Magazine Le Mensuel

Nº 2903 du vendredi 28 juin 2013

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«Morsi, va-t-en». Au Caire, un air de révolution

Au Caire, le peuple se prépare à une nouvelle «révolution» contre le régime. Le 30 juin, des millions d’Egyptiens marcheront sur le palais présidentiel pour destituer Mohammad Morsi, un an jour pour jour après son investiture, à l’appel du mouvement Rébellion, Tamarrod.

Sur le tarmac de l’aéroport du Caire, le 15 juin dernier, une multitude de questions restent sans réponse. Quelle est l’atmosphère de la ville plus de deux ans après la chute de Moubarak et où en est la révolution un an après l’accession au pouvoir des Frères musulmans?
Les réponses ne tardent pas à se succéder. Sur le chemin de la ville, un rassemblement près du stade municipal retient l’attention. «Le président Morsi est en train d’y prononcer un discours dans le cadre de la conférence pour le soutien au peuple syrien», explique Mahmoud, le chauffeur de taxi. Que pense-t-il du président égyptien? «Je suis contre Morsi, s’exclame-t-il. Bien sûr, je descendrai le 30 juin prochain, nous allons le renverser». Au centre-ville, sur la place Tahrir et dans les environs, les murs transpirent la parole du peuple. Hier encore vierges de toutes inscriptions, aujourd’hui vecteurs du mécontentement des Egyptiens. Incontournables, les affiches à l’effigie du président, barrées d’une croix rouge, signées «Tamarrod», la Rébellion. Rouge sur bleu, on peut y lire: «A bas le règne des Ikhwan, rendez-vous devant l’Itihadiya», le palais présidentiel, le 30 juin.
Sur les murs de la rue Mohammad Mahmoud, des dizaines de dessins représentent les visages des martyrs de la révolution, pour ne jamais oublier. Depuis l’investiture de Mohammad Morsi, le 30 juin 2012, d’autres inscriptions virulentes y sont apparues contre le président égyptien. Face à l’Université américaine, Maged Atef, journaliste, est également propriétaire d’une librairie-café. «Depuis quelque temps en Egypte, on voit tomber les tabous concernant l’islam, explique-t-il. Dernièrement sur la place Tahrir, face à un homme brandissant le Coran, un passant a levé sa chaussure. Impossible à imaginer avant. Les gens sont en train de comprendre que l’islam n’est pas la solution, assure-t-il. Dans les prochains jours, plus d’une dizaine de zones de pressions vont se créer à travers le pays grâce au mouvement Tamarrod, constitué de gens inconnus et ordinaires. Cette fois, nous ne laisserons personne nous voler notre révolution. L’échec des Frères musulmans, de l’islam en Egypte, prouvera que leur confrérie ne marchera pas ailleurs. Le 30 juin, nous allons écrire l’Histoire».
A quelques pas de là, derrière le Lycée français, à l’instar des rues avoisinantes, de gros blocs de ciment empêchent les passants de se déplacer librement. Dans ce secteur, cœur de la révolution de janvier 2011, on retrouve le ministère de l’Intérieur et, entre autres, l’ambassade des Etats-Unis. Système D oblige, les Cairotes s’improvisent des solutions de secours, entre escalade, percements de murs d’enceinte ou encore passage à travers des échoppes qui font le coin des rues. Pourquoi de tels obstacles existent encore? Un jeune homme s’apprêtant à faire le mur nous lance: «C’est pour la prochaine révolution».
Derrière le Musée national, un immense bâtiment est totalement brûlé et ravagé. «C’étaient les bureaux du parti de Moubarak, le Hezb el-Watani, explique un serveur du restaurant panoramique de la tour du Caire, offrant une vue saisissante de la ville. J’y ai participé, avoue-t-il. Mais la révolution n’est pas finie. Morsi doit partir. Ce n’est pas le président que nous voulions. Il ne sert que sa famille et son parti. Le chômage a augmenté, il n’y a pas de tourisme, tout va vers le bas. C’est sûr, le 30, je serai dans la rue». Devant le bâtiment, aux portes cadenassées, des carcasses de voitures gisent carbonisées depuis plus de deux ans. Interdiction totale d’y mettre les pieds,
«par respect pour les morts et parce que des voleurs y rôdent», indique un policier en civil. Paradoxalement, c’est dans le bâtiment accolé, le Musée national, que les seuls touristes du Caire se concentrent. Car au Khan el-Khalili, le souk emblématique de la ville, les shorts et débardeurs des vacanciers se comptent sur les doigts d’une main. Dans son magasin de luminaires, Hassan note une baisse de 75% des ventes. «Depuis que Morsi est arrivé, il n’a rien fait pour améliorer les choses. C’est à travers le tourisme que nous gagnons notre vie. Vous ne pouvez pas faire pousser des barbes, note-t-il. Comme Moubarak est parti, Morsi partira». Sur la place principale du Khan, devant la mosquée Hussein, face à al-Azhar, de nombreux restaurants ont du mal à se remplir malgré l’insistance de leurs rabatteurs. Mais quand l’un d’entre eux s’exclame: «Voici les Frères musulmans, Morsi et sa famille!», l’étonnement est à son comble quand nous remarquons une dizaine de moutons traverser la place. Et la moquerie ne s’arrête pas là. Dans les allées du souk, où certains artisans ont décidé d’afficher ouvertement leur opinion, en placardant les tracts de Tamarrod, l’acharnement habituel des commerçants à attirer les touristes se transforme en raillerie contre le régime: «Deux livres égyptiennes, deux livres égyptiennes seulement au temps de Morsi».
Le soir même, à 21h30, la Rébellion a organisé une petite manifestation dans le métro. A la station al-Shohadaa (les martyrs), située au pied de la gare de train Ramsès, une vingtaine de personnes brandissent des pancartes, encourageant les passagers à se joindre à eux le 30 juin prochain, «le soir où la révolution va éclater en Egypte»: «Descends, révolte-toi, n’aie pas peur. Descends et dis à Morsi de partir. Ils veulent voler notre révolution». Ce dimanche 16 juin, leurs slogans résonnent dans les couloirs du métro. Au-delà du légendaire «le peuple veut la chute du régime», le message des activistes, adressé à Morsi, est on ne peut plus clair: «Va-t-en, tu es pire que Moubarak. Tu as promis, tu n’as rien fait, tu as gouverné, tu as divisé. Tu as mis des gens en prison, tu as tué, il faut qu’on te renverse»; ou encore «Morsi, il veut quoi? Que le peuple embrasse ses pieds? Non Morsi, nous n’allons pas t’embrasser les pieds, nous allons t’écraser avec les nôtres».

