La volonté des divers acteurs locaux, aussi louable soit-elle, n’est pas suffisante à elle seule pour créer des dynamiques susceptibles de trouver des solutions aux multiples problèmes auxquels le Liban est confronté aujourd’hui. C’est une vérité de La Palice, diront certains. Certes! Mais c’est aussi un postulat de base indispensable pour comprendre le pourquoi et le comment des choses au Liban.
Appliqué à la question gouvernementale, ce principe nous permet de dire que la reconstitution de l’Exécutif dépend, essentiellement, des calculs des puissances régionales influentes au Liban, et non pas du bon vouloir du Premier ministre désigné, du Courant du futur, du tandem chiite, de Michel Aoun ou de Walid Joumblatt. Or, ces acteurs régionaux, plus particulièrement l’Arabie saoudite et ses alliés d’un côté, l’Iran et ses amis de l’autre, sont plus dans une situation de confrontation que de réconciliation, même si une certaine période de flottement est perceptible depuis l’élection de Hassan Rohani, due au fait que les adversaires s’observent et se jaugent, en attendant de connaître les réelles intentions du nouveau président iranien. S’il y a une volonté de former un gouvernement consensuel au Liban, il faudra donc attendre l’installation de la nouvelle administration iranienne, la prise de contact entre Téhéran et Riyad, puis un accord sur des arrangements. Dans le meilleur des cas, ce processus n’aboutira pas avant la mi-septembre. Et il semble que Tammam Salam, choisi pour diriger une équipe chargée d’organiser les législatives, n’est pas le candidat favori des Saoudiens pour présider un tel gouvernement. Ils préfèrent Saad Hariri ou Fouad Siniora.
Si, au contraire, nous restons dans la logique de la confrontation régionale, le scénario du gouvernement consensuel sera forcément rangé au fond d’un tiroir. Trois autres options se dégageront alors. Premièrement, un gouvernement de confrontation. C’est-à-dire la formation d’un cabinet du fait accompli, duquel serait exclu le Hezbollah. Ce cas de figure équivaut à une déclaration de guerre, qui provoquera une réaction du camp adverse, dont la nature reste à déterminer. Il faut souligner, dans ce contexte, qu’après la chute de Qoussair, l’Arabie saoudite a été tentée de faire payer au Hezbollah son rôle dans cette bataille, en l’excluant du gouvernement libanais. Mais les équilibres internes sont tellement délicats que cette option n’est pas facile à mettre en œuvre. C’est là, en effet, que les acteurs internes peuvent influer sur les rapports de force régionaux. L’attitude de Walid Joumblatt est ainsi déterminante et il semble que le leader druze ne soit pas du tout disposé à entrer en confrontation avec le Hezbollah. Les contacts entre les deux partis se sont au contraire intensifiés ces derniers temps, surtout depuis la multiplication des incidents sécuritaires, et les comités de coordination politique et sécuritaire conjoints ont été réactivés. De plus, lors de leur rencontre dans la nuit de dimanche à lundi, Michel Aoun et Hassan Nasrallah se sont entendus sur un point, celui de la solidarité en matière de gouvernement, même si le désaccord persiste sur l’opportunité de proroger le mandat du général Jean Kahwagi. Solidarité signifie que les deux partis seront ensemble soit à l’intérieur soit à l’extérieur du cabinet. On voit mal, dans ces conditions, comment le 14 mars pourra former un gouvernement monochrome.
Deuxièmement, le statu quo. Il serait imposé par l’équilibre actuel des rapports de force régionaux qui empêche la balance de pencher dans un sens ou dans l’autre. Et vu que toute tentative de les modifier pourrait avoir des conséquences incalculables, les puissances régionales préfèrent la gestion du moindre risque. Le Liban resterait alors, pendant des mois, avec un Premier ministre démissionnaire et un autre désigné. Cette période pourrait durer jusqu’à l’élection présidentielle, avec toutes les complications qu’elle pourrait apporter, comme elle pourrait connaître aussi des développements inattendus. Le plus probable étant la décision de Tammam Salam de se récuser.
Cet imprévu ouvrirait la voie au troisième scénario, celui du repêchage du gouvernement Mikati, en raison de l’impossibilité d’organiser des consultations parlementaires concluantes pour désigner un successeur à Salam. On sera alors devant une situation inédite depuis les accords de Taëf.
Au milieu de toutes ces incertitudes, il y a au moins une constante: en attendant que l’un des scénarios se réalise, les attentats, assassinats, embuscades et autres incidents sécuritaires se poursuivront au même rythme, voire plus, suivant la logique imposée par le postulat cité au début de nos propos.
Bonne fin d’été.
Paul Khalifeh