Rien ne le prédestinait à devenir un «zaïm», lui qui a passé son enfance et son adolescence en Nouvelle-Zélande et qui ne parlait pas un seul mot d’arabe. Parachuté en politique pour reprendre le flambeau après le décès de son père, les coups durs et les déceptions ne lui ont pas été épargnés. Pourtant, cela n’a jamais affecté son amour immodéré pour Zahlé et son esprit combatif. Affable, direct, nommant les choses par leur nom, c’est dans sa résidence à Yarzé qu’il nous reçoit. Portrait de l’ancien ministre et député Elie Skaff.
Sa vie ressemble à un roman. Son histoire est celle d’un petit garçon né à Chypre et qui passe une partie de sa vie en Nouvelle-Zélande auprès de sa mère, avant de revenir à l’âge de 16 ans au Liban où il grandit auprès de son père Joseph Skaff. Une famille traditionnelle où la politique se transmet de père en fils depuis plus de 90 ans. Sa résidence à Yarzé en est un parfait exemple. On y arrive comme chez soi. A peine quelques marches gravies, le visiteur pousse la porte d’une baie vitrée et se retrouve à l’intérieur. C’est en sirotant son café qu’Elie Skaff nous parle de son parcours, de sa vie en Nouvelle-Zélande, «une expérience qui m’a fortement marqué», dit-il. Là-bas, tout est tranquille, la vie est calme. «C’est un pays très respectueux des lois, qui accorde une grande importance à l’environnement. Tout cela m’est resté», confie Elie Skaff. En Nouvelle-Zélande, il vit comme tout le monde. Il joue au rugby et fait de petits boulots pour se faire un peu d’argent de poche.
Lorsqu’il rentre définitivement au Liban, il ne connaît pas un mot d’arabe et doit tout apprendre. «C’est pour cela que j’ai jusqu’à présent des difficultés à le parler», dit Elie Skaff avec un sourire. Il fait des études d’agronomie à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et devient ingénieur agronome. «Le jour de ma graduation, les événements de 1975 éclatent et celle-ci a dû être annulée». La guerre l’empêche de pratiquer son métier.
La politique en héritage
Entre Elie Skaff et son père, une différence de mentalité due en partie au fait qu’il n’a pas grandi auprès de lui. A la disparition de celui-ci en 1991, Elie Skaff se retrouve à la tête de la famille. Sous la pression générale, il décide de participer aux élections législatives de 1992. Il est élu pour la première fois alors qu’il ne s’était jamais mêlé de politique. «Les conditions étaient difficiles à l’ombre de la présence syrienne. Ma difficulté dans la langue arabe était également un handicap. La politique m’a été imposée. J’ai deux sœurs françaises et il fallait que je reprenne la relève sinon la lignée politique de notre famille devait s’arrêter». Avec le temps, il prend plaisir à frayer avec les gens et à soutenir la région si chère à son cœur. Aujourd’hui, il a la politique dans le sang.
«Une aventure». C’est ainsi qu’Elie Skaff décrit la politique au Liban. «Ma culture de base est occidentale et c’est la raison pour laquelle j’ai un problème d’adaptation. J’ai vécu dans un monde de principes et de valeurs, alors que dans ce pays la politique est faite de mensonges et de tromperies. Il faut connaître et apprendre Machiavel pour savoir comment agir. Je suis très loin de cette ambiance». Après l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, il tend la main à Saad Hariri, mais les exigences de celui-ci rendent tout accord impossible. Avec le fameux accord quadripartite, il est seul contre tous. Il s’allie au général Michel Aoun et remporte les élections. «Je me réunissais avec le général Michel Aoun. A l’époque, la division entre le 8 et 14 mars n’existait pas encore. Il y avait une entente électorale entre le général Aoun et moi. C’est ensuite qu’est intervenue la division 8 et 14 mars et du fait que j’étais proche de Aoun je me suis retrouvé dans le camp du 8 mars», confie Skaff.
Les élections de 2009 sont dominées par des interventions étrangères de toutes sortes. «L’enjeu était de taille. La partie qui remporterait la majorité influerait sur la ligne politique du Liban. Les députés de Zahlé devaient faire pencher la balance. Sur le milliard de dollars qu’avaient coûté les élections, 80 millions ont été dépensés dans la bataille de Zahlé et les nombreuses tricheries, surtout les falsifications dans les listes électorales, nous ont fait perdre les élections. Le recours en invalidation que j’ai présenté dort toujours dans les tiroirs».