Les Coptes n’en peuvent plus
Le lendemain, dans le vieux Caire, abritant quelques-unes des églises Coptes de la ville, le discours ne varie pas. Dans une petite ruelle, Talaat, la soixantaine, vêtu d’une djellaba, glisse quelques mots sur la situation du pays. «Nous ne voulons pas de Morsi. Les Ikhwan n’ont pas de conscience. Ils changent d’avis en un instant. Ça ne va pas du tout, souligne-t-il. J’étais favorable à la chute de Moubarak et le 30 je serai présent, d’ailleurs nous sommes déjà en train de descendre dans les rues». Des chrétiens d’Egypte, certains ont déjà fait leurs valises après l’investiture de Morsi, à l’instar des enfants de Yolande, qui se sont installés aux Etats-Unis. Pour elle, il n’y a pas de doute: «Tout le monde doit descendre dans la rue le 30, même les plus vieux doivent faire un sit-in en bas de chez eux», affirme-t-elle. «On se pose des questions sur notre existence en tant que chrétiens en Egypte, avoue Maryam, Copte-catholique, visiblement à bout. Nous sommes très contents de la chute de Moubarak, mais nous n’avions jamais pensé qu’elle pourrait nous nuire, poursuit-elle. J’avais envie de pleurer à l’investiture de Morsi. Les Egyptiens n’ont pas eu le choix, c’était soit Ahmad Chafik, représentant de l’ancien régime ou les Frères musulmans, explique-t-elle. En décembre, alors que Morsi s’octroyait des prérogatives allant à l’encontre de la Constitution, un sit-in pacifique devant le palais présidentiel a été réprimé dans le sang. Les Frères musulmans se trouvaient dans les rues, bâtons à la main et il y a eu des morts. Mais il fallait qu’ils arrivent au pouvoir pour que le peuple se rende compte qu’ils n’étaient pas la solution».
Les témoignages de mécontentement se multiplient au fil des jours. Le 19 juin, une poignée de femmes manifestent devant l’ambassade des Emirats arabes unis pour réagir aux propos belliqueux de Issam el-Aryan, un des leaders du mouvement islamiste, envers les ressortissants émiratis en Egypte. «Je n’ai pas peur de manifester, réagit l’une d’entre elles, Dieu est avec nous. Nous allons descendre le 30 mais également le 21, le jour où les Frères descendront dans les rues». Tout le peuple égyptien semble vibrer à l’unisson et ce n’est pas Sameh, chauffeur de taxi qui démentira: «Nous ne voulons plus de Morsi. Le 30 juin, nous serons des millions. Il veut faire revenir l’islam en Egypte, mais il est déjà là. On va l’accrocher par les pieds pour en faire un porte-clé». Une interrogation persiste: où sont passés les partisans des Frères musulmans? «Ils se cachent, répond Mohammad, employé dans une instance diplomatique occidentale.
Ils n’ont plus de légitimité. A cause de ma profession, je n’ai pas pu descendre lors de la révolution mais cette fois ci, quoi qu’il arrive, je descendrai. Et si les Frères musulmans répliquent, ils vont le payer très cher. Si des affrontements éclatent, j’y participerai, affirme-t-il. Le 30, ce sera un coup d’Etat populaire. Nous allons nous rassembler devant le palais présidentiel et annoncer la destitution de Morsi».
Au centre-ville, sur la rue Talaat Harb, Ahmad, un jeune de Tamarrod, fait signer des pétitions pour la destitution de Morsi. Mutilé par un coup de cutter au visage, il porte la trace de la violence de ses opposants. Ce 20 juin, la Rébellion dit avoir rassemblé plus de 16 millions de signatures. En quelques secondes, les volontaires s’additionnent, sortent leurs cartes d’identité et remplissent le formulaire bleu. Il s’agit d’inscrire son nom, son numéro de carte d’identité et son gouvernorat pour certifier vouloir «retirer la légitimité de Morsi et appeler à des élections présidentielles anticipées».

