Le suspense n’aura finalement pas duré. Deux semaines après la démission de Najib Mikati, le consensuel Tammam Salam est désigné à une quasi-unanimité pour diriger le prochain gouvernement, sans aucun outsider. Retour sur l’itinéraire du nouveau Premier ministre.
Modéré, homme de consensus… Qu’elles viennent de l’opposition ou de l’actuelle majorité, les critiques concernant Tammam bey Salam sont, pour l’heure, plutôt positives. Et dans ce contexte difficile que traverse le Liban, on ne peut que s’en réjouir. Le nom de Tammam Salam comme éventuel Premier ministrable – évoqué alors qu’il se trouvait en visite à Riyad, en Arabie saoudite -, aura finalement fait l’unanimité de la classe politique libanaise, pour succéder à Najib Mikati, démissionnaire depuis quinze jours.
Sa nomination, désormais confirmée par le président de la République Michel Sleiman, le plus dur reste à faire pour le nouveau président du Conseil, qui doit s’atteler à la difficile formation d’un cabinet de consensus. Sans compter les multiples dossiers brûlants qui l’attendent, comme celui des élections législatives, ou encore la fameuse politique de distanciation libanaise par rapport au conflit syrien.
L’homme n’est pas un inconnu des Libanais, et pour cause. Tammam Salam est issu d’une vieille famille politique beyrouthine. Son père Saëb Salam a occupé à six reprises le poste de Premier ministre entre 1952 et 1973. Les Salam, tout comme les Solh, se targuent ainsi d’avoir joué un grand rôle dans l’Histoire contemporaine du Liban, que ce soit avant la guerre de 1975, avec une participation importante à la création du Pacte national de 1943, ou après le conflit, avec l’accord de Taëf. A l’époque, le père de Tammam Salam, Saëb, apparaît comme l’un des principaux leaders de la communauté sunnite au Liban.
Dans la droite ligne de son père, Tammam Salam est, de l’avis de ses proches, une personnalité modérée, diplomate, mais aussi quelqu’un d’attaché au libéralisme et très ouvert sur les autres communautés qui composent le tissu confessionnel libanais.
Solidaire des chrétiens
Pourtant et malgré ses ascendances, Tammam Salam n’entre en politique qu’en 1974, année où il fonde son Mouvement des pionniers de la réforme. Une orientation naturelle pour celui qui confiait à L’Hebdo Magazine, en 2010, «être très heureux dans le domaine que j’ai choisi… Je ne me vois pas faire autre chose». Aux Libanais qui pourraient dénoncer le fait que c’est encore un «fils de…», qui prend les rênes du pays, Tammam Salam, soulignait, toujours dans Magazine, qu’il «faut que les héritiers des grands noms politiques soient à la hauteur de la tâche qui les attend, il faut qu’ils soient dignes de confiance».
En 1982, il est nommé à la tête du Board of Trustees des Makassed, l’association de bienfaisance islamique que sa famille a d’ailleurs contribué à créer en 1878. Son père, Saëb, l’avait dirigée pendant 25 ans, il occupera, lui, ce poste durant 18 ans jusqu’en 2000. Parmi les traces qu’il laisse dans l’institution, la création d’un corps de défense civile pendant la guerre.
Parmi ses faits d’armes politiques, les Libanais se souviendront de l’année 1992 où Tammam Salam devient l’une des rares personnalités sunnites à exprimer sa solidarité avec l’opposition chrétienne de l’époque. Dans un Liban alors placé sous le joug syrien, les opposants chrétiens avaient appelé au boycott pur et simple des élections législatives, estimant que la loi électorale était – déjà – trop déséquilibrée. En guise de soutien, Salam s’était abstenu de participer au scrutin en ne se présentant pas à la législature.
Autant dire qu’à l’époque, ses relations avec le voisin syrien, encore dirigé par Hafez el-Assad, sont complexes, voire difficiles. Tammam vit la plupart du temps à l’étranger, tandis que son père se voit interdit de politique.
Pourtant, quelques années plus tard, en 1996, il gagne ses galons de député de Beyrouth et entre au Parlement en tant que candidat indépendant.
En 1998, Tammam Salam soutient aux côtés de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, la liste qui remportera les municipales de Beyrouth. L’alliance de ces deux ténors sunnites s’éteindra pourtant rapidement, lorsqu’en 2000, ils s’affrontent en tant que candidats aux législatives. Salam essuie un échec cuisant, tandis que Hariri remporte la mise. Dans le même temps, il met fin à ses activités à l’association Makassed, estimant, comme il le soulignait dans Magazine, qu’il n’a «pas le droit de garder un tel poste, alors qu’(il a) perdu aux élections. Ce n’était pas honnête de ma part». Ceux qui le fréquentent de près s’accordent d’ailleurs pour dire que Tammam Salam n’est pas homme à courir après les honneurs ou les distinctions. Passionné de la chose publique, le nouveau Premier ministre est avant tout un homme intègre, patient et honnête, et ne renie pas les principes auxquels il croit. De même, il n’est pas du genre à se cramponner coûte que coûte à son poste, en cas d’échec.
