Samedi matin 16 mars, les Chypriotes se réveillent avec un sévère mal de crâne. Cette fois-ci, l’ouzo – l’arak chypriote – n’y est pour rien. Pour réunir les dix milliards que Bruxelles réclame à cor et à cri, un système de «taxation exceptionnelle» sur les dépôts bancaires a été mis sur pied. Les épargnants chypriotes et étrangers en sont pour leurs frais. L’annonce fracassante a mis les marchés en émoi.
La situation financière de Chypre était inquiétante depuis de longs mois. Politiquement, la situation était particulièrement problématique puisque le président communiste de l’île, Dimitris Christofias, refusait d’appliquer les plans d’austérité concoctés par Bruxelles et Washington. Il ne pouvait pas recevoir par conséquent les aides dont le pays commençait à avoir rudement besoin. Mais comme le hasard fait bien les choses, les récentes élections, auxquelles le président sortant ne s’est pas présenté, ont permis l’accession au pouvoir de Nicos Anastasiades et de Disy son parti de centre droit. Beaucoup plus enclin à suivre les injonctions bruxelloises que ses compatriotes de gauche, il avait toutefois promis à ses électeurs en partant jeudi à Bruxelles qu’il n’accepterait jamais la taxation des dépôts. Il lui a fallu 48 heures pour trahir son peuple. De retour à Chypre, il défendait même allègrement le plan qu’il s’est vu imposer. Au journal télévisé, le dimanche soir, il affirmait que le compromis négocié constituait «la moins douloureuse des options, c’était la seule qui nous permettait de continuer la vie sans remous» et ajoutait que «sans cette taxe, le pays aurait dû sortir de la zone euro». Sans l’euro point de salut? On finirait par le croire, mais ce n’est pas ce que disent les plus illustres économistes à commencer par le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, qui annonçait l’an passé que «les premiers qui en sortiraient, s’en sortiraient le mieux». On sait également depuis le précédent islandais, que laisser les banques faire faillite est une alternative crédible qui pourrait fonctionner.
Ce qui, pour les technocrates bruxellois, est une taxation exceptionnelle est en réalité une extorsion de fonds à grande échelle. Le barème du racket est le suivant: pour toute somme inférieure à 100000 euros, le pourcentage prélevé sera de 6,75%. Si un Chypriote à la recherche d’un appartement a économisé sur plusieurs années 40000 euros, il se verra retirer 2680 euros. Pour toute somme supérieure à 100000 euros, le pourcentage prélevé sera de 9, 9%. Un couple qui aurait mis de côté 185000 euros au prix d’efforts financiers considérables, pour s’offrir une maison, se verrait dépouillé de 15115 euros.
Cette «taxation» vise tous les titulaires d’un compte bancaire à Chypre et concerne par conséquent aussi les étrangers. Les Russes, qui ont une proximité géographique et culturelle slave et orthodoxe avec cette île réputée par le passé pour ses avantages fiscaux, et les Britanniques qui y possèdent des bases militaires, sont particulièrement touchés. Leurs Premiers ministres respectifs se sont d’ailleurs empressés de réagir. Pour Dmitri Medvedev, «cette taxe s’apparente à une confiscation de fonds étrangers», alors que pour les ressortissants de la Perfide Albion, David Cameron reconnaît réfléchir à un dédommagement. Selon les analystes de Barclays, les dépôts russes constituent la majorité des dépôts supérieurs à 100000 euros qui représentent eux-mêmes la moitié des dépôts à Chypre.
Des pourparlers en cours
A Chypre, «le lundi pur» du calendrier orthodoxe tombait cette année le 18 mars. Le lundi était donc férié, si bien qu’entre l’annonce du samedi matin et le vote par le Parlement prévu lundi, les Chypriotes n’ont pas eu le temps de retirer leurs épargnes de la banque. Le projet est sournoisement calculé.
Seulement, le parti du président ne dispose pas d’une majorité des sièges (20 sur 56) et ses alliés politiques ne semblent pas disposés à valider cette escroquerie de si bon cœur. Le tollé général dans l’opinion publique, l’affolement des marchés où l’euro chutait lundi et l’absence d’accord à la Chambre ont permis de repousser plusieurs fois le vote. A l’heure où nous écrivons ces lignes, rien n’est encore décidé. Cela étant, les banques resteront fermées jusqu’à jeudi au moins pour empêcher un probable Bank Run. On parle désormais de protéger les petits épargnants. Les taux de taxation passeraient donc à 3% pour les dépôts inférieurs à 100000 euros et à 12% pour les dépôts supérieurs. On évoque aussi la possibilité de taxer à 15,3% les gros épargnants pour protéger totalement les petits. Toutefois, le ministre des Finances se serait montré réticent à l’idée de vouloir taxer aussi explicitement les étrangers et les grosses fortunes par crainte de faire fuir les capitaux de cette place financière. La situation est à suivre de près, à Chypre, mais aussi en Espagne ou en Italie. En tout cas, le président français François Hollande qui déclarait en décembre que «la crise de l’euro est derrière nous» tirera les leçons qui s’imposent.