 

Les Ikhwan se mobilisent
Et si d’après Hosni, le seul chauffeur de taxi durant notre séjour, à s’être déclaré prêt à mourir pour Morsi, Le Caire ne représente pas l’Egypte, c’est bien dans la capitale, plus précisément à Nasr City, que des centaines de milliers de partisans des Ikhwan (2 millions d’après les organisateurs) ont manifesté après la prière du vendredi 21 juin, regroupés sous le nom de Tajarrod (Abstraction). En arrivant sur place, un homme nous interpelle devant la mosquée Rabia el-Adawiya: «Vous êtes parmi nous et vous êtes en sécurité, lance-t-il. Les Occidentaux ont peur de nous, parce qu’ils ont peur de l’islam». Et étonnamment malgré les mises en garde, l’atmosphère envers les journalistes est plutôt bon enfant bien que quelques pancartes nous soient réservées: «Le peuple veut la purification des médias». Et les slogans de soutien au régime ne sont pas en reste: «La mort au nom de Dieu», «Ecoute et tais-toi», «Islamique, l’Egypte est islamique, ni orientale, ni occidentale, que les laïcs le veuillent ou non», ou encore «Révolutionnaires libres,
nous allons continuer notre chemin. Celui qui t’a élu te sauvegardera. Nous sommes tous avec toi». Assis près de la mosquée, un homme tient à donner son avis: «Nous sommes là pour l’intérêt du pays et du peuple. Et l’intérêt du peuple passe par Mohammad Morsi, par la stabilité et par l’amour du pays». A quelques minutes de là, à l’appel de Tawfik Akacha, un homme de médias, des dizaines de milliers d’opposants au régime se sont donné rendez-vous devant le ministère de la Défense avec un mot d’ordre: «Erhal» (Dégage). Dans la foule, un air de révolution transcende les cœurs. Femmes en niqab ou non voilées, hommes d’affaires, ouvriers, familles entières, s’époumonent à crier leur ras-le-bol. «Va-t-en, toi qui n’a rien compris, l’Egypte n’est pas à vendre», «Enlève ta barbe et montre ton horrible visage, qui n’est autre que celui de Moubarak», «Musulmans et chrétiens, la voix de la révolution s’élève des mosquées et des églises. Révolte-toi, soleil libre de la révolution sur nos jours noirs et amers» ou, entre autres, 
«Réveille-toi Morsi, le 30 juin sera ton dernier jour». Soudain, une intense émotion s’empare des manifestants, un policier porté par la foule, vient de rejoindre la contestation: «Le peuple, l’armée et la police, une seule main».
Une répétition générale avant le 30 juin qui se voudra historique pour l’Egypte, le monde arabe si ce n’est plus. Une journée tant attendue qui pourrait néanmoins être entachée de violences au vu de la détermination des deux parties et des déclarations de certains responsables des Frères ayant prévenu qu’ils tireraient sur les gens qui voudront destituer Morsi. Il reste que les Ikhwan essayeront sûrement de jouer avec le temps, à dix jours du début du Ramadan.

Delphine Darmency, Le Caire

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