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Nº 2901 du vendredi 14 juin 2013

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Washington couvre l’Armée libanaise. L’embrasement du Liban est interdit

Pour empêcher la propagation du conflit syrien au Liban, Washington aurait demandé à l’opposition syrienne de calmer le jeu face au Hezbollah, et à ses interlocuteurs libanais d’accorder à l’armée «la plus large 
couverture politique». Une inflexion de la politique américaine décidée, il y a plusieurs semaines, et qui se traduit depuis quelques jours sur le terrain.

Après l’entrée en guerre du Hezbollah en Syrie, les groupuscules armés rattachés à la rébellion syrienne et leurs parrains politiques locaux ont lâché leurs coups contre l’armée, qu’ils accusent de collusion avec le parti de Hassan Nasrallah. A l’adresse de l’opinion publique, des déclarations incendiaires comme celles du député Mohammad Kabbara. Sur le terrain, de Tripoli à Saïda, des attaques ciblées contre les soldats, parfois au prix du sang, dans des territoires devenus hostiles, servant de base arrière à l’insurrection voisine. Plus d’une semaine après la mort de trois militaires, tués sur les hauteurs de Ersal, le commandement de l’armée a décidé de frapper du poing sur la table. Dans un communiqué du 7 juin, sans précédent de fermeté, il «appelle les citoyens à se méfier des complots visant à ramener le Liban en arrière et à l’entraîner dans une guerre absurde». L’armée «répondra aux armes par les armes et n’épargnera aucun effort pour éviter que des innocents payent le prix de plans politiques qui veulent la destruction du Liban».
La veille au soir, le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, s’est rendu à Tripoli pour une réunion avec des dignitaires religieux et les leaders politiques de la Rencontre nationale islamique (RNI) au domicile du même Kabbara. Celui qui, quelques heures plus tôt, dénonçait la «collaboration avec le régime syrien» de l’armée et du président de la République, appelle désormais l’Etat et le c
ommandement de l’armée «à démontrer leur attachement à la sécurité de Tripoli et à restaurer le calme dans la ville». Le changement de ton est spectaculaire. Tout aussi renversant, le nombre de messages d’apaisement qui ont suivi, au Liban et à l’étranger.
Michel Sleiman: «Il est temps que toutes les parties réalisent l’intérêt de tenir la scène intérieure à l’écart des retombées des crises régionales, car il est évident que les Libanais sont les seuls à payer le prix fort de l’implication de certaines parties locales dans le conflit en cours». Le Courant du futur a, lui, appelé les habitants de Tripoli à «coopérer avec l’armée». Dar el-Fatwa a réclamé que cette dernière prenne des mesures draconiennes dans toutes les régions libanaises «afin qu’aucune partie ne se sente visée». Le chef des Forces libanaises Samir Geagea: «Le gouvernement démissionnaire doit charger l’armée de ramasser une fois pour toutes les armes à Tripoli et à Jabal Mohsen». Dans la ville, le Parti démocratique arabe (PDA), qui tient Jabal Mohsen, a appelé les habitants à «réagir positivement aux mesures de l’Armée libanaise en vue de faciliter sa mission». Le coordinateur de l’Onu au Liban, Derek Plumbly, et même le chef de la diplomatie saoudienne Saoud el-Fayçal ont exhorté les Libanais à faire preuve de sagesse et à mettre fin aux affrontements meurtriers de Tripoli.
Couverture politique, conséquences immédiates. Les représentants de l’Etat et de la capitale du Nord se sont donc accordés sur un plan d’action sécuritaire. L’armée s’est déployée sur l’ensemble des lignes de front, érigeant des check-points à la place des barricades de sacs de sable sous la surveillance des chars des patrouilles mobiles. En possession d’informations précises, plusieurs dépôts de munitions et d’armes ont été neutralisés. Désormais, à la moindre étincelle, l’armée riposte à Mohsen, Tebbané ou dans le vieux souk (voir ailleurs). Depuis le début de la semaine, aucun incident majeur n’a été enregistré. La soudaineté et le nombre de ces appels au calme traduisent en réalité un travail de fond mené par une même partie.