Une annonce, quatre objectifs
Renflouer les banques chypriotes et l’Etat chypriote au bord de la faillite. Au lieu de garantir les dépôts des épargnants, l’Etat va utiliser leurs pertes pour rembourser ses créanciers qui sont les banques chypriotes et non chypriotes. Ces banques vont-elles aussi rendre à leurs emprunteurs et l’argent ne profitera pas en définitive à l’économie réelle. Limiter les pertes des banques qui auraient prêté à Chypre. En empêchant la faillite de l’Etat et des banques chypriotes, cette mesure permet de limiter les pertes de ceux qui leur auraient prêté. Parmi ces créanciers, figurent des banques européennes et françaises.
Sauver l’euro. Evidemment, prévenir le défaut d’un pays, permet de le maintenir dans la zone euro, au moins provisoirement. Pourtant comme l’affirment d’illustres économistes tels que Joseph Stiglitz ou comme le vérifient tous les faits depuis le début de la crise, la zone euro n’est de toute façon pas viable sur le long terme.
Lancer un ballon d’essai pour tester l’acceptabilité sociale de la mesure. Pour la première fois, la sacro-sainte protection des dépôts bancaires a été violée. Pour les responsables européens, il est nécessaire de savoir si les peuples laisseront de telles mesures se mettre en place sans réagir. La suite des événements à Chypre va être cruciale à cet égard.
Antoine Wénisch
Les Libanais de Chypre
Alors que la situation économique de Chypre se dégrade rapidement depuis des mois, certains Libanais expatriés avaient préféré rediriger leurs capitaux vers le Pays du Cèdre. En revanche, quelques Libanais anticipant des tensions au Liban ont fait le chemin inverse. Ils sont toutefois peu nombreux. En réponse aux Libanais qui jugent profondément injuste le fait de taxer les investisseurs étrangers qui ont participé à la dynamique économique du pays, l’homme d’affaires chypriote Mikhlakis Pipis, leur répond placidement, «mettre à contribution les étrangers ayant des économies à Chypre est tout à fait naturel, si l’économie coule, nous coulerons tous ensemble et si elle prospère à l’avenir, ce sera pour le bien de tous», estime-t-il. «Les étrangers ont jadis profité de la prospérité de Chypre, ils doivent à présent contribuer à son sauvetage», poursuit cet homme, âgé d’une quarantaine d’années et membre du parti Disy du nouveau président chypriote Nicos Anastasiades. Voilà, qu’on se le tienne pour dit. Si les protestations sont vives à l’annonce de la taxe, une Libanaise expatriée confie sa lassitude: «En fin de compte, nous payerons ce que nous devons payer».
Comment se protéger?
Il faut être honnête, il n’y a pas de bonnes solutions, que des moins mauvaises. Seuls les comptes de quatre pays sont a priori en sécurité et à l’abri de tout racket «à la chypriote». Ce sont ceux de l’Allemagne, du Luxembourg, de la Finlande et des Pays-Bas. Première réponse donc, déménager le compte dans un de ces quatre pays. Cela engendre certes de nombreuses difficultés d’ordre pratique. Pour ceux qui ne le souhaiteraient pas, il resterait donc la possibilité de vider régulièrement son compte, de louer des coffres dans sa banque ordinaire et d’y entreposer les liquidités. Au-delà des coûts de location du coffre, cette solution se révèle handicapante dans la vie quotidienne pour ceux qui souhaitent payer leurs transactions par prélèvements automatiques, carte ou chèque. Certains particuliers agissent d’ores et déjà comme cela en France. La dernière façon consiste aussi à vider ses comptes mais à conserver les liquidités chez soi, ce qui évite certains problèmes pratiques lors de la fermeture des banques. S’ajoute alors le risque de se faire voler.
Moscou se félicite de l’élection du pape
François, un russophile, ouvert aux orthodoxes
L’élection du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio au trône de saint Pierre a été accueillie avec soulagement tant par le Kremlin que par le patriarcat orthodoxe de Moscou.
L’accueil positif de l’élection de François en Russie s’explique par la personnalité du nouveau pape, un jésuite ascète qui partage les positions conservatrices du Kremlin sur les problèmes de société et ne fait pas mystère de ses sympathies pour l’orthodoxie et pour la Russie, qui cherche à se poser à la fois comme un rempart contre le délitement de la famille, et comme le défenseur des chrétiens confrontés à la poussée de l’islamisme radical.
