Pendant une décennie, l’entreprise de James McCormick a vendu aux services de sécurité du monde entier des détecteurs révolutionnaires qui ont notamment équipé la Finul, au Liban-Sud. Trop beau pour être vrai. Le 2 mai dernier, après trois ans d’investigation, l’homme d’affaires britannique a été condamné à dix années de prison pour fraude. Récit d’une gigantesque escroquerie.
C’est avant tout l’histoire d’un homme d’affaires peu scrupuleux qui a flairé un marché prometteur. Jusqu’à la fin des années 90, James McCormick, un moustachu à l’allure débonnaire qui va sur ses 50 ans, a mené une vie plutôt modeste. Après avoir quitté l’école avec un brevet des collèges en poche, il s’engage dans la police du Merseyside, dans la région de Liverpool, en Angleterre. Fort de ses deux ans d’expérience, il quitte les forces de l’ordre et devient commercial pour plusieurs entreprises britanniques et américaines, spécialisées dans la haute technologie. Au fil de ses rencontres, il entend parler, pour la première fois, d’un mystérieux appareil qui a la capacité de détecter la présence d’explosifs et de drogues. Il cherche à en savoir plus. Il remonte la chaîne, interroge les revendeurs qui le mènent au fournisseur. Il lui propose de l’engager, le fournisseur accepte. Ses voyages lui ouvrent les portes de l’Arabie saoudite, du Mexique et de la Chine. McCormick flaire le bon coup, les attentats du 11 septembre 2001 lui ouvrent le marché de la sécurité sur un plateau d’argent. Il décide alors de fabriquer son propre détecteur.
Une fraude enfantine
En 1997, McCormick monte avec plusieurs associés la société Advanced Tactical Security & Communications (ATSC) dans une ancienne ferme laitière de Sparkford, dans le comté agricole du Somerset. Dans ces années, il a vent d’un appareil, le Gopher, vendu comme un «trouveur de balles de golf». Le concept, un objet en plastique, qui ressemble à un vulgaire allume-gaz sur lequel est montée une petite antenne qui repère, comme les détecteurs de métaux, les matériaux de fabrication des balles de golf. A la manière des sourciers qui, munis de leurs baguettes, recherchent les nappes phréatiques. Cette science des radiations a un nom, la radiesthésie. Dans l’un des clips promotionnels de l’appareil, on peut entendre cette phrase: «Ne riez pas, cet appareil fonctionne si on l’utilise de la bonne manière».
McCormick adore l’idée
En 2001, il décide alors d’importer 300 Gopher à 20 dollars la pièce. Les appareils sont remodelés. Le petit boîtier rectangulaire est remplacé par une crosse en forme de poignée de scie, l’antenne est tout simplement allongée et les étiquettes portant le logo d’origine sont remplacées par celui de l’entreprise. Pour crédibiliser l’appareil, McCormick leur adjoint les logos de l’Association internationale des techniciens en explosifs et de la Chambre de commerce de l’Essex. Il emballe ses détecteurs dans des cartons similaires à ceux utilisés pour transporter des produits militaires, estampillés d’autocollants officiels avertissant les utilisateurs de ne pas ouvrir les détecteurs. Un jeu d’enfant. Le premier ADE (Advanced Detection Equipment) est né.
McCormick lui attribue un fonctionnement tout aussi enfantin. Il suffit de mettre un petit morceau du type d’explosif ou du matériau à détecter dans une jarre en verre; placer un petit autocollant dedans, pour qu’il en absorbe les vapeurs; coller l’autocollant sur une carte en plastique à glisser dans l’appareil; et voilà, c’était prêt! Ne restait plus qu’aux agents de sécurité à passer au détecteur véhicules et lieux suspects.
Une vingtaine d’Etats bernés
Fabriqués pour 250 dollars, l’appareil et tout son attirail sont revendus 5000 dollars l’unité. La marge est énorme, la supercherie puérile. Le marketing est difficile au début. En Roumanie, pour justifier l’inefficacité de son appareil dans un camion rempli de drogues, McCormick explique que la présence de substances dans le sang de chauffeurs routiers a faussé les résultats. A la police montée du Canada qui exprime les mêmes réserves, l’homme d’affaires a juste rétorqué que son appareil fonctionnait. McCormick explique à ses interlocuteurs que son entreprise compte quatre laboratoires au Royaume-Uni et deux en Roumanie ultra-protégés qui travaillent dans le plus grand secret. Le mensonge est tellement gros qu’il passe.
