Il est le fruit d’un mélange entre deux mondes, celui de l’industrie et celui de la politique. Déterminé et travailleur, il a réalisé un exploit dans son ministère, celui d’en éradiquer complètement la corruption qui y sévissait. Pour cet industriel, la politique était un rêve, toujours présent à l’arrière-plan de son esprit. Portrait du ministre du Tourisme, Fadi Abboud.
C’est dans une famille pratiquante mais loin de toute forme de confessionnalisme et à l’esprit très ouvert que Fadi Abboud a grandi. «Depuis les années 60, nous avons connu les mariages mixtes», raconte le ministre du Tourisme. Il fut fortement influencé par les enseignements du Christ. C’est en 1926 que son père quitte le Liban pour le Ghana où, à la fin des années 50, il se lance dans l’industrie. Sa mère, nièce d’Assad Achkar, appartient à une grande famille politique. Fadi Abboud a vécu l’idéologie d’Antoun Saadé. Il était tout à fait normal qu’il soit influencé par la doctrine nationaliste. Pourtant, il n’a jamais appartenu au Parti syrien national social (PSNS). «Mon père, décédé en 1992, était celui qui m’encourageait le plus à faire de la politique et ma mère ne m’en a jamais empêché. Tous les deux m’ont transmis l’intérêt pour la chose publique». Son père faisait partie de ceux qui croyaient qu’on pouvait procéder à des réformes dans ce pays. «Il lui arrivait souvent d’arrêter des gens qui jetaient des ordures sur la route et de leur faire la morale», raconte Fadi Abboud.
Il achève ses études scolaires à l’école de Choueifate en 1974. «Choueifate a eu beaucoup d’influence sur ma personnalité. Elle a planté en moi un esprit compétitif. Travailler dur faisait partie de l’ambiance de l’école». Quoiqu’il fût admis à l’université, Fadi Abboud décide de faire son service militaire en 1975. «Cette expérience m’a montré une face que je ne connaissais pas de la société libanaise et m’a enseigné le respect envers les soldats, dont nul ne peut ignorer les sacrifices».
Etudes à Londres
Avec le début de la guerre, craignant qu’il ne prenne part au conflit, sa mère l’encourage à quitter le Liban. Il part alors pour Londres et s’inscrit à l’Université de Westminster, où il étudie l’économie et le développement. Une fois diplômé, il s’installe au Ghana, mais suite aux coups d’Etat que connaît le pays, il vit entre le Nigeria et le Ghana de 1978 à 1982. C’est au cours de l’année 1982 qu’il décide de fonder l’usine d’ustensiles plastiques GPI, la deuxième après Gemco. Jusqu’en l’an 2000, il passe trois à quatre mois de l’année au Liban. En 1986, il se marie à Londres avec Sarah Liliana Saban, de nationalité argentine. Ils ont deux enfants, un garçon, Fadi Junior (né en 1986) et une fille, Joanna (née en 1988). «Jusqu’en 2002, je restais la moitié de l’année à Londres où vit toute la famille. On ne passait jamais plus d’un mois sans se voir», confie Fadi Abboud. Mais depuis qu’il est ministre, la situation est un peu différente. «Lorsque j’ai été nommé ministre en 2009, cette règle que nous avons fixée n’est plus tout à fait en vigueur. Je me sens coupable de ne pas passer beaucoup de temps auprès de ma famille», dit-il.
Grand industriel, Fadi Abboud est élu à la tête de l’Association des industriels libanais en 2002 et en 2006. Membre du conseil exécutif et président de la commission économique au sein de la Ligue maronite, il est également membre de la Chambre de commerce internationale et de la Chambre de commerce libano-américaine. «La politique était un rêve pour moi, quelque chose qui a toujours été présent à l’arrière-plan de mon esprit». Il se sent proche des idées du général Michel Aoun, surtout pour tout ce qui a trait à la réforme et au changement. «J’ai été voir le général Aoun et je lui ai dit que je pouvais donner quelque chose dans le domaine économique, car j’estime que la solution au Liban viendrait de l’économie».
«Le tourisme représente 22% du PIB et constitue le premier revenu du pays. Pour moi c’était un défi car je prenais en charge le plus important secteur de l’économie», confie le ministre. L’année 2010 fut un grand succès sur le plan touristique avec un record de 1 600 000 touristes. «Le tourisme est directement lié à la sécurité. Aujourd’hui, la situation est très délicate et la guerre en Syrie se répercute sur l’ambiance générale».