L’élection du pape François a été très fortement médiatisée, preuve de l’importance que les autorités russes attachaient à la personnalité du successeur de Benoît XVI avec lequel elles entretenaient de bonnes relations. Du jamais vu, les Russes qui, généralement, ne s’intéressent pas vraiment à ce qui se passe dans les autres Eglises que la leur, ont suivi avec passion les événements du Vatican. Pendant plusieurs jours, les grands quotidiens nationaux et les chaînes de télévision ont rapporté par le menu les préparatifs du conclave, examiné les chances des différents papabile et ont montré en temps réel la fumée blanche s’échappant de la cheminée de la chapelle Sixtine. Par ailleurs, la population fascinée par les coupoles dorées mais nostalgique des anachorètes qui ont peuplé la spiritualité russe, a éprouvé un élan de sympathie pour ce pape au visage ascétique, venu du bout du monde, et qui a choisi le nom d’un grand saint, ami des humbles et des animaux. «C’est un homme bon, simple, il sera le pape des pauvres, des déshérités, il vivait dans un petit appartement sans serviteur», estime Ivan, un étudiant interrogé par la Radio Echo de Moscou. «J’ai entendu qu’il avait lavé puis embrassé les pieds des malades du sida», renchérit Anna, une retraitée de 60 ans qui se réjouit de la position du pape sur le mariage homosexuel et sur l’euthanasie. Quant au diacre André Kouraev, professeur à l’Académie spirituelle de Moscou, il a confié au journal en ligne Vzgliad avoir été très impressionné par le geste du souverain pontife inclinant la tête devant les fidèles en demandant à la foule de prier pour lui et de conclure: «L’élection du pape François promet de sérieux chamboulements au sein de l’Eglise catholique».
Entre Moscou et le Vatican
Après les tiraillements pendant le pontificat de Jean-Paul II qui avait du mal à cacher sa méfiance viscérale vis-à-vis de la Russie, le règne de Benoît XVI avait été marqué par une embellie. Les deux parties occultant les sujets qui fâchent (par exemple la question toujours pendante des catholiques de rite byzantin) pour se concentrer sur les préoccupations communes, «la préservation des valeurs morales et éthiques au sein de la société et dans les relations internationales». Pour preuve, c’est le chef d’Etat russe lui-même qui a appelé le nouveau pape à poursuivre «le dialogue actif avec la Russie sur les principales questions internationales et le règlement pacifique des tensions et conflits». Dans un télégramme de félicitation particulièrement chaleureux, le président Vladimir Poutine a exprimé clairement les attentes de la Russie. «Je suis persuadé que la coopération constructive entre Moscou et le Vatican continuera à se développer sur les bases des valeurs chrétiennes qui nous sont communes, a-t-il dit. J’adresse à Votre Sainteté mes vœux de succès dans la consolidation de la paix et dans la promotion inter-civilisationnelle et interreligieuse».
Le patriarcat de Moscou s’est également dit satisfait du résultat du conclave. Au cours d’une conférence de presse, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, chef du département des relations ecclésiastiques extérieures du patriarcat, a noté la nécessité d’une union étroite entre catholiques et orthodoxes pour protéger les chrétiens persécutés, avant de confier que le pape François, lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, avait entretenu des contacts étroits avec l’Eglise orthodoxe très présente dans la capitale argentine. «Le pape François a toujours manifesté sa sympathie pour l’Eglise orthodoxe et son désir d’établir des contacts étroits avec cette dernière. Il s’est souvent rendu à la cathédrale de l’Annonciation (cathédrale orthodoxe de Buenos Aires) pour assister à la divine liturgie et s’entretenir avec les membres du clergé et les fidèles et il est même personnellement intervenu pour nous soutenir contre une secte nommée «congrégation orthodoxe russe qui avait l’intention de prendre notre place».
Le soutien des minorités
Reste que le rapprochement entre la Russie et le Vatican, qui devrait non seulement se confirmer mais s’intensifier avec le nouveau pape, fait partie d’une stratégie à la fois «soft» et offensive, dont l’objectif est de poser la Russie en défenseur des minorités chrétiennes. Les Printemps arabes ont détruit tous les bastions que la Russie postsoviétique avait reconquis à grand-peine, privant Moscou de la plupart de ses points d’ancrage au Proche-Orient. D’un autre côté, les pays occidentaux et en particulier les anciennes puissances coloniales ont largement sous-estimé les Printemps arabes notamment le rôle des islamistes radicaux au sein des mouvements de protestation. Prises en tenaille entre des régimes impopulaires et des groupuscules jihadistes, les anciennes puissances coloniales ont abandonné le rôle de protecteur des minorités chrétiennes qu’elles étaient parvenues à maintenir contre vents et marées au cours des siècles (alliance du Lys et du croissant conclue par François premier et Sulaiman le magnifique). Se sentant abandonnées, les minorités se sont tout naturellement tournées vers la Russie, qui a profité de l’aubaine.
Dans ce cadre, le Kremlin a multiplié avec un certain succès au cours des derniers mois les gestes de séduction vis-à-vis des responsables religieux et politiques de la région.
Le 27 février, le patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, le cardinal Béchara Raï, a passé deux jours à Moscou avant de se rendre au Conclave. Reçu par le patriarche Cyrille de toutes les Russies au monastère Saint-Daniel, il a déclaré que «les maronites étaient présents en Orient avant la conquête islamiste et refusaient d’être considérés comme une minorité», avant de confirmer la volonté des maronites de travailler avec l’Eglise orthodoxe russe.
Quelques jours plus tard à la suite d’un entretien entre Vladimir Poutine et le leader palestinien Mahmoud Abbas, les deux parties annonçaient la création à Bethléem d’un centre de pèlerinage semblable à celui qui existe sur la rive du Jourdain à l’endroit présumé du baptême du Christ.
Nathalie Ouvaroff, Moscou