Magazine Le Mensuel

Nº 2901 du vendredi 14 juin 2013

Affaire Déclassée

La liberté de la presse en question. Pressions et réactions

Dans les années 70, la presse a fait l’objet de nombreux procès. Les contraintes étaient sévères et les quotidiens étaient tenus à l’autocensure sous peine d’être sanctionnés.
Retour sur l’un des sombres épisodes de cette période qui a impliqué le journaliste et ancien ministre et député aujourd’hui disparu, Ghassan Tuéni.

 

Le 4 décembre 1973, Ghassan Tuéni, directeur du quotidien an-Nahar et Wafic Ramadan, envoyé spécial du journal au sommet arabe d’Alger, sont arrêtés. Le chef d’accusation est la publication des résolutions du sommet, censées rester secrètes. La responsabilité de Ramadan portait sur la rédaction des résolutions et celle de Tuéni sur la publication de ce rapport. Ils sont tous deux détenus à la prison des Sablons.
Les réactions ne se font pas attendre. La presse, comme le barreau, critiquent vivement cette mesure et les milieux politiques appellent à la libération immédiate des journalistes. Ces derniers passent dix jours en prison. Ils ne sont libérés que le 14 décembre. La Cour avait estimé que leur détention devait être provisoire. Ils sont élargis malgré le fait que leur procès avait été déféré devant le tribunal militaire.
Entre-temps, l’affaire se vide de ses fondements, le secrétaire général de la Ligue arabe ayant publié les résolutions prises au sommet d’Alger.
Le 19 janvier 1974, le tribunal militaire déboute le parquet et qualifie la publication incriminée de délit et non de crime. Tuéni et Ramadan sont condamnés à sept jours de prison et à une amende de 100 L.L. Le parquet se pourvoit alors en cassation.
Les pressions sur la presse n’ont pas été levées pour autant. Elles étaient exercées sur les annonceurs, sommés de boycotter certains journaux et publications. La liberté d’expression devient ainsi tributaire des pressions politiques. Cependant, la Chambre des députés réagit. Trente parlementaires dénoncent les atteintes à la liberté. Au cours du mois de mai, les agences de publicité et les grandes maisons commerciales, étaient soumises aux pressions afin qu’elles refusent de passer leurs annonces notamment dans le quotidien an-Nahar. La Sûreté générale s’en mêle et qualifie le journal d’ennemi du système.
La répression de la Sûreté générale ne s’arrête pas là. Les responsables des agences de publicité et des grandes maisons commerciales sont menacés de mesures répressives dont l’interdiction aux directeurs étrangers de séjour au Liban et le refus de renouveler leur permis de séjour.
Ces dispositions suscitent une indignation générale. Les syndicats condamnent toute restriction imposée aux agences de publicité et toute atteinte à la liberté d’expression, quels que soient les moyens utilisés. Le gouvernement dément avoir donné des ordres dans ce sens à la Sûreté générale et décide d’ouvrir une enquête pour déterminer les responsabilités.
Le gouvernement décide la création et la mise sur pied d’un bureau de contrôle de la publicité. Une disposition que le refus de l’Ordre de la presse fait avorter. Ce dernier estime que «toute atteinte à la liberté de la presse est une infraction de la Constitution même». L’affaire s’amplifie. Les pressions font toutefois leur effet, et le Syndicat des rédacteurs de la presse s’abstient de tout commentaire provoquant ainsi une cassure au sein du comité du syndicat, dont quatre membres démissionnent.
Privés de nombreuses publicités, certains journaux, plus particulièrement an-Nahar, doivent prendre des mesures d’économie et remercier plusieurs collaborateurs. Le 3 juillet, le journal intente une action en justice contre la Sûreté générale pour abus de pouvoir.
L’affaire Tuéni-Ramadan est remise sur le tapis. La décision de la Cour de cassation militaire est émise le 11 juillet. Elle rejette l’inculpation de crime et retient le simple délit. Elle condamne Tuéni et Ramadan à deux mois de prison, ramenés à un mois avec sursis. L’affaire avait secoué le monde des médias pendant des mois.

Arlette Kassas

Mémorial du Liban – Mandat Sleiman Frangié, de Joseph Chami.

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