Hassan Rohani aura déjoué tous les pronostics. En obtenant 50,68% des voix et donc une victoire dès le premier tour, le nouveau président iranien suscite de nombreux espoirs, tant de la part des
Iraniens eux-mêmes, que de
l’étranger. Etiqueté un peu rapidement comme «réformateur», ce religieux devra toutefois relever de multiples défis.
«Rohani! Rohani!». Les cris qui ont retenti au soir du 15 juin n’étaient pas du même tonneau que ceux, empreints de colère, qui avaient marqué la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, il y a quatre ans. Cette fois, les jeunes Iraniens qui sont descendus dans les rues de Téhéran affichent leur joie. «Leur» candidat, Hassan Rohani, vient de remporter l’élection présidentielle, suscitant une vague d’espoir dans la société iranienne, exaspérée et appauvrie par les sanctions occidentales. Une vraie revanche pour ceux qui avaient été violemment réprimés par le régime en 2009. Les scènes de liesse de samedi soir ne sont d’ailleurs pas sans rappeler l’élection, elle aussi surprise, de Mohammad Khatami en 1997.
L’unique candidat religieux de la présidentielle, Hassan Rohani, et accessoirement le dernier en lice à être étiqueté réformateur, après le retrait du seul candidat réformateur, Mohammad Reza Aref, aura réussi, tout de même, le tour de force d’écarter les cinq candidats conservateurs, qui n’ont pas su s’unir, préférant se disputer le pouvoir.
Avec sa barbe poivre et sel, fournie mais soigneusement taillée, un visage avenant surmonté d’un turban blanc, Hassan Rohani inspire d’ailleurs plutôt la sympathie. Et a su séduire une jeunesse qui n’avait que peu d’illusions quant au scrutin. Lors de sa campagne, il a pris soin de ratisser large. Conscient de la mauvaise image du président sortant, il n’a pas manqué de critiquer sa politique étrangère. Et s’est même permis d’évoquer, dans ses discours, les violations des droits de l’homme et l’importance de la liberté d’expression. Comme ce 5 juin où Rohani assurait: «Si nous voulons lutter contre la corruption, il faut la liberté de la presse et des médias, il faut que les gens aient les mains libres». Quelque peu audacieux dans le contexte iranien, il a également souligné que la police devait «intervenir en dernier ressort dans les questions culturelles». Avec ses discours, il a aussi su conquérir l’électorat féminin, leur assurant: «Nos femmes doivent être en sécurité dans la rue». Une déclaration qui avait suscité l’enthousiasme, dans un pays où la police des mœurs veille au grain.
Soulagement occidental
Au fil de sa campagne, Hassan Rohani a mis en avant son savoir-faire de négociateur. Un talent qu’il a dit vouloir mettre en œuvre avec l’étranger, qu’il s’agisse de l’épineux dossier du nucléaire, et par effet boule de neige, de l’allègement des sanctions.
La bouffée d’espoir exprimée par des milliers d’Iraniens et d’Iraniennes dans la rue a semblé trouver un écho du côté de la communauté internationale. Les Occidentaux ont salué à une quasi-unanimité, l’élection de Rohani, alors qu’il y a quelques semaines, ils prédisaient une abstention record et surtout un scrutin couru d’avance, et «verrouillé» par le Guide, Ali Khamenei. Finalement, le résultat des urnes leur aura donné tort, puisque le taux de participation à l’élection du 15 juin aura atteint les 72,3%. Soulagés sans doute d’être enfin débarrassés de Mahmoud Ahmadinejad et de ses provocations outrancières, les leaders des grandes puissances occidentales ont donc accueilli favorablement l’élection de Rohani. Depuis Washington, le secrétaire général de la Maison-Blanche a déclaré que cette élection était «un signe potentiellement porteur d’espoir» et que les Etats-Unis «restaient prêts à collaborer directement» avec Téhéran. Côté russe, Vladimir Poutine a félicité le nouveau président, indiquant qu’il était «confiant que (Rohani) œuvrerait à la prospérité de l’Iran, ami de la Russie, et au resserrement des liens» entre Moscou et Téhéran. Le Royaume-Uni a appelé le religieux à «mettre l’Iran sur un nouveau chemin». Quant à la France, elle a souligné que «les attentes de la communauté internationale à l’égard de l’Iran sont fortes, notamment sur son programme nucléaire et son engagement en Syrie».
