Dans le cadre du 3e colloque organisé du 10 au 13 avril 2013 par le Centre de recherches et d’études stratégiques de l’Armée libanaise, des intervenants venus du monde entier se sont prononcés sur les dynamiques du changement et les défis de la sécurité, de l’économie et de l’administration politique dans le monde arabe.
«Les révolutions ne sont jamais amenées seulement par la mauvaise administration et les erreurs d’un régime. Celles-ci ne font que déclencher celle-là, dont la véritable essence réside dans le déchaînement de la terreur panique d’une époque touchant à son terme».
C’est ainsi que l’ambassadeur de Russie au Liban, Alexandre Zasypkin, l’ambassadeur de Grande-Bretagne, Tom Fletcher, l’ambassadeur Nassif Hitti, représentant du Dr Nabil el-Arabi, secrétaire général de la Ligue arabe, ainsi que maints autres politiciens et académiciens, ont débattu de plusieurs thèmes concernant le Printemps arabe et ses enjeux.
Selon Zasypkin, le monde est en train de vivre une étape transitoire à tous les niveaux, se demandant si le multipartisme constitue une solution aux conflits ou en est la source. Il assure que la politique de la diplomatie russe se rapporte à un engagement à la légitimité nationale. Dans son discours sur le Printemps arabe, il affirme que pour faire réellement réussir une démocratie, il s’agit avant tout non pas de garantir des élections libres, mais d’assurer plutôt les libertés individuelles.
Pour sa part, Tom Fletcher, souligne l’importance en politique de «savoir ce qu’on ne sait pas», afin de planifier et de mettre en place un meilleur avenir. Commentant le Printemps arabe, il a estimé qu’«il est encore très tôt pour juger de la situation». Selon l’ambassadeur de Grande-Bretagne, nous ne sommes qu’au tout début. Une chose est sûre: les citoyens sont en train de découvrir de nouvelles idéologies grâce à la technologie, qui est considérée comme étant l’arme la plus puissante. Il évoque aussi le cas du Liban. «Pour la première fois depuis longtemps, le choix du Premier ministre n’a pas été mijoté dans d’autres capitales, ce qui est censé donner de l’espoir au peuple libanais».
La relation Téhéran-Washington
«Une normalisation des relations entre le gouvernement américain et l’Iran résoudrait de nombreux problèmes dans la région du Moyen-Orient». C’est en ces termes que le Dr Pierre Razoux, directeur de la recherche et des études de sécurité régionale à l’Institut français pour la recherche stratégique, a fait part de son avis, répondant aux questions de Magazine.
Selon lui, le maintien au pouvoir du régime syrien «est dû au fait qu’il y a actuellement un équilibre des forces et qu’aucune des deux parties n’est suffisamment forte pour l’emporter».
L’équilibre en place dans la région serait-il affecté si une zone d’exclusion aérienne venait à être imposée en Syrie? «L’imposition d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie requiert une décision du Conseil de sécurité des Nations unies, répond le chercheur. Tant qu’il n’y a pas consensus au sein de ce Conseil, il n’est pas possible d’instaurer une telle zone. Même si le Conseil s’entendait sur ce point, il n’est pas sûr qu’une zone d’exclusion aérienne rompe l’équilibre actuel. Si le principe de celle-ci était validé par les cinq membres du Conseil de sécurité, il créerait un certain nombre d’effets sur le terrain et, bien évidemment, favoriserait plutôt la rébellion au détriment du régime. Mais cela pourrait ne pas suffire pour provoquer la chute du régime. De toute façon, il n’y a aucun consensus sur ce sujet au sein du Conseil de sécurité et on est donc très loin d’une telle hypothèse».
