Il n’appartient pas à une famille politique traditionnelle dans le vrai sens du terme. Pourtant, son père Mohammad Khodr Fatfat, avait été élu député en 1960 et réélu en 1968. Quant à lui, il siège au Parlement depuis 1996 et représente la région de Sir el-Denniyé (Liban-Nord). En 2005, il est nommé ministre de la Jeunesse et du Sport et ministre de l’Intérieur par intérim de février à novembre 2006. Portrait du Dr Ahmad Fatfat.
Son oncle était ambassadeur alors que son père était gendarme, puis agriculteur et finalement mokhtar. C’est son père qui a fondé la première association caritative à Denniyé après les événements de 1958 et fut élu député de la région en 1960. «Nous ne sommes pas une famille politique traditionnelle. Ma famille est formée de paysans et d’agriculteurs. C’est à la suite de la révolution populaire que mon père fut élu député. J’avais tout juste sept ans», confie le député.
Très tôt, il montre un intérêt pour la politique. En tant que fils de député, il était protégé et ne sortait pas beaucoup. «Il n’y avait ni télévision ni Internet. Pour m’occuper, je passais mon temps à lire les journaux». Un jour, en 1964, il tombe sur un article parlant de corruption dans les élections. «J’ai plagié l’article et j’ai demandé la parole au cours d’une rencontre. On a coupé une grande partie de ce que j’avais écrit. Depuis ce jour, je n’écris plus mes discours pour que personne ne contrôle ce que j’ai à dire». A 15 ans, il fait son premier discours improvisé. Ses agissements ne sont pas approuvés par son père. «Mon adolescence a été difficile. J’étais très critique à l’encontre de mon père».
Dès son plus jeune âge, Ahmad Fatfat manifeste un caractère indépendant et rebelle. A sept ans, il se cache dans les cimetières pour fumer des cigarettes. Il y renonce à 16 ans lorsqu’on rapporte l’histoire à sa mère, qui refuse d’y croire. Partisan de Kamal Joumblatt, il rejoint à 17 ans la résistance palestinienne. «En 1970, alors que mon père était député, j’ai fait partie contre sa volonté, du Front de libération arabe, seul à m’accepter. Le Fateh et le Front populaire de Georges Habache ont refusé de m’accueillir à cause de mon père. J’ai passé trois mois au camp de Nahr el-Bared. Mon père a tout fait pour me faire entendre raison et me ramener à la maison. Il a tenté de m’attirer par un tas de choses, mais j’ai tenu bon», dit Ahmad Fatfat. Lorsqu’en 1970, l’armée irakienne refuse d’aider les Palestiniens en Jordanie, il quitte le Front de libération arabe et se rapproche pour quelques mois du Mouvement national.
Ahmad Fatfat fait ses études chez les Frères à Tripoli où il est toujours premier de sa classe. Un jour, il surprend une conversation entre ses parents. Sa mère se plaignait de son comportement. La réponse du père fut très claire: tant qu’il a de si bons résultats, je ne peux rien lui dire. «Depuis ce jour, j’ai réalisé que je n’obtiendrai mon indépendance que grâce à de bons résultats». Enfant terrible, il organise et participe à toutes les grèves. A l’école, il est connu pour être gauchisant, mais n’hésite pas à participer à une manifestation organisée par le parti Kataëb, convaincu de la justesse de ses revendications. «Le frère a demandé à voir mon père. Je veux bien, lui dit-il, qu’il participe aux manifestations de gauche mais appuyer les Kataëb, c’est faire la grève pour la grève. Ce n’est pas sérieux. J’ai été renvoyé de l’école et le frère a révélé à mon père que je ne serai plus accepté l’année suivante». Il entame alors une retraite pour préparer tout seul le bac et obtient d’excellents résultats. «J’ai alors dit à mon père: je ne pense pas que le frère refusera de me recevoir avec des résultats pareils».
Entre le génie et le droit
Son père voulait qu’il fasse des études de droit, alors qu’il était attiré par le génie. «J’ai finalement opté pour la médecine, car je voulais à tout prix voyager et être indépendant». Il est admis à l’Université catholique de Louvain en Belgique. «Je suis sorti haineux de chez les Frères. Louvain m’a appris la tolérance». En Belgique, il continue à suivre de près la politique libanaise. Après l’invasion israélienne de 1982, il prend un congé de deux mois et rentre au Liban en tant que représentant de l’association Oxfam. Il se rend dans la Békaa auprès des réfugiés et distribue des aides d’un montant de cinquante mille dollars. En 1986, il est diplômé en médecine interne et gastro-entérologie de l’Université de Louvain. «J’ai obtenu mon diplôme à 11h30, à 14h30, j’étais dans l’avion qui me ramenait au Liban».