Elie Skaff voue à Zahlé un grand attachement, «cette ville est un symbole pour les chrétiens du Moyen-Orient». Son but actuellement est de la garder en dehors des clivages et des conflits qui secouent la région. «L’intérêt de Zahlé réside dans son indépendance». Selon l’ancien ministre, aujourd’hui la capitale de la Békaa est privée de sa véritable représentativité et ses députés sont divisés entre les différents blocs. «Zahlé a toujours joué un rôle principal dans la politique libanaise. Mon père était le chef d’un bloc qui comptait 11 députés». Il veut, quant à lui, redorer le blason de Zahlé et lui faire retrouver son prestige. Il veut récupérer l’indépendance de la ville à travers un bloc parlementaire indépendant. C’est donc en indépendant qu’il a l’intention de se présenter aux prochaines élections législatives quelle que soit la loi adoptée. «On ne peut pas accepter la situation actuelle. Zahlé est la seule ville grecque-catholique du Moyen-Orient et personne ne peut lui imposer ses conditions».
Coup de foudre
C’est à Ouyoun Orghoche, au cours d’un déjeuner organisé par l’ancien député Gebran Tawk en présence du ministre de l’agriculture Adel Cortas, qu’il rencontre celle qui deviendra son épouse Myriam Tawk, la fille du député. A cette époque, Elias Skaff est le président de la Commission parlementaire de l’agriculture. «Pour moi ce fut un coup de foudre instantané. C’étaient les plus beaux jours de ma vie. Je n’avais pas vraiment vécu avant Myriam et nous avons connu ensemble deux ans d’amour, de voyages et de romance avant de nous marier en juin 1995», se souvient Elie Skaff. Ils ont deux garçons, Joseph (13 ans) et Gebran (11 ans). Il leur consacre beaucoup de temps surtout les dimanches qu’il essaie de passer en famille le plus souvent possible, ainsi que les voyages qu’ils effectuent tous ensemble. «J’estime que les enfants doivent passer du temps avec leurs parents. Cela est beaucoup plus important que tout ce qu’on leur enseigne à l’école. L’esprit de famille se vit et ne s’apprend pas».
Pour avoir été député et ministre, Elie Skaff se retrouve plus dans la députation. «Pour être efficace, un ministre doit être spécialisé dans le domaine de ses fonctions. Il faut qu’il y soit expert. Je préfère être proche des gens, à leurs côtés. Je n’accepterai plus de postes ministériels désormais». Il estime que le Liban se trouve à une croisée de chemins. «Pourra-t-on construire un nouveau Liban? Tout dépend des priorités des responsables. La politique est aujourd’hui basée sur ces trois priorités: la communauté, le parti, la région. Je ne vois pas comment bâtir un Etat dans ces conditions». Selon Skaff, il faut que le peuple libanais réagisse et réclame des comptes à ses dirigeants. «On entend beaucoup de critiques mais le peuple sanctionnera-t-il les responsables ou continuera-t-il à élire les mêmes personnes? C’est à lui de décider s’il veut ou non le changement. Je souhaite que les Libanais demandent des comptes car ceci représente le seul espoir de changement». Des paroles qui poussent à la réflexion…
Joëlle Seif
Photos: Milad Ayoub-DR
Pas de liberté ni d’indépendance
Selon Elie Skaff, les élections se suivent mais ne se ressemblent pas. «Chaque élection est différente. Ce sont les circonstances qui imposent un climat déterminé. Les divergences internationales se répercutent sur le terrain libanais». «Il n’y a pas de liberté et d’indépendance. Quand les grandes nations décident, ici on exécute. La politique au Liban n’est que du commerce». D’après l’ancien ministre, il n’y a aucun espoir que les Libanais règlent eux-mêmes leurs différends. Il faut que les grands se mettent d’accord entre eux d’abord. «Les Etats-Unis n’ont qu’un seul souci en tête, celui de protéger Israël en créant une instabilité dans la région».
Ce qu’il en pense
-La situation en Syrie: «La Syrie ne redeviendra jamais comme avant, mais il faut attendre pour voir ce que les grandes puissances vont décider».
-Ses loisirs: «J’étais un grand sportif et cela revient en partie à mon éducation anglo-saxonne, mais les soucis et la politique m’ont tenu éloigné du sport. J’aime les chevaux, l’équitation, la natation. Auparavant, je jouais au tennis et faisais du jogging, maintenant je fais de la marche et de la natation. Le sport est un besoin vital pour le corps et pour évacuer le stress».
-Sa devise: «La distance la plus courte entre deux points est une ligne droite».