Rapprochement avec Hariri
Tammam Salam se fait discret sur la scène politique, jusqu’en juin 2007, lors de l’assassinat du député du Moustaqbal, Walid Eido. L’ancien député de Beyrouth se rapproche alors de Saad Hariri. Il intègre par la suite le gouvernement d’union nationale de Fouad Siniora en juillet 2008, où il se voit confier le portefeuille de la Culture.
Cette ouverture au Courant du futur apparaît comme un signal en direction des familles sunnites ancrées dans la capitale. De son côté, Tammam Salam parle plutôt d’une consolidation des liens avec Saad Hariri. Il sera ensuite réélu en 2009 en figurant sur la liste du 14 mars.
Malgré ce rapprochement, l’héritier de Saëb Salam se veut politiquement indépendant. Bien que proche du Courant du futur et plus globalement du 14 mars, il se garde d’être jusqu’au-boutiste, comme d’autres de ses collègues, et ne s’en est jamais pris ouvertement, par exemple, au Hezbollah.
C’est d’ailleurs cette ligne de conduite, plutôt centriste, et ses propos toujours modérés qui ont fait que son nom est apparu acceptable par toutes les parties, le 8 mars compris, lors des consultations du président de la République. Car Tammam Salam entretient de bonnes relations tant avec Walid Joumblatt qu’avec Nabih Berry, sans parler des autres composantes chrétiennes qui apprécient cet homme de consensus. Quant au Hezbollah, si Salam a dénoncé le 7 mai 2008 et soutenu la création du Tribunal spécial pour le Liban, il estime légitime l’arsenal du parti s’il est seulement dirigé contre Israël. Il a d’ailleurs réitéré ces propos, lors d’une interview récente accordée à la BBC. «La résistance contre Israël est légitime, mais la décision de guerre et de paix doit être du ressort de l’Etat libanais. Il faut mettre un terme à l’utilisation des armes à l’intérieur du pays».
La modération et un sens aigu de la diplomatie, mais aussi de l’intérêt public, dont fait pour l’heure preuve Tammam Salam, devraient lui être bien utiles. Nommé sans obstacles majeurs au Grand sérail, il lui reste désormais la tâche la plus difficile à accomplir. Celle de former un gouvernement d’union nationale qui satisfasse et rassemble tous les partis autour de lui. Il a, d’ores et déjà, prévenu que «puisque tout le monde a pris part à ma nomination, tout le monde devrait être impliqué aussi dans la formation du gouvernement».
Jenny Saleh
Son parcours…
Né en 1945, Tammam Salam est, comme nombre de Libanais, parfaitement trilingue, passant du français, à l’anglais et à l’arabe, sans aucun problème. Il a étudié au sein de plusieurs écoles, dont celles des Makassed, du Victoria College en Egypte, pour achever sa scolarité à la Broumana High School. Salam poursuit par un cursus d’économie, de gestion et de finances en Grande-Bretagne. Discret de nature et absolument pas bling-bling, le nouveau Premier ministre affiche un calme à toute épreuve.
Côté vie privée, Tammam Salam s’est marié une première fois avec Rima, qui lui donnera trois enfants aujourd’hui trentenaires. Ils se séparent durant la guerre et il se marie en secondes noces avec Lama, mère de famille séparée de son conjoint. Une épouse dont il avoue être encore éperdument amoureux, lui qui se qualifie de grand romantique.
Côté loisirs, Tammam Salam, qui a une stature impressionnante, est un passionné de sports, puisqu’il a pratiqué la natation, le ski alpin, l’équitation ou encore le golf. Salam est aussi un homme de culture, épris de lecture, quelle que soit la langue.
Tous unis autour de Salam
Les leaders politiques de tous horizons se sont montrés quasi unanimes en nommant Tammam Salam au Grand sérail. Nabih Berry voit là une «chance de rétablir la paix entre Libanais».
Michel Aoun a appelé à la formation d’un gouvernement d’union nationale, tout en espérant que Salam «évitera toute politique vindicative».
Najib Mikati, son prédécesseur, qui l’a aussi nommé, l’a qualifié de «politicien chevronné».
Fouad Siniora, pour Moustaqbal, a dit que son bloc avait nommé Salam «par conviction de la nécessité de renforcer l’indépendance et la stabilité du Liban».
Mohammad Raad, pour le Hezbollah, déclare que son parti soutient Salam «pour montrer notre ouverture à toute opportunité de dialogue en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale entre toutes les parties au Liban».
Quant à Michel Murr, il a nommé Salam «non parce qu’il est le fils de Saëb Salam, mais en raison de son parcours dans les domaines éducatif et politique».