Les USA contre l’embrasement
La semaine dernière, de Paris, l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, a eu un long entretien téléphonique avec le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi. L’occasion de discuter du plan sécuritaire de Tripoli mais aussi, pour le leader du Courant du futur, de l’assurer de tout son soutien politique. Traduction sur le terrain, Hariri aurait demandé aux représentants tripolitains de son parti de calmer le jeu. Le dossier aura également été au menu de discussions avec le président du Parlement, Nabih Berry, puis les Premiers ministres Najib Mikati et Tammam Salam. Depuis la semaine dernière, le chef de l’Armée libanaise est en première ligne: réunions du haut-conseil de sécurité, discussions quotidiennes avec le chef de l’Etat. Dans le fameux communiqué du 7 juin, il est indiqué que «le commandant de l’armée annonce qu’elle prendra, elle-même, les mesures nécessaires».
La formule est loin d’être anodine, encore moins l’extrait de la phrase mis en exergue. Les règles de la mécanique constitutionnelle et de la séparation des pouvoirs stipulent que l’action de l’armée est de la responsabilité du Conseil des ministres. En l’absence d’un pouvoir exécutif fort, capable de prendre des décisions, l’armée prend les devants. Elle bénéficie en fait d’un soutien solide bâti à Washington en deux temps. Au milieu du mois de mars dernier, le sous-secrétaire d’Etat américain pour les Affaires du Proche-Orient, Lawrence Silverman, successeur de Jeffrey Feltman nommé à l’Onu, était au Liban pour une visite de trois jours. Il a notamment été question des relations militaires bilatérales et des aides américaines à accorder à l’armée du pays. L’occasion pour Silverman de nouer des contacts avec les interlocuteurs privilégiés des Etats-Unis au Liban, à savoir les pontes du 14 mars et le leader druze Walid Joumblatt, mais aussi avec Jean Kahwagi.
Retour au mois de juin. Depuis le début des événements de Tripoli, l’ambassadeur des Etats-Unis au Liban, Maura Connelly, a multiplié les entrevues avec responsables et leaders politiques. Ces réunions se sont accompagnées de messages venus directement de Washington, par la voix de deux personnalités essentielles du dispositif américain au Liban et dans la région. Il y a plusieurs jours, Lawrence Silverman a exprimé l’inquiétude de son pays devant les événements de Tripoli, souhaitant que «l’armée prenne les mesures nécessaires pour contrôler la situation et éviter que le conflit syrien ne se propage davantage au Liban».

Changement de pied durable?
Mais la prise de position américaine la plus marquante est celle de Derek Chollet. Inconnu du grand public, cet homme d’à peine 40 ans est pourtant l’un des personnages-clés de la politique étrangère américaine de défense. Figure de la génération Obama, cet ancien conseiller spécial du président des Etats-Unis est, depuis près d’un an, secrétaire d’Etat adjoint pour les Affaires de sécurité. Au sein du gouvernement américain, il est la voix du Pentagone, de la défense des Etats-Unis, et sa voix porte. Chargé de la stratégie militaire globale des Etats-Unis, il supervise également les programmes de coopération sécuritaire et les aides financières liées au ministère de la Défense. Quelques heures après Silverman, Chollet a exprimé «l’inquiétude de la Maison-Blanche concernant les orientations politiques libanaises, ou non libanaises, qui pourraient compromettre le choix stratégique» d’empêcher un embrasement généralisé au Liban. Chollet a déclaré que Wasington souhaitait que «la plus large couverture politique soit accordée à l’armée afin qu’elle réussisse dans sa mission». C’est à ce moment que le ministre de l’Intérieur a entamé ses rencontres avec les responsables de la RNI (Rassemblement national des indépendants).
L’intervention de la diplomatie américaine est chose habituelle dans l’actualité du pays, mais la voix de Derek Chollet, proche parmi les proches de Barack Obama et porte-voix des intérêts du Pentagone, donne un autre aspect de la politique américaine dans la région. Le militaire s’est-il substitué au politique? La sagesse du Pentagone, qui voit d’un très mauvais œil la montée des tensions militaro-communautaires au Liban et l’élargissement potentiellement incontrôlable du front syrien, a-t-elle douché la fièvre des diplomates − et des pays du Golfe − voulant renverser l’une des forteresses de «l’Axe du Mal»? Les Etats-Unis craignent sans doute l’implantation de groupuscules terroristes proches du Front al-Nosra. Malgré la dénonciation officielle des agissements du Hezbollah, plusieurs échos font état de messages américains destinés à leurs interlocuteurs au sein de la représentation politique de l’opposition politique. Le mot d’ordre est clair, pas de riposte contre le parti de Dieu au Liban.
Un objectif global exprimé par l’ambassadeur de Grande-Bretagne Tom Fletcher: «Le Liban doit se tenir à l’écart des retombées de la crise syrienne», exhortant toutes les parties libanaises à maintenir la stabilité du Liban durant cette période critique. «Le Liban recevrait un soutien supplémentaire de la part de la communauté internationale». Une question au centre de la visite, ce lundi à Paris, du ministre saoudien des Affaires étrangères Saoud el-Fayçal, la situation du Liban, décrite par les deux parties comme inquiétante. Le message est clair.

Julien Abi Ramia 
 

Rencontre secrète à Barcelone
Des informations concordantes et relayées par plusieurs médias font état d’une 
rencontre secrète entre des représentants du président Bachar el-Assad et son homologue américain Barack Obama, en mai dernier, à Barcelone. Cette entrevue aura réuni le responsable des opérations de contre-
terrorisme au sein de la CIA José Rodriguez, l’ambassadeur des Etats-Unis en Espagne David Solomon, Derek Chollet et le mufti de Syrie Ahmad Badr Hassoun, proche du pouvoir à Damas. Il aurait été question de «convergences de vues» sur la menace 
terroriste islamiste et d’une liste de 
prisonniers interceptés par l’armée syrienne et recherchés par les autorités américaines.

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