Même les pays arabes du Golfe, dont les relations avec l’Iran sont tendues, ont adressé leurs félicitations. Rohani a d’ailleurs annoncé vouloir renouer avec l’Arabie saoudite.
Sans surprise, Israël a joué les trouble-fêtes dans ces réactions quasi unanimes, appelant les grandes puissances à maintenir la pression sur l’Iran. «La communauté internationale ne devrait pas se bercer d’illusions et être tentée d’alléger la pression exercée sur l’Iran pour qu’il cesse son programme nucléaire», a affirmé dimanche Benyamin Netanyahu. «L’Iran sera jugé sur ses actions. Si l’Iran persiste à continuer de développer son programme nucléaire, la réponse doit être claire: faire cesser son programme nucléaire par tous les moyens nécessaires», a-t-il martelé. De fait, un président à la ligne, en apparence plus souple que celle d’Ahmadinejad, n’arrange définitivement pas les affaires d’Israël, déterminé à en découdre avec l’ennemi perse. Seul Shimon Peres, le président de l’Etat hébreu, a salué cette élection, estimant que Rohani «serait mieux» que son prédécesseur.
Un homme du régime
Une fois passée l’euphorie de son élection, il convient de s’interroger sur la personnalité de Hassan Rohani et sur les nombreux défis qui l’attendent. Qui est vraiment ce religieux annoncé comme modéré et récupéré par le camp réformateur?
A 64 ans, le nouveau président iranien, inconnu jusqu’il y a peu du grand public, est un homme de la Révolution de 1979. De lui, on sait qu’il est envoyé, dès l’âge de 13 ans, à Qom, où il entame des études religieuses à l’école coranique. Opposant de la première heure du Shah, il participe dès le milieu des années 60 au mouvement d’opposition contre le souverain, ce qui lui vaudra plusieurs séjours en prison. En 1976, il part étudier le droit à l’université calédonienne de Glasgow. Dès 1977, il se rallie à Khomeiny, le gratifiant du titre d’«imam», avant de quitter le pays pour rejoindre la France, qui accueille alors avec une relative bienveillance les opposants au shah d’Iran. Rohani aura donc fait ses classes auprès du fondateur de la République islamique. Khomeiny, d’ailleurs, ne s’y trompe pas et le garde dans son cercle. Rohani accumule les postes prestigieux, passant de l’Assemblée des experts, au Conseil des Gardiens, et dirigera ensuite le Conseil national de sécurité entre 1989 et 2005. Jusqu’à son élection, il siégeait aussi au Conseil de discernement iranien.
Le mollah participera également de près à la guerre Iran-Irak (1980-88) pendant laquelle il commande la défense aérienne. La jeunesse iranienne, qui a célébré sa victoire, a sans doute oublié que Hassan Rohani s’était montré particulièrement intransigeant lors de la révolte des étudiants en 2000, un mouvement qui avait été durement réprimé.
Mais c’est son poste de négociateur du dossier nucléaire, de 2003 à 2005, auprès de la Troïka européenne, sous le mandat de Mohammad Khatami, qui le fera connaître au niveau international. A force de diplomatie, c’est lui qui parviendra à freiner les sanctions occidentales, en échange de la suspension du programme d’enrichissement d’uranium. Ceux qui l’ont côtoyé à cette époque, conservent de lui une image plutôt positive. Comme en témoigne cette déclaration à l’agence Reuters du Britannique Jack Straw, ancien secrétaire au Foreign Office. «Sur le plan personnel, je le trouve chaleureux et sympathique. C’est un patriote iranien convaincu qui faisait peu de concessions mais jouait franc-jeu et qui maîtrisait ses dossiers», dit-il de lui.
Faut-il pour autant en conclure qu’un vent de changement va souffler sur l’Iran?
Guido-compatible
Pas si sûr, car le président iranien n’en reste pas moins que le numéro 2 de l’Etat, qui reste sous la mainmise du Guide, Ali Khamenei. Toutefois, à la différence de Mohammad Khatami, Hassan Rohani jouit d’un avantage certain avec le Guide. Les deux religieux se connaissent depuis plus de trente ans et entretiennent de bonnes relations. Ce qui n’était pas le cas des candidats réformateurs de 2009, Hussein Moussavi, Mehdi Karroubi ou encore de l’ancien président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, dont Rohani est proche. «L’avantage de Rohani est qu’il serait «guido-compatible» avec Khamenei, contrairement à d’autres dirigeants réformateurs, comme Rafsandjani et Moussavi notamment. «Rohani saura gérer le Guide», a confié l’ancien ambassadeur de France en Iran, François Nicoullaud, à Georges Malbrunot, du Figaro.
