Après The virgin suicides, Lost in translation, Somwhere, voici le dernier film de Sofia Coppola: The Bling Ring. Présenté au Festival de Cannes 2013, en ouverture de la section Un Certain Regard, il vient de débarquer sur nos grands écrans.
«Les suspects portaient des Louboutin». C’est sous ce titre qu’en 2009, Nancy Jo Sales signe un article dans Vanity Fair. Le sujet: un groupe d’adolescents ont pénétré, à plus d’une reprise, durant un an environ, les demeures de certaines célébrités à Los Angeles, à l’instar de Paris Hilton, Lindsay Lohan, Orlando Bloom… et leur ont volé plus de trois millions de dollars en sacs, vêtements, bijoux et accessoires, avant d’être arrêtés et jugés. Le «gang» a été surnommé par les médias The Bling Ring. L’histoire a fait couler beaucoup d’encre et restera comme l’un des vols les plus audacieux dans l’histoire contemporaine de Hollywood. Sofia Coppola décide de s’en emparer pour construire son dernier film, The Bling Ring.
Rebecca, Nicki, Chloé, Sam et Marc. Cinq adolescents se retrouvent dans un même établissement scolaire, parce qu’ils ont été expulsés de leurs anciennes écoles. Marc, ado en mal d’être, se lie d’amitié avec Rebecca, avant d’intégrer ce groupe de jeunes filles délurées, Nicki, Chloé et Sam, aussi insouciantes qu’avides de belle vie, de la manière la plus concrète qui soit, à travers l’accumulation des richesses, synonyme du luxe de l’ère contemporaine de L.A. Jeunesse dorée, jeunesse californienne laissée à elle-même face à l’absence presque caricaturale des parents, ces ados, issus de milieux riches, passent leur temps entre shopping, soirées arrosées et, surtout, fascination pour les stars de cinéma, de séries télévisées, de téléréalité et de magazines people, des stars qui, après tout, n’habitent qu’à quelques pas d’eux. Véritable personnage du film, Los Angeles brille des mille feux de tous les excès.
Parce que Rebecca et Marc ont réussi leur premier braquage dans la maison vide d’une vague connaissance, Rebecca s’enthousiasme. Et s’ils arrivaient à pénétrer chez Paris Hilton? L’espace de quelques clics sur Internet, toutes les informations sont disponibles: la riche héritière sera le soir même en dehors de la ville, et sa demeure est rapidement localisée. La clé pourrait très bien être sous le paillasson. Elle l’est effectivement. Et voilà, les jeunes ados, mine de rien, dans toute l’inconscience et l’insouciance de leur geste, ont réussi leur premier braquage. Il est temps de s’en vanter, d’en perpétrer d’autres, de s’afficher et d’afficher leurs trophées sur Facebook et les autres réseaux sociaux. Le tour est joué. Durant un an, ils ne seront nullement inquiétés.
Louboutin, Chanel et Paris Hilton
L’ère «people». C’est ce que pointe du doigt Sofia Coppola, sans dénoncer ni juger. Mais en le montrant tout simplement, en le mettant à l’écran, à travers cette histoire qui peut sembler presque incroyable, invraisemblable, si elle n’avait pas réellement eu lieu. Il y a beaucoup de tendresse dans le regard de la réalisatrice envers ses personnages, et cela transparaît nettement à l’écran. Pourtant, elle n’est pas toujours magnanime avec eux. Tantôt avec froideur, tantôt avec ironie, elle préfère s’attarder à explorer et exposer leurs personnalités, qu’elle montre sous leurs différentes coutures. Et ce faisant, elle entraîne le spectateur au fil d’une kyrielle de sensations vis-à-vis de ces adolescents. Tantôt on est pris d’empathie, tantôt de pitié, tantôt d’incompréhension: sont-ils des voleurs, des inconscients ou, au final, les victimes d’une société embourbée dans la superficialité, l’apparence, le glamour, les marques, les stars et le bling-bling? C’est plutôt cette dernière option que Sofia Coppola privilégie.
Dans son article-review, titré The Bling Ring: cinq adolescents pris dans la fureur des marques, Le Monde mentionne «Roland Barthes qui (qualifiant) la mode de tyrannique, aurait certainement été passionné par cette histoire. Dans Système de la mode, il écrivait ceci: «La mode plonge la femme dont elle parle et à qui elle parle dans un état innocent, où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes: il y a une loi d’euphorie de la mode…». Et il y a effectivement une véritable euphorie dans le film de Sofia Coppola. Une euphorie qui se déploie à plus d’un niveau, chez les personnages eux-mêmes et chez le spectateur. Euphorie de la mode, du star-system, d’Internet et des réseaux sociaux, de la musique, de la fête, de la drogue, du show-off, des clubs de nuit, de l’alcool. Le tout sur fond d’une musique hypnotique, une bande sonore qui tombe à point pour maximiser l’ambiance jeunesse américaine qui suinte de chaque détail du film; hip-hop, R’n’B, pop… «Live fast / die young / Bad girls do it well»…
A l’affiche du film, une bande de jeunes acteurs aux noms encore inconnus, mis à part Emma Watson. La petite sorcière Hermione de Harry Potter a bien changé: le personnage de Nicki est une vraie pouffe. Les autres jeunes acteurs ne sont pas en reste; Israel Broussard qui incarne le seul garçon du gang, le personnage le plus vulnérable et peut-être le plus tendre, et Katie Chang dans le rôle de la froide et manipulatrice Rebecca. Mention spéciale également de l’actrice Leslie Mann qui incarne la mère de Nicki, un personnage loufoque et triste à la fois. A travers une mise en scène nerveuse et vivante, Sofia Coppola a réussi à filmer ses acteurs au plus près de leurs émotions. Ces ados ne souffrent pas réellement d’ennui, cette espèce de spleen de la société consommatrice, mais plutôt d’une fascination pour les stars et le luxe. Et ils semblent tellement s’amuser à découvrir les demeures des stars, en tête celle de Paris Hilton, un vrai musée que le spectateur découvrira également avec plaisir, puisque l’héritière a permis à la réalisatrice d’y filmer des séquences de son film. Avec The Bling Ring, Sofia Coppola s’affirme comme une chroniqueuse exceptionnelle de son temps.
N.R.
Circuits Empire et Planète – Grand Cinemas.