Magazine Le Mensuel

Nº 2894 du vendredi 26 avril 2013

ACTUALITIÉS

Attentats de Boston. Où en est l’enquête?

Après l’attentat de Boston, les services de sécurité américains suspectent deux jeunes frères d’origine tchétchène. Au terme d’une chasse à l’homme sans précédent dans un Boston sans vie, Tamerlan Tsarnaev, 26 ans, et Djokhar Tsarnaev, 19 ans, ont été mis hors d’état de nuire. L’aîné est décédé, son cadet hospitalisé. Qui sont ces deux garçons sans problèmes apparemment?

Ce vendredi 19 avril, Boston n’était plus Boston. C’était un peu une ville fantôme. Un décor de science-fiction. Les écoles et les entreprises étaient fermées. Les routes, les trains et les métros étaient déserts; il était demandé à plus d’un million de Bostoniens de rester soigneusement cloîtrés chez eux et de n’ouvrir qu’à la police. Pas le moindre match de base-ball, ni la plus petite trace d’une séance de cinéma. Dans ce cadre post-apocalyptique, 9000 policiers et militaires étaient déployés dans les rues de Watertown, dans la banlieue de Boston. Ils ont ratissé la zone méthodiquement. Rue après rue, maison après maison, il leur aura fallu vingt-quatre heures pour parvenir à capturer après un violent échange de tirs, vendredi 19 avril, Djokhar Tsarnaev, le plus jeune des deux suspects. Il s’était réfugié dans un bateau entreposé au fond d’un jardin.

Blessé à la gorge
Après la fusillade de la veille qui avait coûté la vie à son frère, il avait en effet réussi à échapper aux forces de l’ordre. Hospitalisé et grièvement blessé à la gorge, Djokhar était lundi toujours dans l’incapacité de parler. Il aurait toutefois commencé à répondre par écrit aux enquêteurs. Selon des sources policières anonymes, le gros des questions porterait sur l’existence d’éventuels complices et de bombes non déclenchées. Pour tirer le plus d’informations possibles, les enquêteurs vont retirer au suspect les droits de Miranda (voir encadré). Toutefois, le statut d’«ennemi combattant» réclamé par quelques sénateurs républicains n’a pas été retenu. Ce statut aurait pu permettre de détenir indéfiniment sans procès le jeune suspect, ou de le faire juger par un tribunal militaire.
En attendant de connaître avec précision la teneur des révélations de Djokhar, si révélations il y a, les enquêteurs se concentrent sur la personne de Tamerlan, qui a donc succombé à ses blessures après avoir été transporté à l’hôpital.

Tamerlan et le Daguestan
Pour l’heure, l’enquête se concentre sur les six mois que Tamerlan a passés l’an dernier au Daguestan et en Tchétchénie. Si le père a annoncé qu’il n’y avait fait que «visiter de la famille», il n’est pas dit que le FBI, déjà suspecté de s’être laissé berner, le croit sur parole. En effet, par le truchement des autorités russes, les services américains avaient eu vent d’informations concernant l’adhésion de Tamerlan Tsarnaev à un islamisme radical. A l’époque, la police fédérale avait effectué quelques vérifications et l’avait même interrogé avant de relâcher sa vigilance faute de détails compromettants. Ce qui semble certain, c’est l’absence de tout lien avec les rebelles du Caucase, qui mènent, selon leur chef, «des actions de guerre contre la Russie mais pas contre les Etats-Unis d’Amérique». Son épouse, avec qui il éduquait sa fillette, dit ne rien avoir remarqué chez lui d’anormal le lendemain de l’attentat et encore aujourd’hui, elle le croit incapable d’accomplir de tels actes.

Le combat par le sport
Nés en Russie, où ils ont encore toute leur famille, les deux frères Tsarnaev ont grandi au Kirghizstan avant de s’exiler aux Etats-Unis en 2001 pour y poursuivre leurs études. Tamerlan les interrompt pour s’entraîner aux National Golden Gloves, une compétition de boxe. Sport dans lequel il aurait aimé devenir professionnel. S’il dit «ne pas avoir un seul ami américain», il préfèrerait combattre aux Jeux olympiques pour les Etats-Unis que pour la Russie sauf si la Tchétchénie obtenait son indépendance. Ces derniers mois, il n’avait pas de travail et restait avec son enfant pendant que sa femme gardait des personnes handicapées. Musulman pratiquant, il ne fume plus et ne boit plus, il reconnaît lui-même être «très religieux». On lui prête une chaîne Youtube sur laquelle plusieurs vidéos classées «favories» évoqueraient l’islamisme.
Tout aussi sportif que son frère, Djokhar pratiquait la lutte à un haut niveau. Il avait obtenu une bourse de son lycée pour poursuivre des études supérieures de médecine. Ses anciens camarades de classe, interviewés sur ABC News, utilisaient les qualificatifs suivants: «grand sportif», «un gars intelligent», «le pitre de la classe», ou «un gosse américain normal».
Selon eux, il aurait toujours pensé que la guerre était stupide, s’opposant aux interventions en Irak et en Afghanistan.
En attendant l’enquête, Djokhar peut compter sur le soutien de sa famille. Dans son entourage en effet, personne ne peut ni ne veut les croire coupables. «Il n’était pas un fanatique religieux, il était très gentil et bon, et avait beaucoup de respect pour les personnes âgées», juge sa tante. Son père, qui affirme que son fils était surveillé systématiquement, clame son innocence. «Il était très surveillé, des hommes du FBI venaient chez lui, en expliquant que c’était pour prévenir des attentats, mais il était bon musulman, il ne pouvait faire cela». A propos de son deuxième fils Djokhar, il déclare que ses intentions étaient de revenir en Russie, une fois chirurgien, pour les aider.

