Il ne passe pas inaperçu, Tammam Salam… Sa stature imposante, son allure de Beyrouthin distingué, ses costumes sombres et toujours impeccables, font de lui un homme respecté de son entourage politique, mais aussi de tous les gens qui sont amenés à le côtoyer. A y regarder de plus près, comme Magazine en a eu l’occasion, ce n’est pas seulement une question de physique qui avantage Tammam Salam, encore moins une question de naissance. Il y a chez cet homme, ancien ministre de la Culture et actuel député du bloc Le Liban d’abord, un calme intérieur qui irradie sur son visage. Un calme quasiment contagieux…
Dans ce vieux quartier de Beyrouth, au bout d’une ruelle encombrée, elle est là, blanche, majestueuse, imposante. Une bâtisse de deux étages construite dans le plus pur respect des traditions beyrouthines abrite la demeure de Tammam Salam. On s’y gare juste devant le perron, sans que les gardiens, invisibles, ne s’interposent. Hésitation: sommes-nous bien devant la maison du député sunnite? Les passants connaissent bien «leur» député; ils confirment, c’est bien ici. Ce n’est qu’à l’intérieur que des hommes en civil, courtois, dirigent l’équipe de Magazine vers le beau salon des Salam, où les œuvres d’art d’une grande finesse côtoient les pièces antiques dignes de musées. Nous devinons que Tammam Salam a voulu sa protection à son image: solide mais discrète. Rien de tapageur en effet chez notre hôte, ni dans le look, soigné comme toujours, ni dans l’attitude, chaleureuse et polie.
D’un ton calibré et égal, il raconte d’abord l’histoire de la maison familiale, construite par l’aïeul Abdel-Jalil Salam, vers la moitié du XIXe siècle.
On ressent une véritable passion chez Salam quand il s’agit d’évoquer la demeure, anciennement connue sous le nom de «tour Mousseitbé». Non pas parce qu’elle en avait la forme, mais parce qu’on pouvait encore la distinguer, à travers les arbres, depuis le centre-ville naissant de l’époque. A la suite d’un arrangement familial, la maison revient à Saëb Salam, père de Tammam, et le grand homme que l’on sait. Le jeune Tammam a tout juste 7 ans, en 1952, quand son illustre famille s’installe dans la «tour». Il s’habitue, depuis, amusé, et intéressé, aux incessants va-et-vient dans le salon beyrouthin, et à la présence, trop rare, d’un papa occupé à refaire le Liban. C’est sa maman, Tamima, qui vient de fêter ses 90 ans, entourée de toute la famille, qui apprend à ses trois fils et à ses deux jumelles les joies d’une vie simple, sans chichis, loin des mondanités, et plus près des vraies valeurs. Elle s’attelle à la tâche, n’accompagnant que très rarement son mari lors de cérémonies officielles et suivant de près une scolarité pourtant chaotique de ses enfants. Salam raconte, avec une pointe d’amusement, avoir «fait» plusieurs écoles, dont les Makassed, le Victoria College en Egypte et, enfin, la Broumana High School. Il a donc «shifté» d’une éducation francophone à un apprentissage en langue anglaise, ce qu’il regrette aujourd’hui: «S’il est vrai que l’avenir est à l’anglais, dit-il dans un français parfait, j’estime qu’on a toujours le temps de l’apprendre plus tard. En tant que libanais, il est important que nous maîtrisions le français d’abord». C’est donc un élève sans problème, calme, réservé, pondéré, qui suit les pérégrinations de son pays, en écoutant souvent aux portes du salon ce qui se faisait et se défaisait dans un Beyrouth en ébullition. Le virus de la politique est vite attrapé, et, même quand il était tout jeune homme, Tammam Salam s’y intéressait, s’y investissait, aux côtés de son père, et de son défunt frère Fayçal, parti il y a 15 ans à la suite d’un accident de voiture en Arabie saoudite.
A l’ombre de la personnalité très forte de son père, Salam réussit quand même à parfaire son propre bout de chemin, qu’il ne voyait nulle part ailleurs que dans le domaine public. Même aujourd’hui, quand nous lui demandons s’il aurait rêvé faire autre chose, artiste, médecin, poète, la réponse est nette: «Je suis très heureux dans le domaine que j’ai choisi… Je ne me vois pas faire autre chose!».
Autre chose, il en fait simplement en parallèle, à côté. Comme par exemple cette passion pour la lecture: «Je pourrais dévorer n’importe quel livre que vous me mettriez sous la main! Tous les sujets m’intéressent. J’adore la lecture, en arabe, en français ou en anglais, peu importe. L’essentiel est de lire, tout le temps».
