Magazine Le Mensuel

Nº 2892 du vendredi 12 avril 2013

general

Paolo Serra. Un militaire diplomate

Il a la prestance d’un militaire et toute la subtilité d’un diplomate. Sa carrière prestigieuse l’a mené aux quatre coins du monde, de son Italie natale aux Etats-Unis, en passant par le Kosovo et l’Afghanistan. Depuis le 28 janvier 2012, il est commandant en chef de la Finul. Portrait du général Paolo Serra.

Naqoura. Dernier village libanais avant la frontière israélienne. Là où le bleu du ciel se confond avec les eaux turquoise de la Méditerranée. Un hameau paisible où il fait bon vivre. C’est aussi le siège de la Finul où quelque 11000 soldats, représentant trente-huit pays différents, et un millier de civils, sont chargés du maintien de la paix. Dès notre arrivée, l’accueil est chaleureux. Les échanges avec les soldats sri-lankais sont très sommaires et se limitent aux gestes puisqu’ils ne parlent ni français ni anglais. En compagnie du porte-parole de la Finul, Andrea Tenenti, nous sommes guidés vers les bureaux entièrement rénovés du commandant en chef. Entouré de son staff, le général Paolo Serra nous reçoit à la porte de son bureau. Affable et souriant, il nous met tout de suite à l’aise. Entre Italiens et Libanais, le courant passe très vite.
«Je suis un homme chanceux dans ma vie et dans ma carrière», reconnaît Paolo Serra. C’est à Turin, en Italie, qu’il est né il y a 57 ans. Chez les Serra, il n’y a pas d’officier. Il est le premier de la famille à vouloir entrer à l’académie militaire. «C’était mon rêve et ce fut une grande surprise pour ma famille». Il entreprend des Etudes stratégiques (branche militaire des Affaires internationales). Très tôt, il assume des responsabilités sur le plan international, ce qui lui donne une large ouverture et une interaction avec les différentes communautés. Son parcours est impressionnant. Avant de prendre en charge le commandement de la Finul, il fut le commandant de la brigade alpine italienne «Julia» chargée de la région occidentale de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (Fias). En 2009, il est chef d’état-major du Corps de déploiement rapide italien de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan). De 2004 à 2007, il occupe la fonction d’attaché militaire de l’ambassade d’Italie à Washington. Le général Serra a ainsi une vaste expérience dans les opérations multinationales de paix. En tant que commandant chargé de la région occidentale de la Fias, il a étroitement collaboré avec la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (Manua). Il a également commandé le neuvième régiment alpin déployé au Kosovo dans le cadre de la Force de l’Otan (Kfor) en 1999 et dans le cadre de l’Opération des Nations unies au Mozambique en 1994.

Honneur et responsabilité
«Un honneur et une grande responsabilité». C’est en ces termes que Serra décrit sa mission au Liban. «Je suis très heureux d’être là. Ce n’est pas seulement une grande responsabilité mais aussi une opportunité unique pour un soldat d’être en même temps commandant et chef de mission. C’est une double tâche, militaire et diplomatique». Aujourd’hui, le Sud est considéré comme la région la plus calme et la plus stable du Liban, en grande partie grâce aux efforts de la Finul. Le général Serra estime, toutefois, que cette stabilité est le résultat d’une collaboration entre toutes les parties en présence. «Il y a désormais plus de sagesse dans l’approche des deux parties. Les deux pays n’ont pas de position agressive l’un envers l’autre. Nous comprenons mieux la situation et nous essayons de maintenir la paix. Nous ne sommes pas encore au stade d’un cessez-le-feu global, mais nous y travaillons sur le double plan stratégique et politique». Il est très heureux de constater que, depuis 2006, la paix et la sécurité règnent dans la région. «Les enfants grandissent loin de la guerre et c’est en cela que consiste notre engagement».

