Magazine Le Mensuel

Nº 2903 du vendredi 28 juin 2013

general

Angelina Eichhorst. Diplomate de l’espoir

«Je  n’ai pas choisi la diplomatie, c’est la diplomatie qui m’a choisie». Ces paroles sont prononcées par Angelina Eichhorst, qui est à la tête de la Délégation de l’Union européenne au Liban depuis janvier 2011. Néerlandaise de naissance, elle est spécialisée en langues et cultures du Moyen-Orient. 
Positive et pleine d’énergie, elle se sent chez elle dans cette région du monde qu’elle connaît depuis 1989. Portrait d’Angelina Eichhorst.

Depuis plus de deux ans qu’elle est au Liban, Angelina Eichhorst n’a jamais senti qu’elle n’est pas chez elle. «Je sens toujours à quel point les gens aiment l’Europe. Cela se reflète dans leur regard et dans leur manière de s’exprimer. C’est un sentiment magnifique. Ils viennent vers nous au lieu que nous allions vers eux et ceci rend mon rôle plus facile», confie l’ambassadeur de l’Union européenne. Un rôle qu’Angelina Eichhorst prend trop à cœur. «Nous ne sommes pas là juste pour être présents sur la scène, mais pour aider les gens qui veulent un changement positif et établir des liens encore plus étroits entre le Liban et l’Europe». Positive de nature, Angelina Eichhorst voit toujours le verre à moitié plein. «Il y a toujours de l’espoir. Les choses peuvent changer et aller mieux. Après la pluie, il y a le soleil». Pleine de sagesse, l’ambassadeur de l’UE considère que la vie n’est pas un jeu mais une réalité, qui est parfois très dure. De son père, elle a appris qu’il fallait garder toujours la colonne vertébrale droite. «Ne jamais se courber ou céder devant les difficultés». Passionnée par sa tâche, Eichhorst est un être ouvert, qui va vers l’autre. «J’aime mon travail car je rencontre beaucoup de gens différents. Je dois toujours aller vers l’autre, voir ce qu’il veut, comprendre comment il réfléchit. C’est à travers l’autre que nous savons qui nous sommes vraiment».
Elle est née dans une famille qui a souffert de la Guerre mondiale. «Il y a toujours cette résilience, cette faculté de se remettre sur pied et de se préparer pour la prochaine attaque». Angelina Eichhorst compare la vie à un jeu d’échecs. «Il donne une vision stratégique et vous permet de prévoir quel est le prochain coup de l’adversaire contrairement au tennis où l’on est en position d’attente». Dans son comportement avec les autres, elle traite ses semblables comme elle voudrait être traitée elle-même. «Même aux échecs, j’agis de cette manière. Le jeu doit être juste et équitable». Cette philosophie promue par Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, est une source d’inspiration pour l’ambassadeur de l’Union européenne. «La façon dont je traite l’autre reflète ce que je suis moi-même. Je suis qui je suis à travers vous», dit-elle. Elle estime que chacun fait partie de l’univers et que personne n’est seul.
Dès l’âge de 14 ans, à force d’entendre parler de l’existence de deux blocs, celui de l’Union soviétique et celui des Etats-Unis, Angelina était convaincue qu’il fallait créer une troisième force située entre les deux. «Aujourd’hui c’est pareil. L’extrémisme existe de part et d’autre, c’est la raison pour laquelle il faut avancer dans la modération». Encouragée par sa famille, alors qu’elle travaille dans les institutions européennes, elle présente une demande pour devenir diplomate. «C’est la diplomatie qui m’a choisie», dit-elle en souriant. Loin de la diplomatie traditionnelle, Angelina Eichhorst estime que son rôle est de pousser les antagonistes à trouver un consensus. «Mettre des gens qui ne se voient pas et ne se parlent pas autour d’une même table et les encourager à trouver une solution, c’est cela la diplomatie».

 

Curiosité pour le Moyen-Orient
«Je ne comprends pas moi-même la curiosité que j’éprouve pour le Moyen-Orient», confie la diplomate. D’ailleurs, entre elle et le Moyen-Orient, c’est une longue histoire. En 1989, elle a travaillé avec des ONG au Caire. Elle fut nommée en Jordanie chef de la Section de développement et de coopération régionale à la Délégation de l’UE de 2004 à 2008, puis chef de la Section des affaires politiques et économiques, presse, information et culture en Syrie de 2008 à 2010. «Le Moyen-Orient est le berceau des civilisations, le lieu de naissance des trois religions monothéistes. Nous venons tous de cette part du monde et on se retrouve d’une manière ou d’une autre dans cette région». C’est son intuition ou tout simplement la chance qui l’a conduite dans cette partie du globe. «La première fois que j’ai atterri en Egypte, je me suis tout de suite sentie chez moi. J’ai eu le même sentiment en Jordanie, en Syrie et au Liban». D’ailleurs, c’est en Egypte qu’Angelina Eichhorst a rencontré son mari Wafaï Mansour, de nationalité égyptienne. «L’homme le plus gentil du monde», confie la diplomate avec un large sourire. Ensemble depuis 23 ans, ils sont les parents d’une fille, Elena, âgée de 13 ans. Avec le fils de 28 ans que son mari a d’un précédent mariage, elle est la mère de deux enfants. «Nous voyageons beaucoup tous les deux et lorsque l’on se retrouve c’est toujours avec la même intensité. Beaucoup de gens ne croient plus au mariage mais moi j’y crois. Mes parents ont eu aussi un mariage solide». Après chaque voyage à Bruxelles, l’ambassadeur retrouve le Liban avec une grande joie. «Je suis contente d’être de retour à chaque fois. J’ai le sentiment de revenir chez moi. Quand je n’aurai plus ce sentiment, c’est que je ne serai plus heureuse là où je suis».