D’autant que les appareils coûtent entre 5000 et 40000 dollars pour les modèles les plus sophistiqués. D’après le matériel promotionnel qui accompagnait l’ADE 651 – dernier modèle en date – le système était si efficace que l’appareil pouvait détecter des corps humains, des billets de banque et de l’ivoire, et que la détection pouvait se faire à des distances allant jusqu’à 1000 mètres, cela même si la substance était protégée par du béton ou des parois de plomb. A partir d’un avion, la portée montait à 5000 mètres et n’était que de 30 mètres sous l’eau. Un appareil de rêve qui attise l’appétit de plusieurs pays. L’Afghanistan, l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, le Bangladesh, la Chine, les Emirats arabes unis, la Géorgie, l’Inde, l’Iran, le Kenya, le Liban, le Mexique, le Niger, le Qatar, la Roumanie, la Syrie, la Thaïlande, la Tunisie et le Viêtnam ont notamment acheté ces appareils. Certaines machines auraient même fini aux Etats-Unis, au Canada, au Japon et en Belgique. Ce sont donc dans les pays les plus instables du monde que McCormick a pu vendre son matériel. Mais la principale victime de cette supercherie est sans doute l’Irak. Bagdad l’apogée, Bagdad la chute.
L’eldorado puis la fin
L’ADE 651 a rapporté une fortune à James McCormick. Avec des détecteurs qu’il vendait jusqu’à 6000 dollars l’unité, on estime qu’il a amassé des sommes de l’ordre de 85 millions de dollars. En Irak, son plus gros client, uniquement entre 2008 et 2010, James McCormick a vendu 6000 détecteurs, pour un total de 40 millions de dollars. En tout, l’Irak aura payé à ATSC 85 millions de dollars. Les forces de sécurité, postées aux points de contrôle, ont été équipées de ces détecteurs pour empêcher les attentats suicide et les attaques à la voiture piégée. C’est alors la belle vie qui commence. Il achète pour sa fille des chevaux de dressage. Il roule en Porsche Cayenne. A Bath, il acquiert la maison de l’acteur Nicolas Cage, pour plus de cinq millions d’euros. Dans la campagne verte de l’ouest de l’Angleterre, il se paye une ferme près du charmant village de Taunton, pour près de deux millions d’euros, où il réside. Sans compter une villa à Chypre, une autre en Floride et un yacht, le Sunseeker. Mais le vent va tourner.
En 2009, après une sérieuse résurgence des attentats en Irak et à Bagdad plus précisément, les armées américaine et britannique s’interrogent sur l’efficacité des ADE. Des experts scannent l’appareil aux rayons X et découvrent l’impensable supercherie. Cette même année, un informateur anonyme, qui a travaillé pour James McCormick, raconte à la BBC que lorsqu’il avait mis en doute la fiabilité des ADE, son patron lui avait rétorqué que les engins «font exactement ce qu’ils sont censés faire, c’est-à-dire rapporter de l’argent». L’étau se resserre. Toujours en 2009, l’inspecteur général du ministère de l’Intérieur irakien, Akil el-Turehi, a ouvert une enquête. Dix à quinze hauts responsables du pays auraient touché des pots-de-vin pour acquérir des milliers d’exemplaires de l’appareil miraculeux de James McCormick. Trois sont aujourd’hui sous les verrous, dont l’ex-responsable des démineurs de Bagdad, le général Jihad el-Jabari.
Les autorités britanniques sont saisies de l’affaire. Désormais, la police britannique cherche à confisquer sa fortune. Elle a déjà gelé près de 25 millions de dollars, mais estime qu’une somme équivalente aurait été blanchie via Chypre, le Belize et Beyrouth.
Julien Abi Ramia
Le versant libanais de l’affaire
Ces gardiens de parking ou agents de sécurité postés à l’entrée de lieux sensibles qui sondaient les voitures ont donc utilisé un jouet totalement inefficace. Dans notre pays, plusieurs sociétés de sécurité privée se sont fait berner par ATSC. Hôtels, magasins et autres lieux ont longtemps utilisé l’ADE. L’une d’entre elles était même l’un des revendeurs de l’appareil. Sur son site Internet, la société basée à Baabda explique même que l’ADE fonctionne sur le principe de la résonance magnétique nucléaire. Même l’Armée libanaise a été prise au piège. Finalement, ce sont les experts de la Finul qui, après avoir testé l’appareil, ont donné l’alerte aux autorités du pays, puis au niveau international.