L’entrée en lice du Hezbollah sur la scène militaire syrienne place les expatriés libanais dans la ligne de mire des gouvernements des pays du Golfe. Des milliers de personnes sont menacées de perdre le labeur de toute une vie.
Le mois passé, les Emirats arabes unis (EAU), l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, Oman et Bahreïn, pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ont décidé de sanctionner les Libanais proches du Hezbollah résidant dans les monarchies pétrolières. Cette menace a provoqué l’émoi d’un grand nombre de Libanais. «Etant de confession chiite, je suis parmi ceux qui pourraient être frappés par ces mesures de rétorsion. On m’a récemment proposé un job en or auquel j’ai dû renoncer, dans la crainte de me voir refuser le renouvellement de mon permis de séjour», commente un jeune cadre libanais travaillant dans le secteur bancaire aux EAU et s’exprimant sous couvert d’anonymat. Le jeune homme précise que ces mesures sont particulièrement restrictives à Abou Dhabi. Haytham, un jeune druze résidant à Doha, souligne les difficultés auxquelles font face les ressortissants libanais, y compris ceux ayant la double nationalité, pour obtenir le visa du Qatar. «Je connais plusieurs personnes qui se sont vu refuser la carte de séjour en raison de leur appartenance politique ou religieuse. Ce ne sont pas de simples rumeurs mais des faits réels dûment vérifiés», ajoute-t-il.
Cette décision des monarchies sunnites du Golfe vient en représailles à l’intervention du Hezbollah en Syrie aux côtés des forces du président Bachar el-Assad. Elle a été précédée par la condamnation de la Ligue arabe de l’implication du Hezbollah dans la bataille de Qoussair, une région située près de la frontière libanaise reprise par les forces du régime aux rebelles syriens. Les mesures prises par le CCG visent l’abolition des cartes de séjour, les transactions financières et commerciales des personnes impliquées dans les activités du Hezbollah.
«La situation est plutôt alarmante pour les Libanais. Nous sommes tous frappés de paranoïa. Deux Libanais possédant une chaîne de boulangeries et installés depuis plus de quarante ans aux EAU ont été expulsés sans aucune explication», signale Marwan, un chef d’entreprise druze sympathisant du Hezbollah. L’homme d’affaires explique que de nombreux partisans du Hezbollah et du Courant patriotique libre (CPL) n’osent plus surfer sur les sites de ces deux partis en raison de la surveillance accrue des réseaux sociaux et d’Internet.
La plupart des pays du Golfe perçoivent en effet les spécificités et les rivalités libanaises et comprennent que les déclarations d’une faction (comme le Hezbollah) ne représentent pas nécessairement l’avis de tous les Libanais. Abdel-Aziz el-Awicheq, secrétaire général adjoint du CCG pour les négociations et le dialogue stratégique, a indiqué dans une entrevue publiée par le quotidien saoudien al-Charq el-awsat, que les alliés du Hezbollah, tels que le général Michel Aoun, pourraient être également touchés par les mesures coercitives du CCG, suite à l’intervention militaire du Hezbollah en Syrie.
Entre carrière et convictions
«Une communauté particulière (les chiites), ainsi que ses alliés politiques se trouvent aujourd’hui dans l’œil du cyclone, pour cela nous craignons d’être touchés à notre tour», souligne un chrétien installé à Bahreïn. Mais à Dubaï, Marwan estime qu’il se trouve dans une sorte de dilemme éthique où son soutien au Hezbollah et sa contestation de la politique américaine et israélienne valent plus que l’avenir et la sécurité de sa famille. «Je crois toutefois que nous (les Libanais) ne devons pas courber l’échine quelles qu’en soient les conséquences sur notre avenir professionnel», assène-t-il.
Selon Mohammad Chamseddine, de la firme Information International, il y aurait près de 7 000 Libanais résidant actuellement à Bahreïn, entre 130 000 et 150 000 en Arabie saoudite, 34 000 au Koweït, 40 000 au Qatar, 100 000 aux EAU et 3 000 dans le sultanat d’Oman. «Mais il est très difficile d’estimer la proportion de chaque communauté dans ces chiffres», ajoute-t-il. La plupart des expatriés sont employés dans les secteurs bancaires et de la finance, et l’assurance. D’autres, selon Information International, travailleraient dans le bâtiment comme ingénieurs ou entrepreneurs. Enfin, certains Libanais travaillent dans le commerce, le tourisme, l’éducation et les médias.
«Il ne fait aucun doute que les mesures préventives, pour ne pas dire punitives, que les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) adopteront contre les intérêts du Hezbollah feront mal», publiait récemment le quotidien qatari al-Watan, de même qu’elles seront ressenties par les «milliers de Libanais qui lui sont proches et se livrent à des activités d’investissement dans la région».
Les retombées économiques de ces mesures seraient énormes pour le Liban. En effet, les expatriés résidant dans les pays du CCG assurent près de 60% des transferts bancaires vers le Liban. «Les touristes en provenance d’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et du Koweït représentent 35,3% du tourisme arabe au Liban et 12,3% de toutes les arrivées», déclare l’économiste Nassib Ghobril de la Byblos Bank.
