Plus de vingt-cinq mois après le début des violences, le conflit syrien ne laisse deviner aucun signe d’apaisement. Cette semaine, le leader d’al-Nosra a fait allégeance à al-Qaïda. L’armée syrienne a repris du terrain, un village kurde a été bombardé, Lakhdar Brahimi devrait démissionner et on reparle des armes chimiques. Presque la routine. Le point.
L’actualité syrienne est comme une série américaine. Deux ou trois saisons palpitantes et un immense succès médiatique, puis elle s’essouffle. Le réalisateur tire un peu trop souvent sur les mêmes ficelles et les rebondissements se font rares. Attentats, vrais-faux accords internationaux, armes chimiques, islamisme, avancée ou recul des rebelles, réfugiés, livraison d’armes. D’une semaine à l’autre, les mêmes termes. Et surtout les mêmes enjeux. Les tribulations syriennes deviennent presque trop banales pour faire la une des grands journaux occidentaux.
Dans un message audio diffusé sur les forums jihadistes à partir du mercredi 10 avril, le chef de Jabhat al-Nosra, Abou Mohammad el-Joulani, annonce: «Nous, le Front al-Nosra, prêtons allégeance à cheikh Ayman el-Zawahiri». Depuis la décision du gouvernement américain de le classer sur sa liste noire du terrorisme, al-Nosra se sait condamné. Ne pouvant vraisemblablement pas jouer le moindre rôle sur la scène politique, son ralliement au groupe qaïdiste entérine un état de fait.
Même si les propos d’Abou Bakr el-Baghdadi, leader de la branche irakienne d’al-Qaïda, qui avait laissé entendre que les mouvances irakiennes et syriennes de «la base» fusionneraient en une même entité sous l’appellation Etat islamique d’Irak et du Levant, ont été démentis, le Front al-Nosra sera désormais assimilé directement à une entité étrangère à la culture syrienne. Bachar el-Assad, qui dénonce depuis les premiers combats un complot terroriste mené par l’étranger, n’en demandait pas tant. La déclaration de Joulani légitime et renforce l’ensemble de sa stratégie de communication.
Concrètement, si le Front al-Nosra garde pour l’heure son identité propre, il partage avec son frère irakien le même objectif, la constitution d’un Etat islamique. Et dans certains quartiers «libérés» d’Alep, il commence déjà à se mettre en place. L’AFP rapporte l’existence de tribunaux islamiques qui régiraient la vie quotidienne: mariages, héritages, contrats commerciaux, tout passerait maintenant par cette instance. Par la mise en place de programmes sociaux, al-Nosra tranche avec l’approche traditionnelle d’al-Qaïda. Grâce à un soutien important des monarchies golfiotes, le Front al-Nosra a réussi à s’implanter au sein de la société. Il livre dans ce domaine une sérieuse concurrence aux Frères musulmans. Auréolés de leur statut de «plus braves et plus efficaces des combattants en Syrie» selon les mots même du leader de l’Armée syrienne libre (ASL) Salim Idriss, les frontistes d’al-Nosra attirent un flux incessant de nouvelles recrues. Cela, même si la grande majorité des habitants refusent de soutenir les extrémismes.
Le rattachement al-Nosra/al-Qaïda ne va pas aider à résoudre les gigantesques dissensions qui minent l’opposition. Le Front islamique de libération de la Syrie qui regroupe une vingtaine de bataillons islamistes sous l’autorité de l’ASL a rejeté l’adhésion d’al-Nosra à al-Qaïda. «Prêter allégeance à des gens qui ne savent rien de notre situation ne peut pas servir notre peuple et notre nation», affirme-t-il. A cette déclaration succède un appel à l’unité et à la modération. Les Comités locaux de coordination (CLC), première organisation à avoir mené la révolte sur le terrain, condamnent très fermement cette allégeance, rappelant que seul le peuple syrien décidera de l’avenir de la Syrie. Dans leur communiqué, ils rêvent d’«un régime basé sur les libertés publiques, les droits de l’homme et l’égalité politique entre les citoyens».
Les Frères musulmans contestent de leur côté leur prétendue mainmise sur la Coalition nationale syrienne et affirment ne représenter que 10% du CNS. Dénonçant la campagne de dénigrement de Bachar el-Assad, ils déclarent que ce ne sont pas des extrémistes qui contrôlent les territoires «libérés» mais bel et bien «un front uni d’opposition». Ils pourraient revendiquer l’obtention de la bombe nucléaire, on y croirait davantage.
Derrière ces clivages, on retrouve la guéguerre entre Frères musulmans et wahhabites et entre le Qatar et l’Arabie saoudite.
