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Nº 2898 du vendredi 24 mai 2013

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L’armée syrienne progresse sur plusieurs fronts. Pressions militaires avant les négociations politiques

Depuis son offensive sur la ville stratégique de Qoussair, l’armée syrienne, appuyée par le Hezbollah, continue de marquer des points. Un signe que le régime de Bachar el-Assad reprend la main. En parallèle, le ballet diplomatique s’intensifie, avec, pour objectif, la tenue d’une Conférence de Genève 2, prévue dans quinze jours.
 

De Qoussair, il ne reste presque plus que des ruines. En prélude à sa grande offensive, l’armée régulière syrienne a procédé à un pilonnage systémique de la ville, appuyée par des raids aériens. Au sol, les divisions d’infanterie et de chars ont ensuite entamé leur progression inexorable vers le cœur de la ville. Des combats d’une violence extrême se sont déroulés sur le terrain, durant des heures, les soldats du régime, appuyés par le Hezbollah (voir encadré), combattant rue après rue les rebelles, qui tenaient la ville depuis plus d’un an. En ligne de mire, le centre-ville, où les soldats ont occupé la mairie avant de poursuivre leur offensive dans d’autres quartiers de la cité. Les combats auraient fait des dizaines de victimes dans les rangs des rebelles, dont de nombreux jihadistes venus de l’étranger, selon la chaîne al-Manar. Dimanche soir, la bataille décisive de Qoussair a encore pris un autre tournant. Les combats se sont en effet concentrés dans les quartiers nord de la cité, avant que les rebelles se replient vers l’aéroport militaire de Dayaa, qui reste l’une de leurs dernières bases dans cette région.
Les forces de l’opposition, en pleine reculade, démentaient encore dimanche soir que l’armée régulière ait réussi à prendre le centre-ville de Qoussair. Tout en admettant, tout de même, être bombardés intensivement par l’armée et le Hezbollah. Selon une source militaire, les forces régulières se seraient désormais emparées du sud, de l’est et du centre de la ville, ce que nient les insurgés. La télévision officielle syrienne, elle, indique que «l’armée poursuivait des terroristes dans les secteurs nord et ouest de Qoussair».
Piégés, les habitants de la ville se cachent où ils le peuvent. Dans des caves, abris improvisés, alors que l’eau et l’électricité ne leur parviennent plus depuis quatre mois déjà.
Toujours dans la même région de Homs, les forces du régime ont commencé à bombarder une autre ville rebelle, celle de Rastane. L’armée avance également sur un autre front, à Barzé, situé au nord de Damas, où les combats font rage. Au nord du pays, aussi, des raids aériens se sont abattus sur Raqqa, causant la mort d’une femme et de huit enfants. Un chef de l’opposition, Abdallah Khalil, aurait été arrêté, selon des militants, par des rebelles islamistes.
Toutefois, le régime semble avoir délaissé, pour le moment, le nord du pays, en grande partie contrôlé par la rébellion. A Alep, autre ville-clé, les bombardements aériens se font plus rares et se concentrent essentiellement sur les zones de la prison centrale et de l’aéroport de Minagh, encerclés par les rebelles.

La stratégie du régime
La stratégie de Damas consiste actuellement à sécuriser les abords de la capitale, ainsi que la province de Homs et la frontière jordanienne, au sud. Ces dernières semaines, les forces loyalistes ont repris le contrôle de Khirbet Ghazaleh, une ville située sur l’autoroute entre Damas et la frontière avec le royaume hachémite. Objectif de toutes ces offensives: renforcer la bande côtière, entre Tartous et la frontière turque, où la population est en grande majorité alaouite. Par ailleurs, le régime a bien compris que la Jordanie, comme la Turquie, sont les deux pays d’où transitent armes et combattants pour la Syrie. A ce sujet, le New York Times a révélé qu’une trentaine d’avions croates, transportant des armes payées par l’Arabie saoudite, se sont posés à l’aéroport d’Amman durant l’hiver.
 
