’un abaissement de la durée d’un mandat, peu d’éléments différencient les programmes officiels des candidats. Hugo Chavez a d’ailleurs longuement accusé Capriles de ne pas présenter son vrai programme au peuple. En fait, la presse a divulgué avant les élections un document supposé appartenir à la Coalition pour l’Unité démocratique de Capriles. Il y est question de diminuer l’intervention publique et de lancer un grand programme de privatisations.
Le mois prochain, les élections ne devraient pas réserver de surprises. Pour beaucoup de Vénézuéliens, introniser le poulain de leur président serait une dernière façon de lui dire au revoir. En tout cas, les résultats permettront d’analyser quelle part du chavisme tenait dans les idées, et quelle part tenait dans le charisme de son leader.
Un héritage XXL
Provocateur, populiste, ou carrément dictateur, la plupart des médias occidentaux ont la vindicte aisée pour celui qui ne se prive pas non plus de critiques particulièrement acides à l’égard des Etats-Unis et de l’Europe. Il est vrai qu’il ne faudrait pas que trop de pays réalisent qu’il y a un salut en dehors des solutions néolibérales made in Washington. En 1999, Chavez récupère un pays délabré. Comparons l’avant et l’après.
Entre 1990 et 1999, quand le Venezuela était sous la férule des politiques du Fonds monétaire international (FMI), le nombre de pauvres est passé de 40 à 50%. Entre 1999 et 2012, nous avons ces chiffres selon l’Onu qui ne trompent pas. Le taux de malnutrition infantile diminue de 58%, le taux de pauvreté passe de 50% à 27%, le coefficient de Gini qui mesure les inégalités est passé de 0.498 en 1999 à 0.39 en 2011, (NB: ce coefficient est toujours compris entre 0 et 1, plus on se rapproche de 0, plus les inégalités sont faibles), le taux d’alphabétisation est de 97%, alors que le Venezuela était le plus mal classé des pays d’Amérique latine avant Chavez. L’indice de Développement humain et le PIB ont eux aussi fortement augmenté, le chômage a grandement diminué. L’ensemble de ces résultats ont été obtenus grâce à des programmes sociaux financés par la manne pétrolière et une grande campagne de nationalisation.
Certes, le Venezuela a bénéficié de l’augmentation des prix du baril, certes l’inflation est importante, mais une telle réduction de la pauvreté ne peut être relativisée.
Dans certains secteurs, le travail reste à faire. La violence urbaine est plus que jamais un fléau. L’économie demeure malgré les efforts largement dépendante des revenus du pétrole.
Maduro, le successeur
En préparant un successeur, Chavez a tenté d’éviter les querelles d’ego sur sa tombe. Une passation bien gérée permet de pérenniser l’héritage chaviste.
Maduro a 50 ans et une moustache noire bien fournie. Depuis les élections d’octobre, Chavez en avait fait son plus proche collaborateur. Il cumulait les fonctions de vice-président et de ministre des Affaires étrangères. En décembre dernier, Chavez l’adoubait par ces mots: «C’est un vrai révolutionnaire, un homme d’une grande expérience malgré sa jeunesse, avec un grand dévouement et un grand leadership. Il est capable de se sortir des situations les plus difficiles». L’amitié des deux hommes, le dévouement de l’un pour l’autre date de la période où Chavez croupissait dans les geôles militaires de Caracas après son coup d’Etat manqué en 1992. De l’extérieur, Maduro avait beaucoup œuvré pour sa libération, ce qui advint en 1994. Pendant cette période, le futur vice-président a rencontré et épousé Cilia Flores, elle aussi membre active du groupe de libération de Chavez. Pendant la maladie du commandante, il était régulièrement à son chevet ou aux côtés de ses filles. Il était probablement l’un des seuls au courant de l’évolution précise et exacte de la maladie de son mentor, traitée comme un secret d’Etat. Ceux qui l’ont côtoyé décrivent un homme calme, jovial, social et sociable. Négociateur hors pair et habile gestionnaire, il devrait concilier les deux tendances militaire et socialiste de son parti. Ses liens très forts avec Cuba passent aussi pour un avantage non négligeable. Construire un monde multipolaire libéré de l’hégémonie américaine, son objectif est clair. C’est lui qui a annoncé au moment de la mort de Chavez l’expulsion d’un agent de l’US air force, accusé de vouloir nuire à l’intérêt national. Ces dernières années, en tant que ministre des Affaires étrangères, il a joué un rôle crucial dans la construction des alliances avec le Bélarus, la Chine, l’Iran ou la Syrie. Mais c’est aussi un pragmatique. Chavez lui doit en partie l’amélioration des relations avec la Colombie, dirigée par un président de sensibilité de droite.
Antoine Wénisch
Ahmadinejad, une embrassade pas très doctrinale
Présent aux funérailles, le président iranien s’est fait remarquer d’une façon assez inattendue. En consolant la mère d’Hugo Chavez, qu’il a prise dans ses bras, Ahmadinejad s’est attiré les foudres de quelques professionnels du conservatisme de son pays qui ne perdent plus une occasion de le remettre en place. Alors qu’un homme ne devrait pas approcher une femme qui n’est pas de son entourage direct, le député Mohammad Dehgan, jugeant son attitude contraire aux principes de l’islam, l’a estimé «peu digne d’un personnage de son rang». Son collègue Mohammad Taghi Rahban n’a pas eu peur d’aller trop loin en affirmant que son président avait «perdu le contrôle». Téhéran a cru bon de préciser qu’à aucun moment Ahmadinejad n’avait embrassé la mère du défunt. Ouf, la doctrine est sauve.
L’histoire a pris des allures grotesques quand des proches du président ont fait circuler une image photoshopée d’Ahmadinejad serrant dans ses bras l’Egyptien Mohammad el-Baradei. L’idée étant de laisser croire que cette photo était la vraie contrairement à la première qui aurait été photoshopée. Mais les défenseurs du président ont oublié un détail de … taille. Sur la photo, Baradei est plus petit qu’Ahmadinejad, ce qui n’est pas le cas dans la réalité.
La théorie du complot selon Chavez
Hugo Chavez au début de son cancer avait remarqué la chose suivante: cinq leaders sud-américains sur vingt-quatre se sont vu diagnostiquer un cancer. Un lymphome pour Dilma Roussef, un cancer de la gorge pour Lula da Silva, un lymphome également pour le Paraguayen Fernando Lugo, un cancer de la thyroïde pour Cristina Kirchner, l’Argentine et Chavez enfin. Cinq sur vingt-quatre, alors qu’à un moment M, on estime que seul 1% de la population est atteinte d’un cancer. Une mauvaise loi des séries qui ne pouvait être imputable qu’à des médecins américains. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que le diagnostic de Kirchner était une erreur, plus que quatre sur vingt-quatre, sur trois ans et dans l’âge où le cancer est le plus fréquent, la loi des séries redevient plus crédible.