Sévères critiques contre le Hezbollah, défense de la communauté sunnite qui «se sent visée», Tammam Salam est inquiet et tient des propos inhabituels. Interview du député de Beyrouth.
Etes-vous satisfait de l’intervention rapide de l’armée pour arrêter les agresseurs de quatre cheikhs? S’agit-il vraiment de délinquants drogués ou bien ont-ils été instrumentalisés par une force supérieure?
Il faut avouer, tout d’abord, que l’armée accomplit son devoir sur le terrain et au plan sécuritaire. Mais le commandant en chef de la troupe a exhorté, à plus d’une occasion, les chefs politiques et surtout les forces qui dominent aujourd’hui la décision libanaise via le gouvernement, de mettre fin à l’escalade politique qui, prenant des allures confessionnelles et communautaires, conduit à la déstabilisation et ouvre grand la porte à la fitna. L’agression dont ont été victimes les quatre dignitaires sunnites en est un exemple. Il faudrait donner la priorité à l’autorité de l’Etat, et non à la dissociation sélective et fantaisiste appliquée par un cabinet inexistant, inefficace, plein de contradictions et dont les membres ne sont pas sur la même longueur d’onde en matière de politique intérieure et extérieure. Tout cela ne sert pas la rigueur et la fermeté. Quant à l’agression, il est clair qu’il ne s’agissait pas d’un incident spontané, improvisé, il s’inscrit dans le cadre d’un plan visant à déclencher la fitna dans le pays. Il faut être vigilant. Il est vrai qu’il existe encore quelques leaders politiques qui sont assez avisés pour circonscrire cette tendance. Mais il faudrait, à mon avis, que ceux qui prétendent contrôler le gouvernement fassent preuve de vigilance et de bon sens.
Vous voulez parler du Hezbollah?
Les forces du 8 mars, le Hezbollah en particulier.
Le Hezbollah et le mouvement Amal ont quand même publié un communiqué qui reconnaît cette double agression comme une tentative pour semer la fitna, cela ne veut-il pas dire qu’ils ne couvrent pas les coupables?
Le communiqué, c’est bien. Mais entre l’action et les paroles, il existe un fossé. On a su que les coupables appartiennent à un courant politique représenté par le Hezbollah et Amal. Dans ce cas, les communiqués sont-ils suffisants? Comme si on se «dissociait» de ce qui s’est passé. Il faudrait assumer totalement les responsabilités et mettre un terme aux agissements de ces éléments qui sillonnent les rues et sèment l’inquiétude parmi la population en faisant toutes sortes d’infractions pour attiser la fitna.
On entend souvent dire qu’il ne faut pas considérer la communauté sunnite comme vaincue. D’après vous, comment la traite-t-on depuis le 7 mai?
Tout le monde sait que le Liban est composé d’une multitude de communautés. Le Pacte national a été bâti pour unifier les rangs et les communautés et pour établir une Constitution qui réserve une place à chacune. Mais lorsque l’une d’entre elles adopte une orientation violente, soutenue par des armes pour faire face à d’autres communautés non armées, oui il y a déséquilibre! Une communauté peut dans un cas pareil se sentir prise pour cible et affaiblie, c’est alors que l’interaction devient inconfortable et inquiétante. La communauté sunnite se sent quelque part visée par certaines pratiques quotidiennes, à travers l’emprise de certains sur les intérêts et les droits des gens, et leur tendance à dominer l’Etat qu’ils mettent au service d’une communauté déterminée au détriment de l’unité du pays. Toutes ces données laissent des séquelles négatives.
Et les réactions enregistrées après l’incident, comme le blocage des routes de Saïda à Beyrouth, en passant par Naamé?
Ce sont des réactions spontanées dont le but est de dénoncer cette réalité. Mais elles ne sont qu’une expression du ras-le-bol, sans plus, parce que la communauté sunnite n’a pas pris la décision d’entrer en conflit avec les autres communautés, et notamment la communauté chiite. Le cheikh Ahmad el-Assir est un phénomène. Il en existe d’autres. Mais il ne représente pas l’option de la communauté dans son ensemble, ni celle d’une force politique qui a pris le monopole d’une communauté entière. Les sunnites, dans leur grande majorité, appartiennent à la catégorie modérée, non violente et non armée. L’émergence de quelques groupes de façon instinctive n’exprime pas la réalité sunnite.
Propos recueillis par Saad Elias