Magazine Le Mensuel

Nº 3022 du vendredi 9 octobre 2015

  • Accueil
  • Colloque
  • Jamil Baz, Samir Assaf et Benoît Cœuré se prononcent. La crise financière de 2008 est-elle derrière nous?
Colloque

Jamil Baz, Samir Assaf et Benoît Cœuré se prononcent. La crise financière de 2008 est-elle derrière nous?

C’est autour du thème épineux des enjeux financiers internationaux futurs qu’une table ronde a été organisée par la faculté des sciences économiques de l’Université Saint-Joseph (USJ). Un débat d’exception marqué par la qualité des intervenants, illustrée par leur connaissance profonde des marchés internationaux et un savoir imprégné d’une longue expérience sur le terrain et un public impressionnant par sa présence et son grand intérêt porté aux questions soulevées.

Les problématiques posées lors de la table ronde se résument au fait de savoir si le monde s’oriente vers un monde multipolaire financièrement et si la crise internationale de 2007-2008 est bel et bien dernière nous.
Ont pris part à cette table ronde Samir Assaf, P.D.G. de la banque d’investissement de la HSBC en France, Jamil Baz, directeur de la stratégie d’investissement à la GLG de Londres, Benoît Cœuré, membre du conseil exécutif de la Banque centrale européenne (BCE), et Alain Biffani, directeur général du ministère des Finances. Le modérateur était le professeur Joseph Gemayel, doyen de la faculté des sciences économiques de l’USJ.
Force était de constater au démarrage des interventions que trois des participants sont des anciens de l’Université Saint-Joseph. Un constat qui n’a pas manqué de susciter l’enthousiasme du public, qui a longtemps ovationné le cadre professoral de l’USJ.
Mi-figue, mi-raisin, Samir Assaf a donné le ton en tenant à souligner que les économistes ne sont pas toujours d’accord en termes d’évaluation des conjonctures et que «ceux qui les écoutent devraient faire le contraire de ce qu’ils disent». Pour faire court, net et précis, le P.D.G. de la banque d’investissement de la HSBC en France a donné ses propres réponses aux problématiques du positionnement des débats dans l’avenir, «des conclusions qui n’engagent que moi», a-t-il dit.
 

La Chine ne va pas tomber
«Oui, la Chine est un pays qui va avoir de plus en plus d’influence sur l’économie mondiale. Il ne faut pas qu’elle nous effraie. Non, la Chine ne va pas tomber et entraîner le monde avec elle», a-t-il déclaré, ajoutant: «Ce pays devrait désormais être pris en considération dans les équations de croissance économique mondiale encore que les Etats-Unis demeurent, pour le moment, dominants financièrement, compte tenu de leur revenu par tête d’habitant». Quant à l’Europe, il a considéré qu’elle aurait de plus en plus de poids sur le plan mondial si elle devenait plus unie. «Oui, la crise est derrière nous. Dans un monde qui se normalise, la valeur des actifs financiers devrait s’orienter plutôt vers des marchés à taux fixes que vers les marchés des actions», a encore dit Samir Assaf, qui a insisté par ailleurs que ses propos ne devraient pas être interprétés comme s’il prédisait la fin des marchés d’actions aux Etats-Unis. Il a justifié son approche par le constat d’un marché des actifs financiers surévalué par rapport à leur valeur historique, ainsi que par rapport à leur valeur économique actuelle. Parallèlement, il a souligné la stabilité de la bourse japonaise, qui n’enregistre ni progression ni régression, alors que les bourses européennes ont un vrai potentiel de hausse. Sachant que les titres listés sur ces bourses sont sous-évalués par rapport à leurs valeurs intrinsèques et que la BCE poursuivrait son soutien aux marchés à travers le recours au «quantative easing». Toujours est-il utile d’être sélectif, que ce soit par rapport aux actions européennes ou à celles des marchés émergents. «Mais ce n’est pas encore le moment de franchir ce pas». Il a estimé que «le billet vert a déjà fait son rallye et que face à l’euro, il ne pourrait que se déprécier dans les mois et années à venir par rapport à sa valeur actuelle. De même, inscrit dans le temps, le dollar américain ne pourrait que se déprécier contre la devise japonaise».  
«On n’est qu’au début de la crise internationale financière» a, pour sa part, estimé Jamil Baz, directeur de la stratégie d’investissement auprès de la GLG de Londres. Selon lui, la problématique se pose en des termes différents de celle de Samir Assaf.

