La tension politique et sociale qui régnait au Liban début 1974 s’est traduite sur le terrain par de multiples incidents. Mais c’est le milieu estudiantin qui a payé un prix fort pour ses agissements. L’Etat a sévi contre les étudiants qui essayaient de faire prévaloir leurs revendications.
Depuis 1970, les étudiants réclament, entre autres, l’enseignement primaire gratuit et la présence de plusieurs facultés au sein de l’Université libanaise créée en 1953, ainsi que l’arabisation des programmes. Plusieurs ministres de l’Education ont essayé de s’attaquer à ce dossier épineux, mais ont très vite jeté l’éponge. La gronde estudiantine était à son apogée et le gouvernement était incapable de la gérer convenablement. Le cabinet formé en octobre 1970 comptait Ghassan Tuéni au poste de ministre de l’Education. Quatre mois plus tard, il démissionne pour être remplacé par Nagib Abou Haïdar, qui a dû faire face à des étudiants déchaînés contre lui et contre sa politique de l’éducation. Etudiants et enseignants se sont ligués contre ses mesures. Edouard Honein lui succède en mai 1972, mais ne tarde pas lui aussi à démissionner trois mois plus tard. Il est remplacé par Henri Eddé, qui ne résistera pas plus que trois mois à son poste. Le portefeuille de l’Education est alors assuré par intérim par Albert Moukhaïber, avant qu’Edmond Rizk ne prenne la relève en avril 1973.
Les premiers mois, les choses vont doucement avec le nouveau ministre, mais bientôt le ton monte. Le gouvernement est simultanément confronté à plusieurs incidents. Les scandales sont nombreux et l’autorité de l’Etat souffre à plus d’un niveau de la présence palestinienne. La tension est palpable dans la rue et les forces de l’ordre ne savent plus où donner de la tête.
Ambiance tendue
Dans cette ambiance tendue, les milieux estudiantins sont les plus réceptifs. Ils ne tardent pas à présenter leurs revendications de nouveau. L’Union nationale des étudiants de l’Université libanaise les soumet au ministre Rizk et lui donne deux semaines pour les étudier et y répondre.
Le 7 mars 1974, n’ayant pas obtenu de réponse, l’union décide d’organiser une grande manifestation. Les étudiants se dirigent vers le Parlement où ils se heurtent aux forces de l’ordre qui les empêchent de s’approcher. Ils se dispersent alors dans le centre-ville et de violents affrontements à coups de matraques, de crosses de fusils et de grenades lacrymogènes se déroulent avec les Forces de sécurité intérieure (FSI). Bilan: 14 étudiants sont blessés et 50 arrêtés.
Après ces incidents, le gouvernement prend certaines mesures censées satisfaire les étudiants. Il promet de créer de nouvelles facultés à l’Université libanaise telles que le Génie et l’Agriculture, et d’étendre la sécurité sociale aux étudiants. Mais ces derniers ne sont plus satisfaits de ces demandes et exigent davantage. Ils sont cependant divisés: ceux de l’Université libanaise et l’Université Saint-Joseph décident de patienter, ceux de l’AUB et de l’Université arabe veulent manifester devant le ministère de l’Education.
Le 20 mars, les manifestants se heurtent devant l’Unesco à des barricades des FSI. Des heurts éclatent, suivis de coups de feu. Des étudiants essaient de prendre la fuite mais un chauffeur de taxi qui tente de les aider est abattu par un gendarme. La situation dégénère et les étudiants se déchaînent, les forces de l’ordre leur font face. Bilan: plusieurs dizaines d’étudiants blessés et 80 arrestations. Les violences s’étendent à d’autres régions: Tripoli, Saïda, Tyr, Nabatiyé. Les étudiants finissent par se retirer dans le campus de l’AUB et entament un sit-in.
Pendant un mois, l’AUB ferme ses portes et les cours sont suspendus. Les étudiants ne désarment pas. Pour le gouvernement, la solution militaire s’imposait. La nuit du 23 avril, des centaines d’éléments des forces de sécurité envahissent le campus de l’AUB et expulsent les étudiants. Elles procèdent à 61 arrestations et finissent par ramener l’ordre à l’université. La direction de l’AUB dissout le conseil des étudiants, décide la reprise des cours quelques jours plus tard et expulse 103 étudiants, considérés comme des agitateurs. Après le retour de l’ordre, les étudiants réclament le retour de leurs camarades exclus. Le mouvement de protestation prend fin.
Arlette Kassas
Divisions
Le mouvement estudiantin a été affaibli au début de la guerre par la division des étudiants entre gauche et droite et sur des bases
communautaires. Ainsi, les étudiants de l’USJ étaient à majorité chrétienne, ceux de
l’Université libanaise à majorité musulmane, alors que les étudiants de l’Université libanaise et de l’AUB étaient divisés presqu’à égalité.