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Paul Khalifeh

Les sages introuvables

C’est une bien triste image que le Conseil constitutionnel a offert aux Libanais, qui cherchent désespérément à s’accrocher à un débris d’institution ou à un semblant d’Etat, dans un pays en perdition. Censés être des exemples de probité morale et d’indépendance d’esprit, des hommes modèles évoluant au-dessus de l’infecte tambouille sectaro-politicienne qui empoisonne la vie des citoyens, certains membres de ce Conseil ont prouvé qu’ils étaient un pur produit du système pourri, rongé par la gangrène du confessionnalisme.
En provoquant, à deux reprises, un défaut de quorum empêchant le Conseil d’examiner les recours en invalidation de la prorogation du mandat du Parlement, les trois membres qui se sont absentés ont prouvé qu’ils étaient mus, en priorité, par leur appartenance confessionnelle, par ces quelques lettres inscrites sur leur carte d’identité. Les années d’études, les décennies d’expérience, tout le Savoir accumulé durant leur vie, n’ont pas fait le poids devant les pressions et les «conseils» des princes de leurs communautés. Leur attitude est regrettable. Leur opinion n’a pas d’importance, leur avis constitutionnel non plus. Il leur a été demandé de ne pas se rendre aux réunions, un point c’est tout. Encore faut-il espérer que le facteur qui leur a transmis la «recommandation» ait eu la délicatesse de leur donner une explication… rien n’est moins sûr.
Le comble de l’affliction serait d’apprendre que ceux qui ont décidé de prendre part aux réunions l’ont fait non par conviction, mais aussi pour répondre à des conseils et des souhaits émanant des seigneurs de leurs communautés.
Le but de notre propos n’est pas de défendre la tenue prochaine des élections ou, au contraire, la prorogation pour une longue durée du mandat de la Chambre, mais de constater qu’aucune institution n’est épargnée par le pourrissement. La polarisation a atteint des extrêmes inégalés même pendant la guerre civile, au cours de laquelle l’Etat avait résisté à l’invasion milicienne. Cependant, la guerre s’est terminée par l’intégration des milices au sein de l’Etat et aujourd’hui, le système, déjà archaïque à l’origine, est contrôlé de l’intérieur par ceux-là mêmes qui cherchaient à le détruire, il y a un quart 
de siècle.
Dans des circonstances aussi peu encourageantes, peut-on avoir encore confiance dans la pertinence et la justesse de la décision du Conseil constitutionnel, quelle qu’elle soit?
Le salut ne viendra ni des élections ni de la prorogation. La première hypothèse reproduira la classe politique, envahissante et incompétente, et clonera les rapports de force qui nous tiraillent aujourd’hui. Les Libanais seront condamnés à barboter quatre années supplémentaires dans la même sauce pestilentielle. La deuxième ne fera qu’acheter une rallonge à cette sauce répugnante. Il s’agit des deux faces d’une même médaille.
Pour éviter de sombrer dans l’abîme sans fin de la discorde communautaire qui tambourine à nos portes, il est nécessaire de jouer cartes sur table, d’initier un dialogue franc et sincère sur les questions qui divisent et les sujets 
qui fâchent.
Pour cela, il faut des hommes courageux. Les sages, eux, sont depuis longtemps introuvables.

Paul Khalifeh   

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