Un rapport classé confidentiel, rédigé par les services du Département d’Etat, recense les agissements les plus suspects du personnel diplomatique américain à travers le monde. La mission à Beyrouth y est citée. Edifiant.
Au cœur de la machine des Affaires étrangères des Etats-Unis, un corps administratif de surveillance, le bureau de l’Inspection générale du Département d’Etat (OIG). Fin 2012, il rédige son mémorandum général annuel sur les services diplomatiques du pays. Ce mémo confidentiel, exhumé par la chaîne américaine de télévision CBS, pointe notamment le comportement présumé «déviant» d’ambassadeurs, de diplomates et d’agents de sécurité. Pire, la chaîne affirme que les enquêtes diligentées sur ces affaires ont été étouffées à la tête du Département d’Etat, dirigé alors par Hillary Clinton. Un scandale retentissant pour l’appareil diplomatique américain, fortement critiqué depuis l’attaque, le 11 septembre dernier, du consulat américain de Benghazi, en Libye (voir encadré). En ligne de mire, le corps d’élite du Service diplomatique de sécurité (DSS), chargé de protéger le secrétaire d’Etat, les 70 000 membres du personnel diplomatique à travers le monde et d’enquêter sur les affaires de «conduite inappropriée». Accusé d’incompétence au moment de l’affaire Benghazi, le voici éclaboussé par des affaires de sexe et de drogue. Dans son mémo, l’Inspection générale en met huit en exergue, dont une au Liban.
La CBS affirme que le document de l’Inspection générale mentionne le cas d’un agent de la DSS posté à Beyrouth «soupçonné d’agressions sexuelles» contre des Libanais engagés comme gardes. Les rapports officiels, disponibles en ligne sur le site du Département d’Etat, révèlent que l’OIG a inspecté l’ambassade américaine de Beyrouth en février 2011. Le rapport de quarante pages de cette inspection, publié le 29 février 2012, s’achève sur une liste d’une trentaine de recommandations d’ordre logistique, technique et sécuritaire. Certaines sont biffées à l’encre noire, illisibles. Elles sont classifiées, c’est-à-dire inaccessibles au grand public. Une annexe «sécurité» l’est également. Au début de l’année, l’OIG revient à l’ambassade pour un suivi. Dans le rapport attenant, publié en mai, rebelote: des recommandations et une annexe sécurité biffées. Mais une phrase met la puce à l’oreille: «L’officier de sécurité actuel est unanimement respecté». A la lumière des soupçons de la CBS, deux enseignements à tirer; un nouvel officier a été recruté dans le courant de l’année 2012 et il est «respectable». Pourquoi en faire état dans un rapport officiel, si ce n’est pour la comparaison?
Beyrouth est loin d’être la seule concernée. Autour de l’ambassade de Bagdad, «un réseau clandestin de trafic de drogue» a été mis à jour; des agents de la sûreté diplomatique protégeant Hillary Clinton sont accusés d’avoir «engagé des prostituées durant des voyages officiels à l’étranger», une pratique décrite par l’OIG comme «endémique». Par la voix de sa porte-parole Jen Psaki, le Département d’Etat explique que «tous les cas mentionnés par la CBS ont été étudiés ou sont en train de l’être». Certains accusés ont préféré prendre les devants comme le DSS qui a demandé à une équipe judiciaire indépendante d’enquêter sur «ces dysfonctionnements». Principal accusé, l’ambassadeur des Etats-Unis en Belgique, Howard Gutman, soupçonné d’être «client de prostituées dans un jardin public». La CBS affirme que des décideurs auraient demandé à des fonctionnaires du Département d’Etat d’enquêter en interne sur les agissements de l’ambassadeur.
En avril 2012, six membres du Secret Service, service chargé de veiller sur le président américain, avaient démissionné en raison de comportements répréhensibles à Carthagène lors du sommet des Amériques. En tout, onze agents du Secret Service, qui auraient ramené au moins 21 prostituées dans leurs chambres d’hôtel.
J. A.R.
Sécurité en question
L’attaque de Benghazi pourrait-elle avoir lieu au Liban? L’Inspection estime que l’ambassade américaine de Beyrouth est vulnérable sur le plan sécuritaire. «Les faiblesses structurelles des bâtiments, qui abritent bureaux et
résidences, placent les employés en situation de risque». Le rapport conclut ainsi: «Certains employés de l’ambassade estiment ne pas être assez entraînés pour répondre à une attaque ou une crise. Contrairement à certains officiels, en fonction à des postes exposés, le
personnel de l’ambassade ne suit pas les cours de contre-terrorisme proposés par le
Département d’Etat», qui n’a pas inscrit le Liban dans sa liste des zones à haut risque.