Eradiquer la corruption
Fadi Abboud estime qu’il vit une dualité, une espèce de lutte entre deux personnes au fond de lui-même. Il y a une part de lui qui se lève tous les matins et se demande pourquoi il est là et s’il peut vraiment réussir à changer les choses. «J’aime travailler sous pression et je donne beaucoup plus dans ces situations. Quand on essaie de faire quelque chose, on réalise que le temps n’a pas de valeur». Les frustrations sont nombreuses. «Je gère ce ministère avec 20% du personnel et beaucoup d’efficacité. Si je pouvais le gérer comme je voudrais, je pourrais renvoyer jusqu’à 80% des fonctionnaires». Il y a aussi cette autre part de lui qui se demande si le Liban est vraiment apte au changement et à la reforme. «Je vis ce dilemme. La plupart des Libanais se sont adaptés à cette situation et ne veulent pas de réformes dans le pays». Malgré cela, à son échelle et dans son ministère, Fadi Abboud a réussi à vaincre toute forme de corruption, alors que tout le monde prétend qu’il est impossible de le faire. «Je peux dire aujourd’hui que le ministère du Tourisme n’accepte plus des pots-de-vin. Pourtant, il m’est apparu que le secteur privé aime payer 100 dollars à un employé du ministère au lieu de se déplacer lui-même pour faire une simple formalité, et donner 500 dollars à un fonctionnaire pour qu’il attribue cinq étoiles à un hôtel qui n’en vaut pas trois». Selon Fadi Abboud, la bataille pour les réformes n’est pas aisée. «Notre société s’est habituée à cet état de fait. Elle n’est plus gênée par la corruption. Combien de Libanais aujourd’hui estiment que c’est une victoire que le ministère du Tourisme ait réussi à couper court à toutes les voies de corruption?», s’exclame Abboud.
Si certains pensent que sa nomination en tant que ministre est en quelque sorte un couronnement de carrière, pour Fadi Abboud, la véritable couronne dans sa vie, c’est celle d’avoir réussi à gérer un ministère sans corruption. Il reconnaît toutefois que beaucoup le critiquent d’avoir concentré son activité et son énergie sur les réformes au lieu de promouvoir le tourisme. «J’estime avoir créé une nouvelle dynamique au sein du ministère», dit-il. Pour cet industriel, la fonction de ministre est une expérience importante. «On a besoin de temps pour comprendre et appliquer le système. On ne peut pas faire quelque chose pour la simple raison qu’on a raison. C’est lorsque l’on comprend le système que l’on peut agir. J’ai bien appris le système et je l’utilise dans le cadre de mes convictions».
«Le plus grand choc de ma vie». C’est en ces termes que Fadi Abboud décrit l’incendie qui a ravagé l’usine GPI. «Ceci m’a rappelé ce que c’était que de redémarrer». Il n’a pas restauré l’usine qui a brûlé mais a construit carrément une nouvelle. «Aujourd’hui, on est revenu à 50% de la production». Le ministre estime que ses occupations politiques ont eu des retombées négatives sur son travail. «Je prends à cœur mes responsabilités. Je viens tous les jours au ministère et lorsque je suis en voyage, je passe deux heures au téléphone pour suivre les affaires». Il confie que l’attitude logique était de ne pas reprendre l’usine, mais ses sentiments ont été les plus forts. «J’ai recommencé avec des produits meilleurs sur le marché et je ne me suis passé des services d’aucun employé». Une histoire qui ressemble à celle de beaucoup de Libanais qui, tel le phœnix, renaissent toujours de leurs cendres.
Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR
Futur député?
Le ministre du Tourisme dit être tenté par la députation. Pourtant, Fadi Abboud est terrorisé à l’idée de devoir assister à tous les mariages et les enterrements et passer son temps à remplir des obligations sociales. «J’aimerais créer une action qui impose la transparence. Mon rêve serait que tous les comptes publics soient sur Internet». Il a créé le Bureau libanais de la Transparence et voudrait qu’à travers une nouvelle législation, l’accès à l’information devienne un véritable mode de vie, à la portée de tous les citoyens. «Je voudrais créer le parti de la transparence et fonder un réseau constitué de personnes qui estiment que l’outil de toute réforme est la transparence. Il faudrait sensibiliser les jeunes de tout bord à ce sujet».
Ce qu’il en pense
Social Networking: «J’ai une équipe qui gère mes comptes Facebook et Twitter et je fais le follow-up personnellement. Si le monde est devenu aujourd’hui un village, c’est en grande partie à cause du social Networking. C’est la raison pour laquelle il est difficile de cacher quoi que ce soit. C’est l’avenir. On devrait utiliser le social media pour faire des débats à propos des réformes et faire éclater au grand jour toutes les vérités. C’est de là que commence la pression pour faire des réformes et réaliser des changements».
Ses loisirs: «La natation, le ski et la chasse. Mais je ne chasse pas au Liban. Ici, la chasse se résume à une orgie de tuerie. On tire sur des petits oiseaux. C’est en Angleterre que je pratique la chasse».
Sa citation préférée: «Notre combat pour le ciel nous a fait perdre la terre. Une phrase dite en 1904 par Khalil Saadé».