Magazine Le Mensuel

Nº 2891 du vendredi 5 avril 2013

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Tribunal spécial pour le Liban. Où en est-on?

Le 14 février dernier, les Libanais avaient du mal à réaliser que huit années étaient déjà passées depuis l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ce funeste jour. Il y a eu beaucoup d’attentes déçues, des fuites spectaculaires dans la presse locale et internationale. Il y a eu le fameux acte d’accusation, les noms des quatre accusés rendus publics, leur affiliation au Hezbollah… Et, depuis, la stagnation. Magazine fait le point sur les avancées du tribunal le plus souhaité, en même temps, le plus contesté de l’Histoire du Liban.

Au lendemain de l’assassinat, perpétré de manière spectaculaire, en plein jour, en plein centre d’un Beyrouth que Rafic Hariri avait en grande partie aidé à reconstruire, le Liban tout entier était en colère. Et en attente d’un jugement rapide. La colère est depuis retombée, et le jugement est encore loin de devenir réalité. Qui ne se souvient pas du décompte orchestré dans l’attente de la «vérité» promise? Celle-ci a, depuis, été remplacée par le «rêve», nouveau slogan brandi le 14 mars dernier. Un rêve dont on promet pourtant la réalisation. Un rêve que de très nombreux Libanais ont relégué aux oubliettes, emportés par les soucis quotidiens, de plus en plus nombreux et, semble-t-il, insolubles.
Le Tribunal spécial pour le Liban, faut-il le rappeler, est une institution montée de toutes pièces pour juger les seuls auteurs de l’attentat du 14 février 2005 au Liban, ainsi que ceux qui l’ont précédé et suivi, jusqu’au 12 décembre 2005, à condition qu’un lien soit établi entre les affaires. Il est, par conséquent, aisément compréhensible que les Libanais s’impatientent et ne comprennent pas pourquoi un tribunal, chargé d’une seule affaire, ne soit pas plus rapide.
Il faut pour ceci comprendre que, en tant qu’institution créée spécifiquement pour une affaire d’une telle envergure, avec une tournure internationale, il a fallu, avant même de pouvoir entamer le procès, passer par une multitude d’étapes essentielles pour la garantie d’une juridiction fiable.

Au nombre de ces étapes-clés, il a fallu d’abord envisager la difficile question de la procédure à suivre devant ce tribunal ad hoc.
Pas moins de 152 pages sont ainsi prévues pour réglementer le déroulement du procès, depuis sa création, jusqu’au jugement. Rien n’est laissé au hasard dans ce code procédural, adopté en mars 2009 et amendé quatre fois depuis. Des délais, aux langues officielles, en passant par l’organisation du tribunal, sa compétence, la loi applicable, le déroulement de l’enquête, les droits de la défense, les recours et, enfin, la possibilité d’accorder une grâce ou une commutation de peine. Aucun détail n’est occulté. Et pour cause. Il a fallu négocier avec les Nations unies la procédure suivie auprès du Tribunal spécial pour le Liban  afin qu’elle soit «digeste» pour toutes les parties, c’est-à-dire pour qu’elle ne donne pas lieu, ou le moins possible, à contestation. Ainsi, sur le fond de l’affaire, c’est le code pénal libanais qui trouvera application, dans les limites de l’ordre public international. Et pour ce qui est de la procédure, au moindre doute, les juges devront recourir au code de procédure pénal libanais…
Les derniers amendements en date du code de procédure auprès du TSL remontent au 25 février dernier. Ils semblent répondre au souci de célérité exprimé par de nombreuses parties intéressées. L’un des amendements les plus importants consiste ainsi à comptabiliser les jours en jours civils et non plus en jours ouvrables. De quoi aider à raccourcir les délais…