La mission de la Finul
Elle comprend deux volets: l’assistance militaire et le support à la population locale. «Le premier est le plus simple car il représente une activité militaire normale. Il s’agit de contrôler la Ligne bleue et de surveiller le cessez-le-feu. Quant à la population locale, elle est soutenue par de petits projets exécutés par la Finul tels que la réhabilitation des écoles, l’asphaltage des routes, l’installation de nouvelles canalisations…». On assiste de plus en plus à des mariages entre les soldats de la Finul et la population locale. «La Finul est là depuis 1978. Nous avons grandi ensemble et nous faisons désormais partie de la population. Il est tout à fait normal que cette amitié s’approfondisse et se transforme en liens plus solides. Cela est très bénéfique et nous aide, d’une part, à mieux comprendre les traditions et les usages des Libanais, et d’autre part, nous donne la certitude sur le plan militaire que nous évoluons dans un environnement amical. Nous sommes bienvenus aussi bien auprès des autorités politiques que de la population civile».
Il n’a pas fallu longtemps au général Serra pour tomber amoureux de la région et du pays. «Le climat, la végétation, la mer… Tout est si beau ici qu’on finit par se sentir libanais. Je comprends parfaitement les jeunes soldats qui tombent amoureux des Libanaises. Actuellement 6% de nos soldats sont des femmes et j’espère qu’elles seront autant appréciées par les Libanais», dit le général Serra amusé. La plupart du temps, le général est au Sud mais, de temps en temps, il se rend à Beyrouth pour des raisons spécifiques. «Je me sens plus à l’aise ici. Je passe la moitié de la journée dans mon bureau et le reste du temps je suis avec les soldats qui patrouillent. C’est de cette manière que je peux sentir ce qui se passe réellement. Ce n’est pas en restant derrière un bureau qu’on peut vraiment évaluer la situation».
Si on assiste à un afflux de réfugiés syriens au Sud, le général Serra ne semble pas s’en inquiéter outre mesure. «La situation des réfugiés syriens est un problème humanitaire. Notre souci est de les aider dans la mesure de nos capacités. C’est le bureau des réfugiés des Nations unies qui s’en occupe». Selon le commandant de la Finul, la collaboration avec les Libanais aide à prévenir toute forme de menace. «La Finul doit toujours être perçue comme le représentant de la communauté internationale. Nous sommes ici dans l’intérêt et à la demande du Liban. Nous ne devrions pas avoir d’ennemis. De plus, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes une force militaire capable de se protéger. Les attentats qui ont eu lieu dans le passé n’ont pas remis en cause nos engagements et nos objectifs. C’est ce qu’il faut garder en tête».
A travers le prestigieux parcours de ce militaire, le commandement de la Finul sera toujours le point culminant de sa carrière. «A la fin de cette mission, il me restera cinq ou six ans avant la retraite. D’autres postes me seront probablement proposés mais rien ne vaudra celui-ci. Rien ne peut être aussi intéressant. C’est un sentiment magnifique pour un général. On ne se limite pas à appliquer des règles militaires. Il faut être diplomate et militaire à la fois». Avec bienveillance, il parle du respect pour les traditions et du mode de vie des habitants de la région. «Nous sommes les hôtes de ce pays et nous devons toujours nous mettre à la place des autres pour les comprendre. Pour comprendre et respecter, il faut du temps et en restant ici, nous tombons immanquablement amoureux du pays et de la mission. Elle est unique. Aucune autre mission ne peut être aussi gratifiante». Il nous confie que, durant les trois premiers mois, le stress l’empêchait de dormir la nuit. «Mais avec le support des collègues et des gens, on ne se sent pas seul. Nous voulons que le Liban reste à l’abri des remous qui secouent toute la région». L’entretien avec le général Serra tire à sa fin. Mais il a l’amabilité de se faire prendre en notre compagnie une photo traditionnelle devant les drapeaux des pays représentés dans la Finul. Nous nous promenons en sa compagnie sur le site et il nous mène vers sa résidence où il nous présente son épouse Antonella. Sa moto est stationnée devant l’entrée et les chats lui font la fête. «Depuis que je leur donne à manger, ils sont devenus nombreux autour de la maison», dit Serra en souriant. Nous faisons quelques pas sur une terrasse magnifique, baignée de soleil, surplombant la mer. Pourtant, à quelques brasses, derrière l’horizon, Israël se profile…

Joëlle Seif
 

Ce qu’il en pense     
-Réseaux sociaux: «C’est la nouvelle façon de communiquer. Je suis personnellement sur Facebook et la Finul possède des pages sur le Web. C’est un forum démocratique où soldats et généraux peuvent librement s’exprimer. On peut être d’accord ou pas, mais il faut toujours écouter et partager. Je suis très positif pour l’utilisation de ces nouveaux moyens de communication qui permettent un échange rapide de l’information».  
-Ses loisirs: «Je suis toujours à court de temps mais j’essaie quand même de faire du sport, le meilleur moyen de se débarrasser du stress. Nous avons une piscine et une salle de gym. Je joue également au golf et, comme la plupart de ceux de ma génération, j’adore faire de la moto. J’aime aussi passer du temps auprès de ma famille. Ma femme Antonella est là pour le moment et ma fille Paola vient en été».
-Sa devise: «Faites quelque chose. N’attendez pas. Toujours prendre l’initiative».

Tour guidé
En laissant le général Serra vaquer à ses multiples occupations, le porte-parole de la Finul, Andrea Tenenti, nous emmène en voiture visiter le quartier général. Une véritable cité. L’électricité y est fournie par des panneaux fonctionnant à l’énergie solaire. Un garage énorme où tous les véhicules relevant de la Finul sont réparés sur place pour des raisons de sécurité. Nous visitons également l’héliport qui accueille plusieurs hélicoptères. A proximité, une cafétéria tenue par des Libanais. Les pilotes italiens expriment leur joie d’être là. Une visite exceptionnelle sur une terre qui a vécu tant de drames…

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