Dévorer, ce sera seulement les livres pour notre homme au physique d’athlète, qui avoue «manger pour vivre», et non le contraire.
De plus, pour expliquer la stature, impressionnante pour ses 65 ans, de Salam, il faut savoir qu’il a pratiqué toutes sortes de sports dans sa vie: la natation, l’équitation, le ski alpin et enfin le golf qu’il pratique encore aujourd’hui régulièrement, en plus des exercices quotidiens effectués au réveil!
Du côté de la vie privée, Tammam Salam avoue être un grand romantique: «L’amour, il n’y a que cela de vrai!», affirme-t-il sans ciller. Il l’aura connu à deux reprises au cours de sa vie. Sa première femme, Rima, mère de ses trois grands enfants, aujourd’hui trentenaires, et son actuelle épouse Lama, dont il avoue être encore éperdument amoureux, plus de 15 ans après leur mariage. La première union vire à l’aigre quand les enfants et la mère, seuls, s’installent en Belgique pour fuir la guerre qui faisait rage au Liban. Tammam Salam, lui, reste à Beyrouth, où il suit l’actualité de très près. Loin des yeux, loin du cœur, dit l’adage. Il s’avérera juste avec notre homme, qui rencontre alors Lama, une belle mère de famille, elle aussi séparée de son époux, et qui s’occupe activement de plusieurs projets associatifs. Un amour qui tient la route, et qui servira de baume, devant toutes les embûches que rencontre sur son chemin ce fils de l’une des plus grandes familles politiques du Liban. Un peu de douceur dans un monde difficile, dont Salam avoue ne pas avoir toujours su saisir à temps les opportunités et les subtilités. Droit, sincère et intègre, Tammam Salam a aussi appris à se transformer en battant le tout, derrière un sourire charmeur et avec le mot dosé. Ce n’est pas lui que vous risquez d’entendre vociférer.
Joumana Nahas
Ce qu’il en pense
♦ Une vision possible pour une sortie de crise: «C’est très simple. Si toutes les autorités politiques du pays arrivent à mettre de côté leurs intérêts personnels, et même leurs intérêts
partisans, pour mettre en avant le seul intérêt supérieur de la nation, on arrivera facilement à s’en sortir. En revanche, si nous laissons la loi tribale perdurer, elle finira par nous vaincre. Et, dans ce cas de figure, il faut avouer que nous sommes bel et bien menacés».
♦ L’extrémisme religieux: «D’où qu’il émane, il est dangereux. La montée de l’extrême-droite dans certaines régions d’Europe, par exemple, fait peur. Ces mouvements extrémistes, qui refusent l’autre, sont très inquiétants. Tout ce que je peux dire pour le cas du Liban, c’est que nous avons déjà payé assez cher le prix de nos extrémismes! Il est temps d’y réfléchir».
♦ L’héritage politique familial: «Les Libanais, dans leur majorité, sont très attachés aux liens familiaux. C’est un genre de nostalgie qui caractérise les Libanais. C’est, à mon avis, ce qui explique leur attachement aussi à des familles politiques qu’ils ont aimées. Or, il faut savoir que les allégeances ne sont pas automatiques. Il faut que les héritiers des grands noms politiques soient à la hauteur de la tâche qui les attend, il faut qu’ils soient dignes de confiance».
Makassed, une seconde famille
L’association de bienfaisance islamique al-Makassed a plus de 132 ans d’âge. La
famille Salam en a occupé près de la moitié! L’arrière-grand-père de Tammam Salam, Ali, en a été l’un des fondateurs, en 1878. Saëb Salam a dirigé l’institution pendant 25 ans, et Tammam Salam durant 18 longues années. Autant dire une seconde famille pour les Salam, qui y ont occupé, de père en fils, des postes de responsabilité. Al-Makassed est surtout connue aujourd’hui pour son vaste réseau d’écoles (52), mais aussi pour le service hospitalier, les activités de bienfaisance, le scoutisme et les services funéraires des musulmans sunnites pour la ville de Beyrouth.
Tammam Salam a donc dirigé cette vénérable institution entre 1982 et 2000. Il y a notamment institué un corps de défense civile pendant la guerre. Il a démissionné à la suite de son échec aux législatives de 2000: «J’estimais, dit-il, que je n’avais pas le droit de garder un tel poste alors que j’avais perdu aux élections. Ce n’était pas honnête de ma part». Bel exemple d’abnégation de celui pour qui les lambris et les honneurs ne sont pas importants. Il a tiré sa révérence, estimant que le directeur d’une telle institution devait pouvoir y apporter une valeur ajoutée. Or, déçu par son élimination, il s’est refusé le poste, le laissant, dit-il, «à des mains très sûres».