La part des vacanciers saoudiens dans les dépenses touristiques annuelles au Liban est estimée à 25%. Elle est de 20% pour ceux en provenance des Emirats arabes unis, du Qatar, du Koweït et de Bahreïn.
Les hôtels et appartements meublés au Liban ont accueilli 81 361 clients en provenance de l’Arabie saoudite en 2011, ce qui représente 11% du nombre total des clients de l’infrastructure touristique du Pays du Cèdre. «A l’exception des Libanais, les visiteurs venant d’Arabie saoudite étaient en 2011 les meilleurs clients des hôtels et des appartements meublés», explique Ghobril.
On observe une augmentation significative pour ce qui est des investissements directs à l’étranger (IDE) en provenance du CCG qui représentent environ 75% à 80% des montants investis au Liban.
Environ 70% à 80% de la demande immobilière au Liban sont également alimentés par des investissements de Libanais installés dans les pays arabes ou de ressortissants des pays du Golfe, explique Ghobril. Les exportations vers les pays du CCG représentaient près de 20% des exportations libanaises en 2011.
Les expatriés libanais établis dans le Golfe sont nombreux à avoir déposé leurs avoirs dans les banques de leur pays.
La relation quasi symbiotique entre le Liban et les pays du Golfe serait encore plus étroite qu’on pourrait l’imaginer. Selon des chiffres avancés par le Fonds monétaire international et repris par Nassib Ghobril, une augmentation des revenus économiques du CCG au niveau de 1% se traduirait par un accroissement de la même valeur du Produit intérieur brut (PIB) libanais grâce aux transferts de fonds vers le Liban. De même, la hausse des prix du pétrole de l’ordre de 1% entraînerait une augmentation de 0,26% du niveau des exportations libanaises vers les pays du Golfe pour les quatre trimestres suivants. L’augmentation des prix du pétrole se répercuterait également sur le nombre de passagers arrivant au Liban qui connaîtrait une croissance de 0,21%.
L’adoption de ces nouvelles mesures suscite l’inquiétude des Libanais dans le Golfe qui craignent que les sanctions du Conseil de coopération du Golfe ne dépassent le cadre des partisans du Hezbollah pour englober tous les ressortissants du Pays du Cèdre.
Youmna, une jeune femme résidant aux EAU et travaillant dans un des ministères, affirme qu’elle cache son appartenance à la communauté chiite à ses collègues de bureau. «Je travaille avec des Emiratis de confession sunnite et qui vouent une antipathie grandissante aux chiites libanais. Ayant la nationalité anglaise, je leur ai fait croire que j’étais sunnite. C’est vraiment triste, mais il y a une montée du sentiment communautaire dans les pays du Golfe dont pourraient pâtir tous les Libanais», ajoute-t-elle.
Mona Alami, Dubaï
Les déclarations du Qatar
Le président de la République, Michel Sleiman, est rentré dimanche d’un voyage au Qatar où il s’était rendu avec le Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, et le vice-Premier ministre, Samir Mokbel, pour féliciter le nouvel émir du pays cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, pour sa nomination.
Le chef de l’Etat a mis en exergue
l’importance des relations bilatérales entre les deux pays lors de sa réunion avec cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani en présence de son père cheikh Hamad. Pour sa part, cheikh Tamim a souligné, que la présence des Libanais qui travaillent au Qatar sera toujours protégée et qu’ils étaient considérés «par les Qataris comme des membres de la famille». «Les Libanais travaillent en respectant les lois du Qatar et contribuent à l’essor et au
développement du pays», a-t-il ajouté.
Boycott des produits iraniens
Des chaînes de supermarchés au Koweït ont lancé une campagne de boycott des produits iraniens. Selon la presse, au moins neuf des cinquante «sociétés coopératives», qui gèrent des supermarchés, ont annoncé avoir retiré de leurs rayons les produits iraniens pour protester contre le soutien de Téhéran au régime de Bachar el-Assad. Ces sociétés contrôlent largement le secteur de la vente au détail dans le riche émirat pétrolier du Golfe. L’une d’elles a indiqué que la prochaine étape serait le limogeage des employés iraniens et la résiliation de leurs permis de séjour. Dans le cas de son
application, cette mesure pourrait affecter près de 50 000 Iraniens travaillant au Koweït.
Expulsions confessionnelles
La politique étrangère du Hezbollah commence à donner ses premiers résultats, exacerbant la tendance amorcée en 2009, lorsqu’une centaine de chiites libanais auraient été expulsés des Emirats arabes unis. Selon certaines sources, le Koweït aurait pris des mesures à l’encontre des Libanais en durcissant les conditions d’octroi de visas depuis le début des soulèvements
populaires régionaux. Selon l’AFP, les mois derniers, près de 18 Libanais ont été expulsés du Qatar, après la décision des pays du CCG prévoyant des sanctions contre les «membres» du Hezbollah résidant dans ces pays. Le site d’information nowlebanon a rapporté que les Emirats arabes unis pourraient abolir sous peu les permis de séjour de 1 200 Libanais.
Parallèlement, l’un des pays du Conseil de
coopération du Golfe aurait informé le palais Bustros de sa décision d’expulser neuf
ressortissants libanais, dont deux sunnites, deux chrétiens et cinq chiites.