La diplomatie au féminin
Etre une femme et avoir une carrière diplomatique ne pose aucun problème pour Angelina Eichhorst, tout en admettant qu’il faut pouvoir compter sur des personnes exceptionnelles dans son entourage. «Mon mari est un homme exceptionnel. J’estime que les hommes devraient appuyer les femmes dans leurs décisions. Beaucoup de personnes parlent d’égalité mais rares sont celles qui œuvrent dans ce sens. C’est comme s’il existait un plafond invisible qu’il faudrait casser et aller au-delà». D’après l’ambassadeur de l’UE, il faut travailler pour l’égalité et amener au pouvoir des personnes qui y croient. «J’attends des hommes au Liban qu’ils aient le courage de prendre des mesures dans ce sens et de ne pas seulement se contenter de dire qu’ils sont pour l’égalité. Je suis une femme et j’encourage hommes et femmes à avancer dans l’égalité. Il faut donner de l’espoir aux femmes et leur montrer qu’il est possible d’avoir une carrière et d’être mère en même temps». Pour la diplomate, sa tâche n’est pas plus difficile que pour un homme, malgré le fait que les défis sont énormes. «On doit se battre pour des lois qui protègent les femmes. Des lois contre la violence faite aux femmes, le droit d’octroyer la nationalité aux enfants, le mariage civil. 53% de la population au Liban est constituée par les femmes. Les diplomates n’ont pas de pouvoir mais de l’influence et nous devons influencer les choses par nos échanges et essayer de changer les mentalités». Pour Angelina Eichhorst, le Liban est un pays plein d’opportunités, qui possède des ressources humaines formidables. «Il y a au Liban un potentiel impressionnant mais qui n’est malheureusement pas utilisé».
Grande sportive, Angelina Eichhorst pratique la natation. Elle aime la nature, la musique et «tout ce qui met l’être en équilibre et en balance». Elle joue aux échecs et au tennis et affectionne toute activité avec un partenaire. C’est une grande adepte du social Networking et elle gère personnellement ses comptes Facebook et Twitter. «C’est un outil très important pour s’informer et aller vers l’autre». Pourtant, la diplomate est consciente des dangers de ces outils sur le travail et sur la vie personnelle. «Il ne faut pas négliger son travail au profit de Twitter et Facebook et je ne laisse jamais ces choses-là gérer ma vie».
Sa devise: «Aller vers l’autre». Une attitude qu’on devine tout de suite chez cette femme qui n’hésite pas à traverser tous les obstacles pour aller à la rencontre des autres.

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Donner de l’espoir aux jeunes
Angelina Eichhorst porte un grand intérêt aux étudiants. «Ça me fait de la peine de voir qu’ils ne sont pas optimistes. Il faut donner de l’espoir aux jeunes et changer les choses d’une manière positive. On apprend d’eux et il faut agir, être à leur écoute et essayer de les comprendre même si nous ne sommes pas d’accord avec leurs idées. Il faut qu’ils sentent que nous nous intéressons à eux».

Ce qu’elle en pense
Situation dans le monde arabe: «Pendant des années, les sentiments humains ont été emprisonnés dans une boîte qui s’est brusquement ouverte aujourd’hui et dont tout sort. C’est comme si nous assistons à une pièce de théâtre dont on connaît les acteurs mais pas le scénario. Il n’y a pas de direction car il n’y a pas de scénario et cela va dans tous les sens. L’élément le plus grave c’est la violence qu’il faut arrêter à tout prix. Il y a des demandes légitimes qu’il faut écouter, mais on ne peut pas tout obtenir au même moment. J’espère qu’il y aura une direction qui pourra gérer tout ce phénomène, des personnes qui auront une vision claire et pourront garantir la sécurité. Je veux donner un message d’espoir. Dans tout ce chaos, nous avons besoin de sagesse, de modestie et de réflexion».
Risque de guerre régionale: «Il faut respecter la politique de distanciation et tenir le Liban à l’écart de tout ce qui se passe. Il faut une politique sage».
Crainte pour les minorités chrétiennes: 
«Le traité de Lisbonne de l’UE protège le droit des minorités européennes. Cela concerne l’Europe, mais c’est de notre devoir aussi d’aider les pays à trouver des solutions pour protéger les minorités. Ceci est une priorité pour nous».

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