L’accusation
On se souvient encore de la fébrilité extrême qui a accompagné la publication de l’acte d’accusation par le procureur de l’époque, Daniel Bellemare. Le gouvernement libanais, présidé par l’ancien Premier ministre Saad Hariri, était tombé juste avant que Bellemare ne rende public son acte d’accusation. La chute du gouvernement Hariri avait eu pour toile de fond le Tribunal spécial pour le Liban et ses conséquences, notamment la position officielle du Liban à ce propos.
C’est donc dans le cadre d’un pays très divisé et très fragile sur le plan sécuritaire que le procureur finira par publier l’acte d’accusation. Nous sommes le 17 janvier 2011. Quatre noms sont aussitôt rendus publics, malgré le caractère en principe confidentiel de l’accusation.
Il s’agit de Moustafa Amine Badreddine, Salim Jamil Ayache, Hussein Hassan Onessi et Assaad Hassan Sabr. Quatre noms tout de suite associés au Hezbollah qui ne nie pas leur affiliation, tout en rejetant toute possibilité d’implication du parti de Dieu dans l’affaire Hariri. Dans la foulée, s’ensuit le refus du Hezbollah de livrer les accusés à une justice qualifiée de politisée et même de pro-israélienne. Le bras de fer est à ce jour maintenu. Le Liban a officiellement essayé, sans réussir, d’arrêter les quatre hommes.
Les chefs d’accusation, au nombre de neuf, indiquent le meurtre avec préméditation de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et qualifient l’attentat d’acte de terrorisme.
L’accusation du procureur a, depuis, connu plusieurs amendements, le dernier en date, qualifié de confidentiel, remonte au 7 février dernier. Il apporterait «quelques clarifications».
Si la date du procès a pu, sur base de l’acte d’accusation et des mémoires présentés par la défense, être fixée, le Tribunal a toutefois précisé que l’instance se poursuivrait même en l’absence de comparution des accusés, et que la décision pourrait être rendue in absentia. Une question juridique qui, elle aussi, a fait débat avant d’être tranchée dans le sens de la possibilité de la tenue du procès en l’absence des accusés.
En tout cas, pour le moment, les véritables commanditaires de l’attentat sont toujours inconnus du public, même si les procureurs, qui se sont succédé, ont affirmé que de nombreuses personnes, autres que les quatre accusés, sont aussi impliquées dans l’affaire.

Les affaires liées
Conformément à ce qui avait été prévu par la résolution portant création du Tribunal spécial pour le Liban, plusieurs affaires ont été étudiées par le juge de la mise en état, Daniel Fransen, pour établir leur lien de connexité avec l’affaire Hariri.
Ainsi, le 18 août 2011, les attentats perpétrés contre Georges Haoui, Marwan Hamadé et Elias el-Murr, ont été formellement reconnus par le TSL comme des affaires connexes à l’attentat terroriste du 14 février 2005. Les juges libanais, saisis de ces dossiers, ont dû s’en dessaisir.
Les autres affaires, considérées par de nombreux Libanais, notamment du camp du 14 mars, comme connexes aussi, n’ont pas encore été reconnues comme telles par le TSL.
Or, à ce niveau, il existe aussi un débat important. Les statuts du TSL ont fixé la compétence de ce dernier en ce qui concerne l’affaire Hariri, et les attentats qui présenteraient avec elle des liens de connexité, ceci à partir du 30 octobre 2004 jusqu’au 12 décembre 2005. C’est-à-dire entre la date de l’attentat manqué contre Marwan Hamadé, et celle de l’assassinat de Gebran Tuéni.
Pour les éventuelles affaires qui suivraient cette date, le statut du TSL précise qu’il faudrait, au cas par cas, établir un accord avec le gouvernement libanais pour élargir la compétence du Tribunal… Or, depuis janvier 2011, le gouvernement en place n’est plus aussi coopératif avec le TSL que celui de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora ou encore celui de Hariri fils. Ainsi, d’autres attentats, notamment celui qui a coûté la vie au fils de l’ancien président Amine Gemayel, n’entrent pas dans le champ de compétence du Tribunal…
A ce jour, seules les trois affaires de Haoui, Hamadé et Murr sont, comme le dossier Hariri, jugées par le TSL.  