A Tripoli, il exerce la médecine et rencontre Rola Mazloum qu’il épouse en juin 1988. Ils ont deux garçons, Sami (23 ans) et Ziad (21 ans). Avec humour, Ahmad Fatfat précise qu’il considère en fait qu’il a trois enfants. «Rola est une femme très sociable, mais elle n’aime pas assumer des responsabilités». Sa relation avec ses enfants est excellente et, malgré ses multiples occupations, il en est très proche et n’a pas eu de problème avec eux durant leur adolescence. «Quand Sami est né, je m’occupais de lui la nuit pendant les premiers quarante jours. Il ressemble beaucoup à sa mère. Il est très sociable, émotif, exigeant et a des goûts de luxe comme sa mère. Par contre, Ziad me ressemble. Il est simple, solitaire, indépendant et transparent. Il ne sait rien cacher tout comme moi. Je dis toujours si vous ne voulez pas qu’une chose se sache, ne me la dites pas». Ahmad Fatfat aime la lecture et le jeu d’échecs. Il a pour devise: «L’honneur du saut est de satisfaire la grandeur que gagne ou perd le sauteur».
Sa rencontre avec Rafic Hariri
En 1992, il est candidat aux élections législatives pour la première fois. Il ne sera élu qu’en 1996 et, depuis, il est député de la région de Sir Denniyé. Ce n’est, qu’après sa victoire en 1996, qu’il rencontre Rafic Hariri. «Hariri m’avait appelé pour me féliciter. J’ai alors pris rendez-vous avec lui. Au cours de notre entretien, il m’a dit: je connais tout le monde au Nord, comment se fait-il que je ne vous connaisse pas? Je lui ai répondu: je suis docteur Ahmad Fatfat, que voulez-vous que je vous dise: faites de moi un député? Aujourd’hui, je suis élu et je vous propose de collaborer avec vous», se souvient Fatfat. Au début, la relation entre les deux hommes est teintée de méfiance. «Rafic Hariri était prudent à mon égard. Ce n’est qu’en 1998 que notre relation a changé. Nous étions dans la résidence de Hariri à Faqra en compagnie de Farid Makari et Samir Jisr. Il y avait également des journalistes étrangers. A un moment, le président Hariri reçoit un coup de fil et s’éloigne. En revenant, il me retrouve en pleine conversation, en français, avec les journalistes. Il est surpris et me demande si je parlais français? Je lui ai répondu que j’avais été étudiant chez les Frères et à Louvain en Belgique. Ce n’est pas ce qu’on m’avait dit, répond Hariri». Ceci a marqué un rapprochement et une évolution dans la relation entre les deux hommes. «Nous avons alors fondé le Courant du futur à Denniyé». Envers Fouad Siniora, Ahmad Fatfat a beaucoup de respect et d’admiration. «J’avais une opinion idyllique de Siniora depuis le jour où il a refusé de me rendre 300000 livres libanaises versées au Trésor selon une loi mal interprétée. Hariri disait toujours que la seule personne que Siniora a amenée au Courant du futur c’est Ahmad Fatfat. Les autres, il les fait fuir».
Devoirs et convictions
Deux fois, Ahmad Fatfat va à l’encontre des choix de Rafic Hariri et vote contre lui. Une première fois lorsqu’il décide de se présenter aux élections législatives de 2000 et que Hariri, suite aux pressions syriennes, essaie de le convaincre de ne pas le faire. Une deuxième fois en 2004, lorsqu’il vote contre la prorogation du mandat d’Emile Lahoud. Ce qui a fait dire à Rafic Hariri que Fatfat fait toujours son devoir mais agit selon sa propre conviction. Le 12 février 2005, Ahmad Fatfat donne sa dernière consultation médicale. Il avait prévu de s’éloigner de la politique et s’était inscrit pour une mise à jour à Montpellier. Mais le tragique drame du 14 février 2005 en a décidé autrement…
Joëlle Seif
Hariri jaloux
Ahmad Fatfat raconte qu’en 2004, deux mois avant les élections présidentielles, Rafic Hariri annonce à son bloc parlementaire qu’il s’était mis d’accord avec les Syriens et qu’il n’y aura pas de prorogation. «J’étais convaincu du contraire et j’ai fait un discours disant que j’étais contre la prorogation». A la veille des élections, il se rend chez Hariri et lui dit qu’il va voter contre la prorogation. «Lorsque je lui ai dit que j’étais désolé de le déranger par mon choix, il a répondu tu t’excuses? J’aurais tellement souhaité être à ta place. Puis, il s’est tourné vers Farid Makari, qui était présent, et lui a dit: de ma vie je n’ai envié personne, aujourd’hui je suis jaloux d’Ahmad Fatfat». En sortant de chez Hariri, il croise le général Wissam el-Hassan qui était à l’époque en charge de la sécurité de Hariri, qui lui demande s’il va voter pour ou contre. «Quand je lui ai dit que je vote contre la prorogation, Hassan s’est exclamé: tu votes contre Hariri. Je lui ai répondu, en fait, je fais cela pour Hariri».
Ce qu’il en pense
-Elections législatives: «Il y aura des élections mais pas nécessairement le 9 juin. Je pense qu’une loi électorale mixte sera adoptée».
-Risque de fitna: «Il n’y a pas de fitna mais une crise politique qui pourrait mener à de graves débordements sécuritaires. Le problème avec le Hezbollah est d’ordre politique et non pas confessionnel».
-La situation en Syrie: «La situation va durer et je prévois encore plus de destruction. On se dirige vers un scénario à l’irakienne».