Fraîchement élu, Hassan Rohani entrera en fonction le 3 août prochain. Avec de nombreux défis à relever. Les deux premiers, qui sont étroitement liés, feront figure de test. Car Rohani va devoir mettre en œuvre ses discours. Durant la campagne électorale, il avait déclaré à maintes reprises n’être «pas hostile à des contacts directs avec les Etats-Unis». «La relation Iran-Etats-Unis est une question complexe et difficile. Une histoire amère, pleine de méfiance et d’animosité, sous-tend cette relation. C’est devenu une plaie chronique dont la guérison est difficile mais possible, à condition que règnent la bonne foi et le respect mutuel. En tant que modéré, j’ai un plan par étapes pour désamorcer l’hostilité et ramener les choses à un état de tension gérable, et ensuite m’engager dans la promotion de l’interaction et du dialogue entre les deux peuples pour obtenir une détente, et enfin atteindre ce point de respect mutuel que les deux peuples méritent», avait-il annoncé.
Il a aussi promis, à plusieurs occasions, une rupture avec la politique étrangère de son prédécesseur. «Je n’approuve pas la politique étrangère actuelle du pays. Nous cherchons à avoir une bonne entente (avec les pays étrangers) pour réduire pas à pas les sanctions et les supprimer totalement». Autrement dit, plus de souplesse avec ses interlocuteurs. Pour autant, il ne faut pas s’y tromper. Rohani, qui appartient davantage à l’aile modérée des conservateurs que véritablement au camp réformateur, ne va pas non plus dérouler le tapis rouge aux Occidentaux sur le nucléaire. Il l’a d’ailleurs rappelé, lundi, lors de sa première conférence de presse. «Nos programmes nucléaires sont totalement transparents, mais nous sommes prêts à faire preuve d’une plus grande transparence encore et à démontrer au monde entier que les mesures prises par la République islamique d’Iran s’inscrivent totalement dans le cadre international», a-t-il déclaré. Pas question donc, pour Téhéran, de lâcher quoi que ce soit sur le nucléaire. Rohani l’a d’ailleurs martelé: «L’époque des demandes occidentales pour un arrêt de l’enrichissement d’uranium, «est révolue». «Sur la scène internationale, avec l’occasion créée par cette grande épopée populaire, que ceux qui vantent la démocratie, l’entente, le dialogue libre, parlent avec respect au peuple iranien et reconnaissent les droits de la République islamique, pour entendre une réponse appropriée».
Sous l’ère Rohani, la porte devrait donc être entr’ouverte à défaut d’être complètement fermée. Si et seulement le Guide l’accepte. Ali Khamenei a prévenu, avant l’élection, le 4 juin, qu’il rejetterait «toute concession aux ennemis de Téhéran», demandant aux candidats de promettre de «ne pas faire passer les intérêts de l’ennemi avant l’intérêt national». Rohani en a visiblement pris note.
D’ores et déjà, le nouveau président prend soin de ne pas heurter l’aile dure du pouvoir. Dès l’annonce de sa victoire, il a rendu visite à Ali Larijani, le président ultraconservateur du Parlement iranien, pour discuter avec lui de la composition de son futur gouvernement (voir encadré), qui devra être approuvé par les députés. Il devra aussi composer avec les Gardiens de la Révolution − sous les ordres directs du Guide − qui se sont dit «prêts à coopérer totalement avec le prochain gouvernement dans le cadre de (ses) missions prévues par la loi».
De la capacité de Rohani à trouver un terrain d’entente avec les Occidentaux sur le dossier du nucléaire, dépendra un autre défi, de taille également. Celui de relever une économie iranienne exsangue, littéralement étouffée par les sanctions. L’inflation est galopante depuis plusieurs années, au-delà des 40%, tout comme le chômage, qui gangrène les jeunes, ainsi que la corruption, résultats d’une gestion désastreuse du pays sous Ahmadinejad. Les attentes de la population à ce niveau sont nombreuses et un assouplissement des sanctions internationales sera le bienvenu. Hassan Rohani devra aussi s’atteler à reformer un semblant de cohésion sociale dans le pays. Parviendra-t-il, pour cela, à agir sur le dossier épineux des prisonniers politiques, comme promis durant sa campagne? Osera-t-il affronter le Guide quant au sort des candidats réformateurs de 2009, Moussavi et Karroubi, toujours assignés à résidence? Rien n’est moins sûr.