Le tournant de Qoussair
De l’avis de nombreux analystes du conflit syrien, la prise de la ville de Qoussair pourrait marquer un tournant décisif. Située au centre du pays et adossée à la frontière libanaise, Qoussair servait jusqu’à présent de principal point de passage pour les armes et les combattants qui circulent entre le Liban et la Syrie. Sans oublier que la ville est aussi située sur des axes routiers stratégiques pour le régime, car elle relie Damas à la côte méditerranéenne, mais dessert aussi le reste du territoire. Contrôler Qoussair serait donc une victoire de taille pour le régime de Bachar el-Assad. Les forces de l’opposition, même si elles disposent d’autres points de passage pour s’approvisionner en armes, enregistreraient là une défaite cuisante. D’autant que le maintien de la ville dans le giron de l’opposition laissait entrevoir aux rebelles la perspective de prendre le contrôle de l’ouest et du centre de la Syrie.
Dans cette bataille cruciale pour le régime, le Hezbollah a joué un rôle décisif, malgré ses pertes, car ses combattants se sont déployés depuis plusieurs semaines dans les villages entourant Qoussair, refermant le piège. Dans la ville même, son expérience de la guérilla a aussi constitué un atout majeur.
 

Assad déterminé
Ce succès militaire loyaliste intervient au lendemain des déclarations de Bachar el-Assad dans la presse argentine. Interviewé par Telam, l’agence de presse officielle de Buenos Aires et par le grand quotidien Clarin, le président syrien s’est montré confiant et déterminé, comme à chacune de ses interventions. «Démissionner, ce serait fuir», a-t-il ainsi martelé, estimant que «sur la question de savoir qui doit partir et qui doit rester, c’est le peuple syrien qui le déterminera lors de l’élection présidentielle de 2014». Il a également accusé l’Occident et l’opposition de ne pas vouloir «d’une solution en Syrie» et de soutenir les «terroristes». Assad s’est tout de même félicité du rapprochement américano-russe au sujet de la Syrie, tout en se montrant volontiers sceptique quant au succès de la conférence internationale de Genève, qui doit théoriquement se tenir à la mi-juin.
Genève 2, comme est d’ores et déjà surnommée cette rencontre voulue de concert par Washington et Moscou, s’engage plutôt mal. Les Amis de la Syrie, groupe composé de pays qui soutiennent l’opposition, se sont réunis à Amman mercredi, avec onze ministres, dont le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Une rencontre sans l’opposition, qui ne parvient toujours pas à faire front commun et à trouver un terrain d’entente quant à la transition démocratique. Moaz el-Khatib, ancien président de la Coalition syrienne, a ainsi fait escale à Madrid pour y rencontrer le chef de la diplomatie espagnole José Manuel Garcia Margallo, pour «analyser la situation en Syrie et les dernières initiatives internationales en vue de régler le conflit».
 
Une opposition morcelée
Minée par les rivalités internes tout autant que par les divergences d’opinion, l’opposition n’arrive pas, en outre, à gérer l’influence croissante des jihadistes parmi les rebelles. Des extrémistes qui entachent plus que jamais son image et ont pour effet de dissuader les grandes puissances, comme les Etats-Unis, de livrer des armes. Washington ne s’aventure plus sur ce chemin-là, suivi par Paris, qui avait pourtant ouvert le sujet il y a quelques semaines, avec Londres.
L’opposition a donc fort à faire pour devenir un acteur crédible, en vue de la Conférence de Genève. Jeudi, elle devait élire un nouveau chef, à Istanbul. Ce n’est qu’après, qu’elle décidera de sa participation à la conférence.

