Magazine Le Mensuel

Nº 2896 du vendredi 10 mai 2013

general

Vivre avec un séducteur. Un calvaire au quotidien

Epuisant de vivre avec un conjoint qui passe son temps à séduire. Pourtant, de nombreuses personnes fonctionnent sur ce mode sans forcément tomber dans l’infidélité. Que cache ce besoin? Est-il dangereux pour le couple? Comment s’en protéger? Témoignages et analyses.
 

«Ma femme? Je l’adore, raconte Omar. Elle a un seul défaut. Elle aime séduire. Elle charme tout être rencontré. Cela va du concierge de l’immeuble où nous habitons, au P.-D.G. de la banque avec qui nous traitons, en passant par mes copains les plus intimes. Au début, cette «tare» était une source de problèmes continus entre nous. D’autant plus qu’elle est très belle et a beaucoup de succès. Avec le temps, j’ai découvert qu’elle n’allait pas plus loin que ça. Elle ne dépassait jamais certaines limites et était tout à fait fidèle. J’ai fini par m’y faire, considérant que, d’une part, je ne pouvais me passer d’elle quoi qu’elle fasse que, d’autre part, elle me portait tout l’amour du monde et, qu’en fait, son attitude révélait tout simplement une blessure d’enfance qu’elle n’avait jamais réussi à cicatriser. Je vous avoue que parfois, au quotidien, c’est dur à gérer».
Vouloir continuellement plaire à autrui est le fait aussi bien des hommes que des femmes. Certains ont un besoin viscéral de séduire même quand ils sont en couple, n’hésitant pas parfois à mettre leur partenaire dans les pires situations et leur relation en danger, question d’exercer coûte que coûte leur charme sur tout ce qui bouge. Dans son ouvrage Amours, sexualité et troubles de la personnalité, Quentin Debray dit du charmeur, dit histrion: «Il veut plaire, être reconnu, accepté, intégré. Il redoute de passer inaperçu et fait tout pour se faire remarquer. Avec des talents divers, il cherche à séduire l’autre. Le mouvement, l’aisance, l’élégance, le charme, l’humour et la gentillesse sont ses moyens préférés. Il est souriant, brillant, au courant, véloce, occupant avec magie l’instant présent. Tout cela se déploie dans le champ social où il se répand, fidèle au poste, affairé, vigilant, quêtant l’attention par ses regards inquisiteurs et intéressés… ce double jeu permanent, cet engouement factice, ces spectacles souvent trompeurs, ces déceptions aussitôt que l’on se trouve dans l’intimité ont souvent fait prononcer à propos de l’histrionique le terme d’inauthenticité». Souvent, les grands séducteurs ne passent pas à l’acte sauf si leur partenaire officiel les agace, les harcèle sur ce sujet. L’autre se vengera en le trompant. N’oublions pas ce que le regard de la société lui porte et qu’il préfère ne pas verser dans la transgression, à moins qu’il ne soit acculé à le faire.

Que cache ce besoin de séduire? Selon les spécialistes, les grands séducteurs ne sont pas forcément en quête d’aventures passagères ou de liaisons parallèles mais surtout de reconnaissance. Ils ont besoin du regard de l’autre pour se sentir exister et rassurés. Ils souffrent souvent d’un manque de confiance en soi qu’ils dissimulent sous des airs de personne volage. «La volonté effrénée de plaire, analyse le psychanalyste Jean-Pierre Winter, repose sur une faille narcissique, une dépendance insatiable du regard de l’autre. C’est l’appel de l’enfant qui fait ses premiers exploits et cherche l’assentiment de sa mère». Selon des études menées sur ce sujet, les séducteurs ont été entourés dans leur enfance de trop de gens, les parents étant souvent absents, il leur a fallu donc plaire à tout le monde alternant rôles et séduction. Cette séduction est ainsi devenue addiction, déséquilibrant l’existence au désavantage du domaine intime. Le séducteur est continuellement dans la représentation et très éloigné de son moi profond. Certes, lorsqu’on est en couple, tomber sur ce genre de partenaire n’est pas de tout repos, voir cet autre dont on est amoureux faire constamment la roue provoque plusieurs types de blessures: d’une part, la jalousie entre en jeu. On n’aime pas partager la personne dont on est amoureux. D’autre part, dans un couple en principe, le partenaire a droit à un comportement spécial, surtout au niveau de la séduction. Regarder donc son partenaire exercer son charme systématiquement peut être douloureux, car se sentir traité comme tous les autres n’est pas agréable.  
 

Témoignage
«Mon mari, confie Hala, était un grand séducteur. Au fil des années, cela a fini par m’épuiser. Je devais tout le temps me battre pour garder ma place par rapport aux autres femmes. De plus, cela créait des rapports de force entre nous, ce qui n’est pas de tout repos au quotidien. J’avais continuellement l’impression que me rabaisser en séduisant d’autres femmes le réconfortait. Comme si, quelque part, ce mode de fonctionnement compensait ses fantasmes de sadomasochisme que je refusais de partager avec lui. J’ai fini par plier bagage après vingt ans de vie commune. J’ai refait ma vie avec un autre homme et, à chaque instant, je bénis le moment de notre rupture. J’étais si malheureuse avec lui».
Un rapport de force se met souvent en place quand on vit avec un séducteur: séduire les autres devant la personne aimée crée des liens sadomasochistes puisque le charme utilisé envers autrui fait souffrir le partenaire, l’affaiblit et le fragilise. Cela signifie-t-il forcément que dans tout couple où un des partenaires est un séducteur la séparation est au rendez-vous? Tout dépend de l’attitude de l’autre. Si certains refusent systématiquement de vivre ce genre de situations quitte à en arriver au divorce, d’autres plient l’échine pour diverses considérations et poursuivent leur vie de couple malgré des disputes incessantes sur le sujet quitte à ce, qu’avec le temps, le partenaire du séducteur verse de plus en plus dans l’indifférence vis-à-vis de son conjoint et de son attitude.

«J’ai toujours aimé séduire. Grands, petits, jeunes, vieux, femmes, hommes, tout le monde y passait. Quand j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari, j’ai cessé ce jeu devant lui, mais, je le poursuivais à son insu. Après quelques années de mariage, j’ai fait fi de sa gêne et repris mon jeu. Lui le supportait de moins en moins et me faisait des remarques. Rien n’y faisait. J’avais un besoin viscéral de séduire. Jusqu’au jour où cet homme que j’adorais du fait de sa douceur, de sa tendresse à mon égard a littéralement changé de comportement. Il papillonnait à droite et à gauche. Il lançait des œillades appuyées à toutes les femmes rencontrées. C’était si dur, si humiliant, que d’un coup le voile s’est déchiré. J’ai réalisé les dangers de mon attitude. Du jour au lendemain, j’ai cessé mes petits numéros qui, en fait, flattaient mon ego mais détruisaient mes rapports avec mon mari et j’ai suivi une thérapie pour sauver mon couple».

Danièle Gergès
 

Les conseils d’un psychothérapeute  
Il s’agit que le séducteur se convainc qu’il peut séduire par le calme, la douceur. Qu’il cesse de s’agiter dans tous les sens. Qu’il ose montrer ses défauts. Qu’il cesse de flatter, d’être dans l’inauthenticité. Qu’il se dise que, même si ses défenses tombent, l’autre continuera à l’aimer et même plus qu’avant. Il doit se dire «je n’ai plus peur de cesser de plaire. La relation s’est établie sur d’autres principes plus sincères et plus authentiques». Il vaut mieux pour faire ce travail sur soi être accompagné d’un psychothérapeute.

 

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