On l’aura compris, la présidence de Rohani s’annonce semée d’obstacles. «Les problèmes du pays ne seront pas résolus en une nuit, et il faut que cela se produise par étapes et en consultant les experts (religieux)», a-t-il dit à l’agence Irna. Rafsandjani, qui lui avait apporté son soutien, lui a fait écho, tout en métaphores. «La pluie, quand elle tombe avec exagération, crée des torrents, mais si elle tombe avec modération, elle change à la fois la perspective et la réalité de la nature».
En laissant parler les urnes sans intervenir, Ali Khamenei, que l’on a dit «désavoué» avec l’élection de Rohani, aura peut-être, très bien joué sa partie. Il aura réussi, d’une part, à mobiliser les électeurs, malgré les prédictions. L’arrivée de Rohani redore le blason de la théocratie, tout en apaisant les foules et en insufflant un peu d’espoir dans les rangs d’une jeunesse excédée par les sanctions et le manque de libertés. Il n’en reste pas moins que le nouveau président est un homme du régime, pragmatique mais pas réformateur. Il ne remettra pas les fondements du régime en cause.
Jenny Saleh
Qui sont les hommes du président?
D’ici au 3 août, Hassan Rohani devra former un gouvernement qui satisfasse le Parlement conservateur, tout comme le Guide. La
journaliste Trita Parsi, dans The Globe and Mail, estime que «Rohani et son entourage ont une vision du monde différente de celle
d’Ahmadinejad et du Guide suprême. Bien qu’encore soupçonneuse et méfiante à l’égard de l’Occident, et décidée à obtenir gain de cause sur la question nucléaire, l’élite associée à Rohani ne voit pas le monde de manière
manichéenne. Plutôt que d’insister sur
l’idéologie et sur la résistance, cette élite se targue d’être pragmatique et intéressée d’abord par les résultats».
Selon Mohammad Baqer Nobakht, son
conseiller économique pendant la campagne et qui devrait entrer au gouvernement, «Hassan Rohani va intégrer dans son cabinet des
réformateurs, des conservateurs modérés, des centristes ou des personnes apolitiques», comme par exemple Mohammad Reza Aref, qui s’était désisté pour lui laisser la place. Aux Affaires étrangères, un des noms évoqués est celui de Mohammad Javad Zarif, un diplomate modéré qui appartenait à l’équipe des
négociateurs nucléaires dirigée par Rohani, pendant le mandat de Mohammad Khatami.
Le dossier syrien
Peu présent pendant la campagne, le dossier syrien n’a pourtant pas été oublié par Rohani lors de sa première conférence de presse.
«La crise syrienne doit être réglée par le peuple syrien. Nous sommes contre le
terrorisme, la guerre civile et les interventions étrangères. J’espère qu’avec l’aide de tous les pays de la région et du monde, la paix et le calme reviendront en Syrie. Le gouvernement actuel doit être respecté par les autres pays jusqu’aux prochaines élections
(présidentielles de 2014, ndlr) et ensuite c’est le peuple qui décidera», a-t-il déclaré. Aucun mot en revanche sur le Hezbollah qui l’a félicité pour son élection, parlant d’«espoir de la nation iranienne». Au G8, le président français,
François Hollande qui s’opposait jusqu’à
présent à la présence de l’Iran à la conférence de Genève 2, a dit que «Rohani serait le
bienvenu», s’il «peut être utile».
Les résultats
Au total, quelque 36,7 millions d’électeurs Les résultats se sont déplacés pour voter, sur un total de 50,5 millions, soit un taux de
participation de 72,7%, contre 85% en 2009. Hassan Rohani obtient 50,68% des suffrages, suivi de loin par le maire de Téhéran, Mohammad Baqer Qalibaf, qui engrange 16,55%. Le conservateur Saïd Jalili, arrive
troisième seulement, avec 11,3%, suivi par le conservateur Mohsen Rezaï, ancien chef des Gardiens de la Révolution, (10,5%). Ali Akbar Velayati, ancien ministre des Affaires étrangères, a obtenu seulement 7,3%, alors que l’ancien ministre Mohammad Gharazi, un modéré, a recueilli 1,2%.