Dans un pays où les responsables politiques et religieux cherchent par tout moyen à instrumentaliser la religion à des fins personnelles, les jeunes, eux, revendiquent leur droit au «vivre-ensemble». Gladic (Groupement libanais d’amitié et de dialogue islamo-chrétien) a lancé le samedi 18 mai 2013 un concours portant sur les travaux faits par les élèves de différentes écoles concernant les figures du dialogue.
«L’enfer, [ce n’est pas] les autres»! Assez de manipulations politico-religieuses qui aliènent les Libanais! C’est dans ce sens que plus de vingt écoles se sont retrouvées samedi à l’amphithéâtre Abou Khater à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth pour exprimer leur lassitude à l’égard des disparités humaines qui frappent le peuple libanais. Les différents participants ont ainsi expliqué que l’humanité est née avec un besoin indispensable à sa survie en société: la communication. Celle-ci a, de tout temps, été sous ses différentes formes, une manifestation des relations humaines. L’homme primitif, malgré la superficialité de ses connaissances, avait déjà compris que la solitude était intolérable. L’homme d’aujourd’hui, a lui, compris que l’un des meilleurs moyens de la communication n’est autre que le dialogue qui se construit au sein des sociétés selon des facteurs intellectuels, une culture dominante et un pluralisme religieux inévitables.
Afin de prouver cette idée, les élèves ont présenté leurs exposés en tenant compte des différents points de vue – chrétiens et musulmans-. L’islam considère en effet que le dialogue commence d’abord et avant tout par un retour sur soi, pour qu’il puisse ensuite s’étendre dans la sphère d’autrui – le but étant d’arriver à la Connaissance mais aussi à la prise de position juste et équitable – .
Cheikh Mohammad Hussein Fadlallah a été l’une des multiples personnalités citées par les élèves. Ces derniers expliquent que, prônant l’ouverture à l’autre, Fadlallah assure que les religions se rapprochent énormément les unes des autres, contrairement à ce que l’on pense, et qu’elles sont érigées sur des principes de vivre-ensemble. Il affirme également que la dimension sacrée ne devrait pas entraver le dialogue, mais ouvrir la voie au débat et à la discussion. Les participants ont de même élaboré les principes du christianisme qui a été l’un des pionniers de l’ouverture à l’autre dans sa différence.
Religion naturelle ou civile?
Depuis le début de l’humanité, l’homme a besoin de mystique, de se transcender et de s’élever. Il est toutefois impérativement nécessaire de séparer la sphère personnelle de la sphère publique dans laquelle le religieux ne devrait pas intervenir. La liberté nous oblige à respecter l’autre dans sa différence – si différence fondamentale, il y a -. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un Etat de droit, et que le droit est supposé réglementer les relations qui existent dans la sphère publique et qui permettent le respect de la liberté de chacun. Imposer une religion sociale serait-elle la solution? Jusqu’à présent, l’homme ayant indéniablement besoin d’esprit mystique et de spiritualité, nous ne pouvons lui ôter ce besoin qu’il retrouve dans la religion. Il faut distinguer pour cela l’essence de la religion de ses pratiques culturelles qui varient d’une croyance à l’autre.
Un littéralisme réduisant les moyens d’expression
Il existe cependant des facteurs qui poussent certains jeunes à adopter des lectures qui s’interprètent à la lettre. D’abord, ces jeunes ne représentent ni une majorité, ni une minorité significatives. C’est vrai que nous rencontrons certaines personnes qui se laissent tenter par des interventions du genre pour des raisons sociales, économiques, etc. mais «nous ne pouvons accepter le fait qu’il y ait certaines personnes qui commettent du mal au nom de la religion», exprime l’un des élèves. Les jeunes sont désormais prêts à éliminer, voire anéantir les barricades qui se sont créées au fil des ans dans l’esprit du peuple libanais. Les participants ont également insisté sur le fait que l’extrémisme et le fanatisme des responsables religieux chrétiens ou musulmans ont mené à une interprétation souvent erronée des textes saints. A titre d’exemple, il n’est nulle part dit dans le Coran: «L’islam, une religion et une loi». D’ailleurs, si nous revisitons l’histoire du Prophète, nous constatons que celui-ci n’a pas créé d’Etat, de structure étatique. La meilleure preuve qu’il n’y pensait pas c’est qu’il n’a pas nommé de successeur.
Les défis à affronter
Dans une communication consacrée précisément aux défis du dialogue interreligieux, Mohammad Uthman Salih constate que nous sommes à l’époque du village global et que «les moyens de communication modernes ont fait tomber les barrières des distances, rendant tout à fait nécessaire l’exigence de se parler». Il faut reconnaître, selon lui, le droit de chaque partenaire à la liberté, à l’ombre du pluralisme et de la diversité de pensée. Il énumère ensuite «un certain nombre de défis que doit aborder le dialogue interreligieux»: rechercher un langage commun, reconnaître les particularités mutuelles, faire justice des vestiges du passé, vaincre le manque de méthodologie, croire à l’efficacité du dialogue et traiter les problèmes importants, laissant de côté les questions de pure polémique. Les participants citent aussi dans le même ordre d’idées Saoud el-Mawla qui affirme qu’«accepter le pluralisme religieux, confessionnel et culturel comme une source de richesse à laquelle il n’est pas permis de renoncer, une ouverture sur le monde extérieur et un moyen d’enrichir l’expérience humaine ou la base d’une société démocratique et celle d’un Etat laïque, voilà la voie juste et unique pour élaborer un projet de civilisation dans le monde arabe, pour le siècle à venir». Ils mentionnent aussi Ridwan el-Sayyid pour qui «rester dans les lieux de dialogue et d’ouverture est le meilleur moyen de promouvoir le changement de façon consciente, alors que se calfeutrer derrière les portes barricadées ne servira à rien si ce n’est à donner au changement inévitable un caractère forcé et intrus. Nous ne sommes pas les seuls à changer: le changement traverse le monde. Qu’il soit alors conscient et intentionnel».
Natasha Metni
Une peur commune?
Il est clair que le monde chrétien et le monde musulman sont confrontés au phénomène de la mondialisation qui donne naissance à une certaine fragmentation conduisant à des crispations identitaires. L’homme ne se définissant pas en termes de besoins et d’échanges mais en ouverture à une altérité transcendante, chrétiens et musulmans devraient livrer ensemble le combat pour le respect de la vie, la justice, la promotion des droits de l’homme, etc. Se débarrasser aussi de la peur du sécularisme qui entraîne une crainte du dialogue est impératif aussi pour des rapports de confiance et de coopération.