Le général Abdel Fattah el-Sissi, vice-Premier ministre et commandant en chef de l’armée égyptienne, s’apprête à lancer dans le nord du Sinaï une opération militaire de grande envergure, afin d’éradiquer les terroristes islamiques en tous genres qui perturbent la vie de la péninsule.
Depuis la destitution de Mohammad Morsi, le 3 juillet 2013, le Sinaï est une source de troubles quotidiens pour l’Egypte. On décompte les attentats et les morts avec une régularité déconcertante. Il serait impossible d’établir un bilan précis, mais les attaques contre la police et l’armée se sont multipliées. Des civils sont aussi les victimes de cette violence initiée par les islamistes radicaux.
A titre d’exemple de ce duel implacable, selon l’agence Mena du 17 juillet, quatre policiers ont été tués en 48 heures, et dix djihadistes ont été abattus en deux jours lors d’une opération de l’armée contre les combattants islamistes. Le 22 juillet, un civil est tué et quatre autres blessés.
En somme, le Sinaï est en voie de devenir une zone de guerre, et les tribus bédouines ne coopèrent pas vraiment avec le pouvoir. «Le seul but des Bédouins est de gagner beaucoup d’argent, ils n’éprouvent aucune allégeance pour l’Egypte», affirme un général soucieux de garder l’anonymat.
Cette hostilité réciproque a ses raisons. Les Bédouins ne sont pas égyptiens, ce sont les descendants des tribus venues de la Péninsule arabique, qui ont émigré vers le Sinaï entre le XlVe et le XVllle siècles. Principaux habitants de ce territoire, à moitié détaché de l’Egypte et d’accès difficile, ils ont traversé les décennies en toute liberté.
Début 1900, on voit encore les tribus dresser leurs tentes d’une région fertile à l’autre, et vivre selon leurs coutumes avec le seul respect de la loi tribale.
L’Egypte découvre ensuite le Sinaï et le forage des puits de pétrole commence… En 1983, dès la fin de l’occupation israélienne, le gouvernement adopte un plan industriel et touristique ambitieux. Les Bédouins, en particulier les tribus devenues sédentaires, n’y sont pas associés. Ils se sentent étrangers, marginalisés, et leur droit à la terre est contesté, ce qui suscite une profonde rancune. Elle aura ses conséquences.
Il y a des dizaines d’années qu’aucune initiative n’est prise pour développer le Nord, tandis que des plages somptueuses se succèdent dans le Sud.
Dans un tel contexte, les membres du Hamas ont trouvé des alliés prêts à conduire vers la bande de Gaza des armes de contrebande, des munitions de toutes sortes, des drogues… Opérations qui assurent aux Bédouins d’importants revenus.
L’opération Aigle
Plus tard, les groupements djihadistes, plus ou moins affiliés à al-Qaïda, ont fait de même, mettant en place des cellules terroristes avec l’aide des Bédouins.
La situation a empiré après la chute de Hosni Moubarak et le manque d’intérêt du pouvoir central. Le 5 août 2012, l’Egypte a enregistré avec horreur l’assassinat de seize gardes-frontières près de Rafah. Ce crime a permis à Mohammad Morsi de se débarrasser du maréchal Mohammad Hussein Tantaoui et du chef d’état-major Sami Annan, des «foulouls» (résidus de l’ancien régime) à ses yeux, et de confier au général Abdel-Fattah el-Sissi, alors chef du Service de renseignements militaires, le poste de ministre de la Défense et commandant en chef de l’armée. Il a 58 ans (Tantaoui en avait 76), et c’est une nouvelle génération qui dirige l’armée. C’est bien elle qui va détrôner le chef de l’Etat.
Sissi lance alors l’opération Aigle contre les terroristes et ordonne la fermeture des innombrables tunnels de contrebande qui relient Rafah à Gaza. Le 21 août, il se rend dans le Sinaï pour superviser le déroulement des travaux. Il rencontre également les chefs des tribus bédouines et lance une opération charme pour en faire des alliés. Il leur promet une aide économique directe de l’armée qui s’élèvera à un milliard de dollars. Il s’engage aussi à faire creuser par l’armée 50 puits dans cette région aride.
Mohammad Morsi est ravi. Ce genre de promesses est un gage de succès pour ses bonnes relations avec les habitants du Sinaï, et avec les Gazaouis. De plus, ce président islamiste ne veut pas d’une opération militaire d’envergure contre les combattants islamistes.
Plusieurs mois s’écoulent, et la situation intérieure dégénère en Egypte. Depuis sa «Déclaration constitutionnelle» du 22 novembre 2012, Morsi s’approprie pratiquement les pleins pouvoirs, fait voter par référendum une Constitution islamiste et se donne pour mission d’islamiser tous les rouages de l’Etat. Une politique qui déchaîne les membres de l’opposition, laïques comme de gauche.
A dater du mois de mai, les jeunes se révoltent et publient un fascicule de rébellion pour réclamer une élection présidentielle anticipée. Les partis politiques d’opposition accordent leur appui à ce texte et le font circuler. Le haut commandement de l’armée, qui a toujours prêché pour un pays uni, et qui se déclare au service du peuple égyptien et non pas d’un régime, accueille cette initiative avec bienveillance.
Le 30 juin 2013, le texte de Tamarrod a recueilli 22 millions de signatures, et plus de 30 millions d’Egyptiens descendent dans les rues du Caire et des grandes villes pour réclamer le départ de Mohammad Morsi.
Nul besoin de s’étendre sur la suite des événements. Le général Abdel-Fattah el-Sissi donne 48 heures au chef de l’Etat pour répondre aux vœux du peuple. Morsi s’accroche. Il sera destitué le 3 juillet et placé dans une résidence non révélée.
Conformément à la Feuille de route élaborée par l’armée, et qui répond aux vœux de l’opposition, un président de la République par intérim est désigné. Ce sera, Adly Mansour, le président de la Haute Cour constitutionnelle. Par la suite, Mohammad el-Baradeï est nommé vice-président de la République; un excellent économiste, Hazem el-Beblaoui devient le chef du gouvernement, des ministres technocrates se mettent à l’œuvre. Les partis politiques islamistes refusent de participer à la mise en place d’une Egypte nouvelle.
Dans plusieurs places du Caire, les partisans du président destitué protestent. Dans le Sinaï, les jihadistes promettent d’organiser une résistance armée.
Le général Sissi s’est engagé à rétablir la sécurité à travers une opération militaire de grande envergure.
Denise Ammoun, Le Caire
Qui est Sissi?
Le 12 août 2012, le général Abdel-Fattah el-Sissi prête serment devant le président Mohammad Morsi, et devient le ministre de la Défense et le commandant en chef des Forces armées. Il a tout juste 58 ans, tandis que son prédécesseur, le maréchal
Mohammad Hussein Tantaoui, avait 76 ans. Une nouvelle génération prend les manettes de l’armée. Morsi a choisi Sissi sur la
recommandation de plusieurs haut gradés qui ont vanté ses qualités exceptionnelles. Il pense avoir fait un bon choix. Sissi est très pieux, très
conservateur, et sa femme est voilée. Il ne s’opposera pas à la «frérisation» de l’armée, pensait-il. Le nouveau ministre a une forte personnalité et beaucoup de charisme. Mais Morsi ne le sait pas. Il n’a pas l’intention de laisser le président s’immiscer dans les affaires militaires. Morsi ne le soupçonne pas. Il l’apprendra à ses dépens.