C’est dans la salle d’exposition de l’Institut français du Liban que l’exposition L’insondable surface a été inaugurée, mercredi 10 avril 2013. En place jusqu’au 18 mai prochain, l’exposition a pour but de faire figer le temps à un moment précis de l’Histoire, à savoir la guerre du Liban, dans une enceinte où se déchaînent des pinceaux et des doigts enragés.
Ayman Baalbaki, Oussama Baalbaki, Saïd Baalbaki, Tagreed Darghouth, Fouad el- Khoury, Omar Fakhoury, Bernard Khoury, Randa Mirza, Nadia Safieddine, Marwan Sahramani et Roy Samaha, des artistes affectés par une catastrophe commune: les terreurs de la guerre. Alors qu’Oussama Baalbaki perçoit dans les désastres qu’a causés la guerre une réification de l’Homme dans toutes ses dimensions et manifeste son impression au travers de voitures «percées» dont les «blessures» plongent l’observateur de cette toile sans titre dans le gouffre du nihilisme et de l’«espoir anéanti», Tagreed Darghouth, elle, transforme le paysage belliqueux en une surface lunaire, voire martienne, fortement caractérisée par ses «insondables» cratères.
«L’Espoir vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique, sur (son) crâne incliné plante son drapeau noir». Emergeant d’une vague de cadavres, le Grand Candidate de Marwan Sahramani se démarque du reste de la toile, regard enflammé, un trou noir sanguinaire en guise de bouche, pointant du doigt un certain loin – teint d’obscurantisme. Il semble pourtant vouloir échapper, se libérer du règne des morts, de ces mains qui l’accaparent, le saisissent, le traînent dans un fond qui fond dans la géhenne. Mais, «de l’horizon embrassant tout le cercle, (cette toile identique de par sa forme au Radeau de la Méduse) nous verse un jour noir plus triste que les nuits».
«Ça suffit», crie Ayman Baalbaki dans une frénésie de couleurs qui célèbrent l’érection d’un bâtiment qui renaît de ses cendres, mais qui, dans une autre dimension, pleureraient l’effondrement, la destruction d’une création immobilière, d’une création artistique. Il est clair que les lignes de cette toile de la série Tammouz guerroient les unes contre les autres dans une danse macabre que l’anse du bâtiment enlise, absorbe, engloutit. C’est alors qu’interviennent ces pigments d’encre sur papier photo de Randa Mirza revisitant les «points de repère mythiques ignorés» de la ville de Beyrouth. Des images qui défilent l’une à la suite de l’autre, des souvenirs fantomatiques qui hantent notre mémoire, des flash-back atemporels qui viennent foudroyer nos esprits, des éruptions d’un passé qui re-construit le futur. Vacillant entre deux périodes distinctes, Fouad el-Khoury nous fixe face à une amère réalité, face à deux âpres photographies évoquant un retour à l’époque où le chaos était maître du monde. C’est avec sa main détachée, tronquée, que la statue brisée du sculpteur italien Marino Mazzacurati exposée par Mohammad Saïd-Baalbaki incarne la Guerre civile libanaise dans tout ce qu’il y a de plus horrifiant, certifiant qu’«une main seule ne peut applaudir». Mais là où il y a guerre, il y a monstruosité. C’est dans cette répulsion que nous dépeint Nadia Safieddine un crâne de bête titanesque au corps de femme aux proportions colossales, mugissant de désir, mais un désir de violenter la brutalité, la brusquerie, la sauvagerie et l’esprit de matérialité que nous construit pierre sur pierre Omar Fakhoury en «momifiant» le taux de change de 1998 (1$ = 1507,5 L.L.). Dans le même ordre d’idées, les Cicatrices évolutives de Bernard Khoury métamorphosent les ruines des limbes en fines étreintes de machines démolisseuses réduites à des insectes de guerre. Ainsi, face aux cataclysmes de la guerre, c’est seule «l’imagination qui étend pour nous la mesure des possibles et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire».
Natasha Metni