La théorie du complot
Les suspects sont tchétchènes et connus du FBI. Dans le même temps, la recrudescence soudaine du nombre de combattants du Caucase en Syrie complique la tâche des Russes. Le coup de téléphone à Vladimir Poutine pour redire avec force l’importance de la coopération contre le terrorisme, le battage médiatique autour du passé tchétchène des frères Tsarnaev, si on avait voulu mettre le terrorisme tchétchène sous les feux de la rampe, on ne s’y serait pas pris autrement. Il n’en faut pas plus pour alimenter quelques théories du complot. Alors Boston, un plan américain pour inhiber les Russes en Syrie? Pour Thierry Meyssan, du réseau Voltaire, c’est possible. Tout va dépendre de la façon dont va être présentée l’affaire dans les jours qui viennent.

Hommages
Pendant ce temps-là, les cérémonies de recueillement autour des trois défunts du double attentat se poursuivent. Un peu partout dans le monde, des hommages sont rendus au jeune Martin Richard, décédé après avoir sauté dans les bras de son père qui passait la ligne d’arrivée, à Krystle Campbell, venue supporter une amie, et à Lu Lingzi, une étudiante chinoise. Jeudi, Barack Obama et son épouse se sont rendus à une cérémonie œcuménique dans la cathédrale de la Sainte-Croix de Boston. Le président a fait le point sur l’enquête dans un discours offensif. Son ex-rival de la campagne présidentielle, Mitt Romney, était présent aussi.
En Syrie, une vingtaine de personnes ont déployé une banderole sur laquelle était inscrit un message à destination des Etats-Unis. «Les bombes de Boston représentent une triste illustration de ce qui se passe quotidiennement en Syrie. Acceptez nos condoléances». La réponse ne s’est pas fait attendre; la photo d’une mise en scène similaire a été prise à Boston et diffusée via les réseaux sociaux avec le message suivant: «Amis de Syrie, nous aussi, nous espérons la paix et la sécurité pour vos familles».
Comme le hasard fait parfois bizarrement les choses, mercredi 17 avril, les sénateurs ont rejeté un amendement qui aurait imposé des vérifications d’antécédents judiciaires et psychiatriques avant les achats d’armes sur Internet et dans les foires spécialisées, prétextant une atteinte à la liberté individuelle. En fin de compte, boucler Boston serait une réaction saine et mesurée à la menace effroyable du terrorisme; une vérification des antécédents psychiatriques et judiciaires d’un candidat à l’achat d’une arme à feu, un recul dramatique des libertés individuelles. Cela serait presqu’amusant si les statistiques n’étaient pas ce qu’elles sont. En un an, 30000 Américains meurent par balles et 17 seulement du terrorisme.

Antoine Wénisch

Les droits Miranda
Fondé sur les 5e et 6e amendements du Bill of Rights, qui stipulent que l’accusé a droit à un avocat et que nul ne peut être forcé à témoigner contre lui-même, les droits Miranda précisent: «La personne en garde à vue doit, préalablement à son interrogatoire, être clairement informée qu’elle a le droit de garder le silence et que tout ce qu’elle dira sera utilisé contre elle devant les tribunaux; elle doit être clairement informée qu’elle a le droit de consulter un avocat et qu’elle peut l’avoir avec elle durant l’interrogatoire, et que, si elle n’en a pas les moyens, un avocat lui sera désigné d’office». Depuis un arrêté de la Cour suprême de 1966, ces droits font partie de la procédure pénale. Depuis 1984, il est possible de suspendre ces droits pendant 48 heures en cas de menace imminente pour la sécurité publique; depuis 2009, cette possibilité est étendue à tous les cas de terrorisme.

Humour …
Le journal satirique français en ligne Le Gorafi publiait la semaine passée un article intitulé: Boston: le FBI confirme la piste du bon gros fils de pute. Dans ce papier au ton parfaitement sérieux, ce qui le rend encore plus désopilant, le journaliste rapporte entre autres, les propos du porte-parole du FBI qui juge la piste «extrêmement plausible». «Nous allons passer au crible tous les fils de pute que nous avons dans nos fichiers, je parle de plusieurs millions de suspects potentiels», affirmait-il. L’article fait également intervenir une analyste de la CIA qui annonçait une enquête particulièrement complexe, soulignant que «le profil du bon gros fils de pute a changé, avant il était nécessairement rattaché à un réseau de bons gros fils de pute, désormais il peut faire le bon gros fils de pute, comme ça, tout seul».
Dernière minute: CNN annonce qu’il s’agirait plutôt d’un «sale connard de merde».

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