Magazine Le Mensuel

Nº 2896 du vendredi 10 mai 2013

Spectacle

3aj2et Seyr. Ou comment conduire à Beyrouth

Le théâtre Monnot accueille, depuis le 2 mai et jusqu’au 19 du mois, la pièce 3aj2et seyr, écrite par Josyane Boulos et mise en scène par Clément Vieu. Slalom entre le volant et la vie…

«On mène deux vies distinctes à Beyrouth: il y a la vie tout court et il y a la vie au volant, avilissante», disait Elie Karam, dans le numéro spécial de La Pensée de midi: Beyrouth XXIe siècle, datant de mars 2007 et consacré au Liban. C’est connu, et hélas! archi-connu, notre réputation nous a devancés: les Libanais au volant, c’est toute une histoire. Différente certes, mais aussi humiliante, exaspérante, voire comique, ridicule et presque surréaliste. Un tout à la fois qui aiguise la colère et génère un sourire vert en même temps. Qui donne corps à tellement de situations rocambolesques. A l’instar de la fameuse «ponctualité libanaise», la conduite au volant n’est pas qu’une question de réputation. C’est une réalité.
Une réalité qui a frappé Josyane Boulos, quand, au sortir de la guerre, en un jour de l’année 1996, coincée dans un embouteillage, au lieu de s’énerver, elle se met à observer les conducteurs autour d’elle. Elle se rend compte que le comportement au volant est très révélateur. Et son premier «carton rouge» voit le jour. Il sera publié dans Femme Magazine, suivi jusqu’en 2004 par d’autres cartons, véritables portraits ou caricatures de notre société. Des années plus tard, toujours coincée dans un embouteillage et toujours au lieu de s’énerver, Josyane a l’idée d’adapter et de mettre en scène ses Cartons. 3aj2et seyr, mise en scène par Clément Vieu, est présentée au théâtre Monnot jusqu’au 19 mai.
En libanais, sur-titrée en français, 3aj2et seyr, comme son nom l’indique, emmène le spectateur au cœur du capharnaüm chaotique que sont les rues de Beyrouth, toujours bouchonnées, trop bouchonnées, et ses conducteurs et conductrices qui se prêtent à mille et un portraits, tous aussi fantasques qu’épicés, par la touche particulière de Josyane Boulos. Le résultat est une caricature juste, simple et directe des Libanais et des Libanaises, non seulement au volant, mais également dans la vie jusque dans les rapports homme/femme.
Yasmine, interprétée par Josyane Boulos elle-même, cherche à se rendre chez son petit ami Chadi, défiant les embouteillages de Beyrouth. Elle est presque contrainte de prendre avec elle Lisa, alias Karen Nohra, la fille de la secrétaire de Chadi. Deux femmes, deux générations différentes, coincées dans un même véhicule. Et la conversation s’enclenche, alors que la voiture rouge tente de se frayer un chemin entre les bouchons, les trous dans la chaussée, les policiers, les vendeurs ambulants, tous les «jagals» et autres prototypes de la gent masculine libanaise, qui sont tour à tour, merveilleusement campés par Tino Karam.

Entre un klaxon et un autre, un énervement et une crise de colère, voilà celui qui vient en sens interdit et refuse de faire marche arrière parce qu’il fait face à une femme plus faible que lui, celle qui s’obstine à se garer en double file alors qu’à quelques pas il y a une place vide, celui qui klaxonne sans arrêt, les taxis-services qui accostent tous les piétons, bloquent la circulation sans aucune gêne et «sans qui Beyrouth ne serait pas la même». Une pièce satirique, une pièce critique, certes, mais enrobée de tendresse. Parce qu’on a beau pointer l’autre du doigt, tout un chacun se retrouvera, peut-être, à un moment ou un autre, dans l’un des portraits esquissés à vif. Voilà Yasmine qui s’en prend à telle conductrice mais ne peut s’empêcher de soudoyer le policier pour s’en tirer de toute contravention, alors qu’elle vient de brûler un feu rouge.
La pièce aurait tout aussi bien pu porter le titre «Les tribulations d’une femme au volant dans les rues de Beyrouth», ou «Ne m’aime pas comme tu conduis». Cette attitude au volant en dit long sur la personnalité du conducteur, homme ou femme bien entendu. Et Yasmine s’amuse à les classer en catégories, les imaginant au sein d’un couple; il y a le «jagal», l’éjaculateur précoce, l’escargot, l’impatient, la peureuse, la possessive, la vulgaire… L’occasion pour les deux femmes de discuter de mariage, d’amour, de divorce… Eternelle romantique, perpétuelle rêveuse, Josyane Boulos ne peut toutefois s’empêcher de clore son spectacle par une note plus gaie, porteuse d’espoir.

 

Nayla Rached
 

3aj2et seyr se poursuit au théâtre Monnot, jusqu’au 19 mai, du jeudi au dimanche, à 20h30.
Billets en vente à la Librairie Antoine: 35000 L.L. – 20000 L.L. – 15000 L.L. (étudiants).

 

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