L’armée reprend du terrain
Ces divisions semblent affaiblir substantiellement l’opposition, puisque sur le terrain, l’armée avance. Elle est parvenue à briser un blocus rebelle autour des bases de Wali ad Deïf et de Hamidiya (Idleb), assiégées depuis six mois par les rebelles et va désormais tenter de reprendre la route d’Alep, ce qui faciliterait le transport des renforts vers les fronts du Nord. Cette avancée n’est certainement pas décisive mais pourrait rouvrir des fronts là où les rebelles avaient pris le dessus.
Toujours au Nord, certaines factions kurdes, dont les dirigeants avaient signé des compromis entre rebelles et gouvernement, semblent avoir rejoint les opposants à Alep. En représailles, le village kurde de Haddad a été bombardé violemment par l’aviation faisant au moins 16 morts. La province de Hassaké au nord-est de la Syrie, faisait jusqu’alors partie des régions plutôt préservées.
A Alep, le correspondant de la télévision officielle et deux cameramen ont été blessés, ainsi que quinze autres personnes dans un attentat suicide à la voiture piégée.
Plus au sud, les bombardements continuent à Damas, où l’armée contrôle toujours la ville et ses proches banlieues.
A Deraa, berceau de la contestation en mars 2011, rebelles et armée s’accusent mutuellement de la destruction du minaret en pierres noires de la mosquée Omari. Sa construction remonte aux origines de l’islam. Pour le régime, des récentes fatwas auraient autorisé les rebelles à détruire les édifices religieux si cela s’avérait nécessaire. Pour l’opposition, le régime barbare a envoyé ses chars.
Selon certaines informations du quotidien al-Alam, deux officiers saoudiens en lien avec le prince Bandar Ben Sultan auraient été capturés à al-Raqqah. Ils auraient collaboré avec al-Nosra. Selon leurs témoignages, les provinces se videraient actuellement des jihadistes en raison de la préparation d’une attaque d’envergure sur Damas dans les prochains jours. Une soudaine réduction d’effectifs dans les positions rebelles en province est en effet constatée.
Du côté des chancelleries occidentales, les armes chimiques continuent à faire parler d’elles. Une enquête du journal londonien The Times montre que l’armée britannique aurait obtenu les preuves médico-légales de l’utilisation de telles armes. Sans être capables cependant de déterminer qui, du régime ou des opposants, en aurait fait usage. Le ministère de la Défense refuse tout commentaire. Le chef de la diplomatie britannique, William Hague, s’est contenté d’affirmer que le Royaume-Uni était «de plus en plus préoccupé» par l’utilisation d’armes chimiques dans le conflit syrien. «Le Royaume-Uni est de plus en plus préoccupé par le fait qu’il y ait des preuves de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Ces allégations doivent être examinées d’urgence», a-t-il déclaré devant le Parlement. Par ailleurs, une enquête des Nations unies a été ouverte sur le sujet. «Nous nous félicitons de l’annonce par le secrétaire général des Nations unies d’une enquête sur ces allégations et nous demandons encore une fois au régime syrien de coopérer pleinement», a ajouté le ministre anglais des Affaires étrangères, affirmant également que «ceux qui ordonnent l’utilisation d’armes chimiques ou qui participent à leur utilisation doivent être tenus responsables». Les diplomaties européenne et américaine se retrouvent en fait piégées. Elles ont assimilé à maintes reprises l’utilisation d’armes chimiques à la ligne rouge à ne pas dépasser et ont évoqué le cas échéant une intervention militaire. Comme celle-ci n’entre pas du tout dans leur projet, elles ne peuvent reconnaître l’utilisation d’armes chimiques sans se décrédibiliser. D’où les exercices rhétoriques des différents diplomates européens.
Lakhdar Brahimi devrait démissionner dans la semaine, reconnaissant ainsi ne pas pouvoir faire mieux que son prédécesseur Kofi Annan. Son successeur devrait être de plus en plus difficile à trouver.
Cette annonce intervient en marge de la réunion des amis de la Syrie à Istanbul le 20 avril prochain.
Pendant ce temps, la Russie annonce qu’elle continuerait sa politique en refusant de voter à l’Onu des dispositions contraignantes pour le régime syrien.
Dernier point et pas des moindres, la Jordanie, suite peut-être à la visite du président américain Barack Obama, a déclaré ouvrir officiellement ses frontières au transit d’armes à destination de la Syrie. La neutralité n’est plus de mise au royaume des Hachémites.
Antoine Wénisch
Les réseaux islamistes tunisiens
A l’appel d’un prédicateur bien connu, Youssef al-Qaradaoui, qui officie sur la chaîne al-Jazeera et leur promet le paradis, ils seraient 6000 jeunes Tunisiens à avoir rejoint les rangs de l’opposition syrienne. De véritables réseaux d’entraînement, des réelles agences de voyage à aller simple se sont constitués. Certains témoins évoquent même la présence de plusieurs filles parmi ces combattants. Tandis que certaines familles tunisiennes accusent le gouvernement de ne rien faire, d’autres voient dans ces manigances un complot visant à vider la Tunisie de ses militants islamistes.