La défense
La structure du Tribunal spécial pour le Liban est exceptionnelle en ce qui concerne la défense. Non seulement les accusés ont évidemment droit à bénéficier de la meilleure défense possible, même au moyen d’avocats commis d’office, mais il y a aussi la présence d’un bureau indépendant de la défense. Ce bureau, présidé par François Roux, ne représente pas les accusés. Il fait pendant, en quelque sorte, au bureau du procureur et s’assure, outre les avocats de la défense, du respect de la procédure et des droits des accusés. On peut donc affirmer que les accusés auprès du TSL bénéficient d’une double défense.
Quant aux avocats des quatre accusés, ils ont été bien évidemment commis d’office, puisqu’on n’a pu, à ce jour, arrêter aucun des suspects. Or, le TSL a pris soin de montrer que les plus grandes précautions ont été prises pour la désignation des avocats de la défense. Leurs CV respectifs, dûment publiés sur le site Internet du TSL, n’ont rien à envier à celui du procureur.
Ces juristes sont connus pour avoir défendu, souvent avec succès, des personnes accusées de crimes de nature internationale.
Chaque accusé est représenté par deux avocats, l’un est libanais, et l’autre international.
Des sources exclusives ont confié à Magazine que le Hezbollah s’intéresserait de très près à la manière dont se déroule la défense, même s’il adopte officiellement une position de refus de se soumettre au TSL. En effet, il semble que le parti de Dieu tiendrait à blanchir son nom de toutes les manières possibles, fussent-elles juridiques le cas échéant.
Les avocats de la défense sont en tout cas très actifs et ne semblent lésiner sur aucun moyen pour défendre Ayache et les trois autres accusés. A ce jour, ils ont notamment réussi à obtenir le report de la date d’ouverture du procès, pour défaut de remise de tous les documents par le procureur. Un premier pas, prometteur pour une défense digne de ce nom, mais qui augure certainement d’un procès très long, puisque, huit ans après les faits, ils en sont encore à la réclamation des documents, avant même de pouvoir les lire et émettre un avis les concernant, et produire d’éventuelles contre preuves…
 

La participation des victimes
Depuis que l’acte d’accusation a été confirmé par le juge de la mise en état, le TSL a ouvert la possibilité, aux victimes de l’attentat du 14 février 2005, ainsi que des affaires connexes, de participer à la procédure, du moins à son aspect technique, comme l’interrogation des témoins, la présentation de mémoires, et, surtout, l’accès à tous les documents. Or, pour ce qui est de la réparation matérielle du préjudice subi, il faudra aux victimes reconnues comme telles par le TSL de se tourner vers leurs juridictions nationales, munies toutefois d’une copie certifiée du jugement du TSL.
Autant dire que l’heure n’est pas encore venue pour les victimes d’espérer une quelconque réparation dans un avenir proche…

Joumana Nahas

Le dossier de Jamil el-Sayyed
Le nom de l’ancien chef de la Sûreté générale, le général Jamil el-Sayyed, figure désormais sur la liste des affaires du TSL. Il existe désormais, sur le site Internet du Tribunal, un lien direct en ce qui concerne le contentieux entre Sayyed et le tribunal.
Au lendemain de la décision du juge de la mise en état de libérer le général Sayyed et les trois autres généraux, arrêtés au Liban dans le cadre de l’affaire Hariri, l’ancien directeur de la Sûreté n’a eu de cesse de réclamer au TSL la remise de tous les documents concernant son arrestation. Ceci dans le but de poursuivre, auprès des tribunaux locaux ou même internationaux, ceux par la faute desquels il s’est retrouvé en prison pendant près de quatre ans.
A ce jour, le tribunal a accepté de remettre à Sayyed une partie seulement des documents réclamés. De même, il ne s’est pas reconnu compétent pour être saisi de l’affaire des «faux témoins» dont se prévaut Sayyed.
Reste à l’ancien directeur de la Sûreté de tenter de se porter comme victime collatérale de l’attentat du 14 février, ce qui serait sans doute une provocation, mais qui, le cas échéant, lui permettrait d’avoir accès à tous les documents…

Le financement du tribunal
Le Liban finance à hauteur de 49% les frais occasionnés par le fonctionnement du TSL. Or, ce point a causé, lui aussi, de nombreux débats, souvent houleux, notamment du fait que le Hezbollah s’est ouvertement prononcé contre la participation libanaise au financement.
Il n’en reste pas moins que le Liban continue, sous le mandat de Najib Mikati, pourtant qualifié de chef d’un «gouvernement du Hezbollah» par l’opposition, de payer annuellement sa redevance au TSL. La dernière en date est celle effectuée en juillet 2012. Elle est de près 27 millions de dollars, rien que pour l’année 2012.
Il y a fort à parier que, si le gouvernement paiera sans ciller la participation libanaise au TSL pour 2013 avant même de régler le financement de la grille des salaires, des dents vont grincer…

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