Et Pierre Razouxde poursuivre: «Une partie de la population syrienne, voyant ce qui s’est passé en Tunisie, au Yémen, en Egypte et en Libye, mais aussi les mouvements de protestation très forts dans d’autres pays arabes, notamment au Maroc, a souhaité obtenir davantage de liberté, de dignité et de justice. Le régime syrien a choisi la voie de la répression plutôt que celle du dialogue et de ce fait, la situation s’est envenimée et a dégénéré en un cercle vicieux au sein duquel le régime syrien s’est lancé dans une répression féroce contre une partie de sa propre population, rendant par conséquent les négociations très difficiles. De son côté, l’opposition a refusé de négocier en posant comme préalable à la négociation le départ de Bachar el-Assad, ce qui était inacceptable pour le régime. La situation est donc bloquée pour le moment».
Razoux estime que «les Israéliens essaient de faire en sorte que ce ne soit pas les jihadistes qui prennent le pouvoir en Syrie». «Ils souhaitent que ce soit une coalition libérale et progressiste qui l’emporte, dit-il. Leur seconde priorité, c’est de laisser la Syrie s’affaiblir de manière à ce que lorsque le régime de Bachar el-Assad tombera, le nouveau pouvoir ait les moyens militaires les plus réduits possibles, pour limiter au maximum les risques de menace militaire contre Israël. Quant à la Turquie, je ne crois pas que l’on puisse dire qu’Israël cherche à réduire l’influence turque; je pense qu’au contraire, Israël s’efforce de relancer un processus de dialogue avec la Turquie pour gérer ensemble cette crise. Les Israéliens savent qu’ils doivent se concerter avec les Turcs sur la Syrie, et vice versa. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la normalisation récente des relations entre Israël et la Turquie, que la visite récente du président Barack Obama au Moyen-Orient a permis de relancer».
Selon le chercheur français, l’opposition au régime syrien «n’est pas née de problèmes confessionnels mais du fait qu’une partie de la population ne se sentait plus en phase avec le régime. Ce n’est que dans un second temps que cette opposition, qui englobe des représentants de toutes les confessions, s’est lancée dans un processus d’affrontement pour faire face à la répression du régime».
Récupération ultérieure
Razoux pense qu’au départ, les puissances extérieures n’ont pas encouragé ces développements en Syrie. «Il n’est pas vrai de dire que ce sont les acteurs extérieurs à la Syrie qui ont lancé ce processus de révolte, dit-il. Celui-ci a été lancé à l’intérieur même de la Syrie. Mais par la suite, c’est vrai qu’il a été récupéré par certains acteurs régionaux».
Dans ce cadre, il assure que «tant les Européens que les Américains ne cherchent pas à dicter le type de régime que les Syriens doivent adopter. Leur ligne de conduite, qui est la même pour tous les pays arabes qui ont été affectés par ces mouvements de révolte, consiste à promouvoir le choix des gouvernés, c’est-à-dire du peuple lui-même. Pour les Américains et les Européens, ce qui importe, c’est que ce soit les gouvernés qui choisissent leur propre voie de gouvernance et que cette gouvernance ne leur soit imposée ni de l’extérieur, ni de l’intérieur».
Et le Dr Razoux de conclure: «En 2003, le gouvernement américain a demandé à la Syrie de prendre ses distances avec l’Iran, sans l’obliger à rompre telle ou telle alliance et sans exiger la fin de tout rapport avec ce pays. Il n’a pas imposé non plus l’arrêt du soutien de la Syrie aux Palestiniens, mais uniquement à certains mouvements de résistance palestiniens qui sont inscrits sur la liste des organisations terroristes, telles que le djihad islamique et le Hamas. Les Etats-Unis ont toujours soutenu le processus de paix, ont depuis longtemps soutenu l’OLP et le Fateh et sont donc de réels soutiens de l’Autorité palestinienne. Troisièmement, les Etats-Unis n’ont jamais demandé à ce que la Syrie accepte un accord de paix imposé par Israël. Ce qu’ils ont demandé, c’est que les Syriens et les Israéliens entament un processus de négociation devant mener à une paix juste acceptée par les deux parties. Il convient de rappeler qu’entre 2003 et 2006, de telles négociations de paix ont bien eu lieu, notamment sous l’égide de la Suisse et de la Turquie. Bien qu’elles aient été à deux doigts de réussir, elles ont été stoppées par l’intervention militaire israélienne au Liban».
Natasha Metni