Magazine Le Mensuel

Nº 2892 du vendredi 12 avril 2013

Cinéma en Salles

The Lebanese Rocket Society. Entre la terre et la lune

Le dernier film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige vient de sortir sur grand écran. The Lebanese Rocket Society – L’étrange histoire de l’aventure spatiale libanaise. Un merveilleux documentaire riche et personnalisé qui invite au rêve et à l’action artistique.

Qui d’entre nous aurait pu imaginer que le Liban dans les années 60 rêvait de lancer une fusée dans l’espace? Non seulement il en rêvait, mais il a commencé à le faire. Qui d’entre nous se rappelle de ces moments-là? La réponse est presque unanime. Personne. Pourtant, nous avons bel et bien eu plusieurs fusées appelées tour à tour Cedar 1, Cedar 2, Cedar 4… des timbres à leur effigie, une couverture médiatique de chaque lancer… Nous n’avons pas atteint la lune, mais nous avons pu conquérir l’espace, frôlant même l’incident diplomatique avec Chypre, et notre cèdre a atteint jusqu’aux 600 km.
Cette nouvelle surprendra, étonnera et ravira tous les futurs spectateurs du dernier film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. The Lebanese Rocket Society – L’étrange histoire de l’aventure spatiale libanaise est un documentaire spécial qui se tisse d’éléments d’action, d’images d’archives, d’entretiens, et qui relève en même temps d’une recherche personnelle, celle de deux cinéastes-plasticiens qui questionnent la mémoire, comme ils l’ont toujours fait tout au long de leur filmographie, qui rappelons-le, regroupe notamment Autour de la maison rose (1990), A perfect day (2005), Je veux voir (2008). Et le film débute en voix-off sur des images d’animation. On est propulsé en 1969, année de la naissance des réalisateurs. La révolution spatiale libanaise s’était déjà éteinte. Et presque tombée dans l’oubli puisqu’il n’en restera rien dans la mémoire, à tel point qu’il semblera au spectateur durant les premières minutes du film que l’histoire qu’il est sur le point d’entendre n’est qu’une illusion.

Une aventure «hallucinante»
D’ailleurs, le couple de cinéastes a lui-même eu du mal à y croire. C’est par hasard qu’ils ont eu vent de cet événement mystérieux, comme mentionné dans le dossier de presse, à travers la sœur de la réalisatrice, Tania Hadjithomas Mhanna, fondatrice des Editions Tamyras, qui effectuait une recherche sur l’Histoire du Liban. Progressivement, le film avance, dévoilant fait après fait, image après image, entretien après entretien, surfant toujours sur l’éventualité de ne pas aboutir au fond de cette histoire «hallucinante», jusqu’à la rencontre aux Etats-Unis de Manoug Manougian, professeur de mathématiques à l’Université Haïgazian qui, dès le début des années 60, a fondé avec son groupe d’étudiants «The Lebanese Rocket society», s’attelant à la tâche de construire des fusées dans le but de les envoyer dans l’espace. Petit à petit, l’écheveau se déroule. Manougian a gardé toutes les archives de son rêve: des photos, des films, des coupures de journaux et beaucoup de souvenirs. Un rêve individuel qui n’a pas tardé à devenir un rêve à l’échelle nationale. D’ailleurs dit-il, il avait toujours espéré, qu’un de ces jours, quelqu’un viendrait l’interroger sur ce qui a été, sur ce qui n’a pas été, ce qui a failli avoir lieu.
Ce qui a été, c’est l’enthousiasme et l’idéal d’un groupe de jeunes qui n’a pas hésité à créer du combustible, à défaut de pouvoir s’en procurer, qui s’est lancé dans la construction d’une fusée dans les locaux de l’Armée libanaise. Parce que l’armée s’est investie dans ce projet, avant même de penser à instrumentaliser la fusée, comme éventuelle arme de défense, à l’insu des chercheurs emportés, eux, par un but purement scientifique, au moment où le Liban était le seul et le premier pays dans la région à tenter cette aventure, au moment où la région bouillonnait. Mais le rêve a tourné court en 1967, les recherches s’étant arrêtées à la demande du président de la République suite à des pressions régionales et internationales.
Et voilà que le documentaire prend une tournure beaucoup plus personnelle, plus onirique, plus actuelle, d’une actualité qui puise du passé, d’un présent qui reconstruit une mémoire. Le rêve avorté d’un homme, d’une nation, cède la place au rêve des cinéastes, de l’art. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se lancent dans le projet de construction d’une fusée grandeur nature, une sculpture en hommage à Manoug Manougian et à l’Université Haïgazian, là où le rêve a commencé. Et le rêve se poursuit à travers des séquences d’animation signées Ghassan Halwani; projection dans ce qui aurait pu avoir lieu, dans le futur, si le projet spatial du Liban avait abouti. A vous de le découvrir sur grand écran!
On s’émerveille souvent à la projection du film, on sourit aussi beaucoup. On essaie de se mettre à leur place, au Liban des années 60, «des années très intéressantes dans la région», comme le disent les réalisateurs, «c’est le pic du panarabisme, c’est supposé être considéré comme le temps des possibles, des idéologies au niveau des révolutions mondiales. Il y a aussi la compétition entre les USA et l’URSS et la façon dont celle-ci se répercute sur le reste du monde. La Lebanese Rocket Society est emblématique de cette époque». Il fut un temps, une ère de révolutions. Il fut un temps, l’âge d’or du Liban… Oui mais, dans le film de Hadjithomas-Joreige, il n’y a pas de nostalgie, de pathos, de lamentations sur un passé révolu et lumineux. Il y a la possibilité d’un rêve et le sourire de l’espoir… Alors, il faut penser à construire notre présent!

Nayla Rached
 

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