 

La crise du désendettement
La crise financière de 2007-2008 doit être examinée en tant que crise de désendettement et tant que ce processus n’a pas eu lieu, la situation ne changerait pas. Jamil Baz s’est lancé dans une plaidoirie rationnelle et raisonnable rappelant, qu’à cette époque, le ratio de la dette par rapport au PIB cumulé des pays du G7 était de 380%, alors que huit ans plus tard, ce ratio est de 420%, malgré tout le tumulte. «L’effort de désendettement a produit un surplus d’endettement», a-t-il enchaîné. L’économiste a ajouté que pour revenir à des taux de dette acceptables, il faudrait 15 à 20 ans, rappelant qu’«un pays ne peut se désendetter de plus de 25% au maximum par an et ceci à de coûts très élevés en termes d’harmonie sociale et de survie de la classe politique». Dans le même ordre d’idées, Baz a considéré que le marché des actions va devoir se déprécier fortement, car les profits sont en principe proportionnels à la dette. «Et si l’on considère que la dette ne peut que tomber, à partir d’ici les profits vont suivre la même trajectoire», a-t-il noté. Il a conclu que malgré la présence de banquiers compétents, il n’y aurait pas «de bonnes solutions», étayant ses propos par une plaisanterie en anglais qui en dit long: «Lorsque j’étais étudiant, mon professeur de comptabilité m’a enseigné: ‘Debit on the left, credit on the right’. Aujourd’hui, la crise a fait des ajustements à ce principe qui est devenu: ‘On the left, there is nothing right and on the right there is nothing left’».

 

Un monde financier bipolaire
Benoît Cœuré, membre du conseil exécutif de la BCE, a donné un bref aperçu académique des déterminants d’une monnaie internationale, extrapolant que l’euro est bien installé sur le marché international et que le monde est jusqu’à nouvel ordre bipolaire sur le plan financier. Ainsi il a énuméré l’inertie du système financier mondial, la taille économique des pays, la confiance dans la monnaie, l’Etat de droit et l’infrastructure des marchés financiers et leur profondeur.
L’euro est la deuxième monnaie dans le système financier  international. Allant droit au but, il a rappelé aux mémoires des personnes présentes que le Mexique avait émis des obligations libellées en euro avec une date d’échéance de cent ans et la France a émis en 2005 des obligations en euro avec une date d’échéance de 50 ans. Il n’a pas manqué de relever que 25% des obligations émises par le Liban au cours de 2015 ont été libellées en euro. «La crise financière de 2007-2008 n’a pas empêché les investisseurs de continuer à détenir des dollars et des euros, soulignant que le billet vert est toujours en tête du peloton des monnaies internationales, suivi à bien de distance par l’euro. Ceci dit, cette inertie du système financier international pourrait ne pas durer indéfiniment. D’après lui, l’histoire nous a appris que des mouvements rapides et violents pouvaient intervenir. Ce qui devrait nous inciter à se tourner vers l’avenir et envisager peut-être l’insertion du yuan chinois dans l’équation mondiale des monnaies.

Liliane Mokbel

Related

Les femmes en première ligne de la Fondation May Chidiac. «Et Dieu créa la femme»

Alimentation et santé orale. Le débat de l’International College of dentists

Le Printemps arabe . Une révolution contre l’évolution

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.