Les combats entre les partisans de cheikh Ahmad el-Assir et l’Armée libanaise ont pris fin avec la mystérieuse disparition du dignitaire religieux sans mettre fin, pour autant, à la polarisation entre communautés ou membres d’une même confession, séparés par des points de vue
diamétralement opposés. Magazine a interrogé les principaux acteurs de la ville pour dégager une lecture politique des incidents survenus le week-end passé à Abra, ayant entraîné le décès de dix-sept militaires et de quarante combattants de diverses nationalités.
Bahia Hariri
Soulagement
La députée de Saïda, Bahia Hariri, met en exergue l’inquiétude éprouvée par les habitants de Saïda face à la dure réalité qu’ils auraient vécue et leur soulagement lors de la saisie du complexe de cheikh Ahmad el-Assir par l’armée. «Mais comment Assir a-t-il pu s’échapper?», s’est demandé la députée, ajoutant qu’il était du ressort des forces sécuritaires et militaires de répondre à cette question. Elle a également exprimé son soutien total à l’Armée libanaise.
Oussama Saad
Complot déjoué
L’ancien député de Saïda et chef de l’Organisation populaire nassérienne (OPN), Oussama Saad, compare le cheikh Ahmad el-Assir à une anomalie ayant provoqué des dommages importants à Saïda et quasiment mené à une explosion de la situation dans le chef-lieu du Sud et dans tout le Liban. «L’Armée libanaise a réussi à déjouer le complot préparé par des groupes armés tout en payant un lourd tribut. Ce qui s’est passé est une atteinte flagrante à l’institution militaire obligeant cette dernière à réagir. La ville de Saïda a également subi des pertes matérielles considérables dans les domaines de l’infrastructure, des habitations et des voitures. Bien que l’armée ait fait son devoir, les autres institutions de l’Etat sont restées absentes, ni ministre ou fonctionnaire n’étant venu se rendre compte des dommages. Nous appelons les institutions de l’Etat à œuvrer rapidement afin de réparer les dégâts et de dédommager les citoyens ayant subi préjudice. C’est le gouvernement libanais qui a permis l’instauration de zones militaires (comme celle du cheikh Assir). On ne peut permettre qu’un lieu de culte soit utilisé comme QG militaire». Pour ce qui est des positions militaires du Hezbollah, Saad estime que la Résistance islamique a libéré le Liban de l’occupation israélienne et pavé la voie à la création de l’Etat et des institutions. «Nous devons protéger le choix de la Résistance parce que le territoire est toujours occupé et en raison de la multiplication des menaces quotidiennes de la part de l’ennemi».
Pour ce qui est de la possible implication du Hezbollah dans les combats auprès de l’Armée libanaise, il estime que seule cette dernière a combattu les milices de cheikh Assir. «L’Etat doit se montrer responsable sinon d’autres phénomènes semblables vont se répéter et s’étendre et nous devrons en payer le prix».
Maher Hammoud
Ecraser les takfiristes
Selon le cheikh Maher Hammoud, imam de la mosquée al-Qods et partisan de la Résistance, «il est clair que si Assir ne s’était pas attaqué à l’armée sans la moindre raison, l’institution militaire n’aurait pas pu entreprendre une opération d’une telle envergure mais tout à fait nécessaire. En effet, l’armée craint la réaction populaire dans ce genre d’opérations en raison des lectures divergentes des incidents politiques définis par les convictions politiques des uns et des autres, prenant de plus en plus un caractère confessionnel», souligne le cheikh. Il estime que toute mouvance takfiriste doit être écrasée et que les terroristes tels qu’Assir doivent être punis. Le cheikh Hammoud rappelle que le 18 juin, il avait mis en garde contre la volonté de cheikh Assir de déstabiliser le chef-lieu du Sud. «Je ne pensais pas que cela aurait lieu aussi rapidement. Il existe un complot pour promouvoir le discours confessionnel. Assir s’est montré sous son vrai jour: menteur et ignorant tout en étant protégé par des politiques de la ville et des islamistes», accuse le dignitaire religieux. Il estime que l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie n’a pas eu d’impact sur la ville de Saïda, étant donné que les incidents en Syrie sont le résultat d’un complot américano-sioniste auquel sont associées certaines factions de la ville. «Le camp de Aïn el-Heloué a été relativement épargné car seuls deux groupes et plusieurs groupuscules ont combattu l’armée à Taamir», explique-t-il. Le cheikh Hammoud révèle qu’il a participé aux négociations ayant abouti à un cessez-le-feu rapide et ajoute qu’il ne dispose pas d’informations au sujet de l’endroit où se trouve le cheikh Assir.
Bassam Hammoud
Deux poids deux mesures
Pour Bassam Hammoud, responsable de la Jamaa islamiya à Saïda, ce qui s’est passé «est un véritable drame et au sein de la Jamaa islamiya, nous rejetons tout combat ou attaque visant l’Armée libanaise. Malheureusement, bien que la majorité des habitants de Saïda soient contre le cheikh Ahmad el-Assir, il existe un ressentiment vis-à-vis de la politique de deux poids deux mesures appliqué à Saïda (selon laquelle une faction serait punie et pas l’autre). L’armée est une ligne rouge qui doit être respectée, elle doit étendre son autorité sur toute la région et mettre fin à toute présence armée y compris celle des Saraya Mouqawama (Brigades de la Résistance alliées au Hezbollah). Celles-ci ont participé aux combats dans les différentes régions de Saïda et plus particulièrement dans le secteur de Taamir (avoisinant le camp palestinien de Aïn el-Heloué, ayant opposé des extrémistes palestiniens à l’Armée libanaise). Le sentiment de marginalisation qu’éprouvent les sunnites de Saïda, et plus généralement ceux du Liban, et le sentiment d’injustice que ressent la communauté vont certainement contribuer à l’émergence de nouvelles figures politiques semblables à celle de cheikh Assir. Seule une solution politique peut mettre fin aux comportements déviationnistes et préserver la dignité des habitants de Saïda. Il faut également mettre fin aux nombreuses exactions des Brigades de la Résistance».
Mahmoud Issa
Neutralité palestinienne
Le général Mahmoud Issa, surnommé al-Lino, est le commandant du Fateh au Liban. Il a déclaré: «Nous sommes fermement opposés à toute attaque visant l’Armée libanaise et j’ai déclaré maintes fois que l’institution militaire est une ligne à ne pas franchir. Les factions palestiniennes ne peuvent en aucun cas participer à un conflit civil entre les diverses parties libanaises ou dans une éventuelle guerre confessionnelle. Nous avons pris des mesures strictes pour éviter toute nouvelle attaque contre l’Armée libanaise et nous entretenons des relations privilégiées avec cette dernière. Nous avons également obtenu la couverture des divers groupes islamiques qui sont d’accord pour éviter au camp de nouveaux bouleversements. Nous avons le feu vert pour réprimer toute faction tentant de nous entraîner dans la guerre. Nous empêcherons les divers partis libanais de manipuler les groupes palestiniens afin de servir leurs intérêts.
Propos recueillis par Mona Alami
Engagement des Palestiniens
Selon une source palestinienne, 150
Palestiniens auraient combattu à Taamir alors que 40 autres auraient rejoint les partisans de cheikh Ahmad el-Assir lors du dernier round contre l’armée. Abou Abed Chmandar, le frère du chanteur Fadel Chaker, ainsi que les frères Chaabi et Oussama Chéhabi auraient dirigé les opérations militaires contre l’armée à
l’intérieur et en dehors du camp. Mounir Maqdah, un commandant du Fateh, aurait, quant à lui, facilité le transfert d’armes et de combattants vers Taamir.