En parallèle, Moscou poursuit ses pressions sur l’opposition syrienne. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré qu’«(elle) ne devait poser aucun préalable sur sa participation à la conférence». En clair, l’opposition ne devra pas conditionner sa présence aux négociations en fonction du départ du président Bachar el-Assad.
La Russie a de nouveau insisté sur la participation de l’Iran à la conférence de Genève 2, au grand dam de la France, entre autres, qui a réitéré son refus. «Si tout le monde reconnaît que l’Iran bénéficie d’une importante influence sur la situation, il doit être représenté aux négociations en tant que participant du ‘cercle extérieur’», a ainsi déclaré Lavrov lors d’une interview au quotidien Rossiyskaya Gazeta. «J’en ai parlé à John Kerry. Il a dit être d’accord, ajoutant toutefois que plusieurs pays de la région s’opposeraient catégoriquement à cette initiative», a-t-il souligné. L’Arabie saoudite est également conviée à Genève.
Dans la même interview, Lavrov s’est prononcé contre une limitation de durée de Genève 2. «Certains de nos partenaires estiment que la conférence ne devrait durer que quelques jours, voire une semaine. J’estime que ce serait contre-productif», a-t-il dit.
Tout comme l’Iran, Moscou estime aussi que les représentants de l’opposition intérieure au régime, et pas seulement ceux du CNS, devront s’asseoir autour de la table. «Notre front a soutenu l’initiative et confirmé sa participation au cours des 48 heures qui ont suivi la rencontre de Moscou entre Lavrov et Kerry», a déclaré le vice-Premier ministre syrien et chef du Front populaire pour le changement et la libération, Qadri Jamil, à l’agence russe Ria Novosti, le 14 mai. «Le Comité national de coordination a également confirmé sa participation», a-t-il ajouté. Qadri s’est inquiété de voir «plusieurs forces régionales et occidentales intéressées par un règlement militaire du conflit syrien. La sortie de la crise signifie la mort politique de ceux qui ont misé sur un scénario militaire». Une allusion à peine voilée à la Turquie. Recep Tayyip Erdogan, hostile à une solution diplomatique, s’est rendu à Washington le 17 mai pour demander à Barack Obama, d’honorer ses engagements sur la ligne rouge fixée en cas d’usage des armes chimiques par le régime Assad. Il a également plaidé en faveur de la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne en Syrie, d’une zone tampon à la frontière avec la Turquie et enfin de l’armement de l’opposition. Autant de requêtes qui pourraient torpiller Genève 2 et refusées par un Barack Obama qui ne souhaite pas s’empêtrer dans une solution militaire. Avec tous ces obstacles, la conférence ne semble pas, en tout cas, bien engagée.

Jenny Saleh
 

Pertes pour le Hezbollah
 Ouvertement impliqué dans les combats de Qoussair, le Hezbollah accuse cependant de lourdes pertes, selon des sources de l’opposition syrienne. Le Parti de Dieu aurait en effet perdu dans la journée de dimanche 28 membres d’élite, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Une source proche du Hezbollah réduit ce chiffre à 20 morts et 30 blessés. Ce lourd bilan s’expliquerait par le fait que les combattants se trouvaient aux avant-postes et auraient combattu en premier dans Qoussair, avant l’entrée de l’armée. Le Hezbollah n’a ni démenti ni confirmé ces chiffres. S’ils s’avèrent, il s’agirait de pertes beaucoup plus lourdes que lors de la guerre de juillet 2006, contre Israël.
 
Une résolution prudente
 Une nouvelle résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 15 mai dernier, a laissé entrevoir l’effritement du soutien à l’opposition syrienne. Rédigé par le Qatar, ce texte avait initialement pour ambition de promouvoir l’attribution du siège de la Syrie à l’Onu à l’opposition, comme cela avait été fait à la Ligue arabe. Sauf que… tout ne s’est pas passé comme prévu. La résolution, approuvée par seulement 107 des 193 pays membres, condamne finalement «l’escalade continue» des attaques de l’armée syrienne et ses «violations flagrantes et systématiques» des droits de l’homme. Le texte appelle également à une «transition politique», fondée sur la déclaration de Genève du 30 juin 2012, mais exhorte aussi «toutes les parties à cesser immédiatement toute forme de violence, y compris les actes terroristes».
Le texte initial proposé par le Qatar a suscité, visiblement, l’opposition de nombreux pays. Au lieu d’apparaître comme un acteur incontournable des négociations, la Coalition nationale syrienne écope finalement dans la résolution votée d’une qualification «d’interlocuteur effectif et représentatif nécessaire à une transition politique», bénéficiant d’une «large reconnaissance de la communauté internationale».

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